Début mars, lors d’un entretien sur les ondes de la Radio Algérienne, le professeur Brahim Mouhouche, se félicitait des dernières pluies qui se sont abattues sur l’Algérie et qui augurent d’une récolte de céréales exceptionnelle.
« Certaines régions ont enregistré jusqu’à 110 millimètres de précipitations », a-t-il dit. Les pluies de ces derniers jours au Centre et à l’Est du pays ravivent l’espoir d’une bonne récolte de céréales en Algérie.
Cet enseignant chercheur de l’École Nationale Supérieure d’Agronomie (ENSA) rappelait à cette occasion que « de telles pluies n’avaient pas été observées depuis au moins 15 à 20 ans » même si la région Ouest reste moins arrosée.
La campagne céréalière en cours en Algérie varie d’une wilaya à l’autre. Si au Sud la récolte de l’orge cultivée sous pivot est en cours, au nord il reste plusieurs semaines avant d’envisager la moisson.
Un signe ne trompe pas quant à l’abondance des pluies. Dans plusieurs wilayas, les avertissements agricoles insistent sur le risque de développement de maladies sur le feuillage : oïdium, septoriose ou rouille.
Des maladies qui n’apparaissent que dans un contexte humide. Déjà, au niveau des exploitations les plus avancées en Algérie, les agriculteurs ont commencé l’utilisation de fongicides.
Avec les pluies, les wilayas de Guelma et de Constantine prennent l’aspect de la campagne Suisse.
Partout des champs d’un vert éclatant avec des parcelles présentant souvent les traces du passage d’un pulvérisateur, signe du haut niveau technique des agriculteurs.
À Constantine, la course aux variétés les plus productives est lancée par la société Axium qui teste différentes variétés de blé.
Au pied des parcelles d’essais figurent des noms de variétés aux sonorités étrangères telles Palisio, Anforita, Carioca, Ancomarzio ou Ciccio qui tentent de rivaliser avec les traditionnels Boussalem et Wahbi.
Des exploitations encore à la traîne
En mars dernier, dans la wilaya de Sétif, l’ingénieur agronome, Mahmoud Makhlouf, publiait sur les réseaux sociaux la photo de deux parcelles de blé voisines l’une de l’autre.
La première drue et verdoyante avec des plants vigoureux et la seconde clairsemée avec des plants de plus petite taille.
À la récolte, l’écart de rendement passera du simple au double entre ces parcelles. À elle seule, cette photo résume le chemin qui reste à parcourir par la filière céréales pour arriver à l’excellence.
Sur un même type de sol et pour une même année, preuve est faite avec ces deux parcelles, il est possible de produire plus à condition de réunir les moyens nécessaires : semences certifiées, fertilisation adaptée et lutte contre les ravageurs.
Dans le cas présent, nul besoin de recourir à l’irrigation, mais réaliser ce qu’appellent de leurs vœux techniciens et ingénieurs : le respect de « l’itinéraire technique ».
Pour l’ingénieur Lazhar Lamouchi, il est également indispensable de généraliser l’emploi du semis mécanique et de bannir le semis à la volée.
Pour les tenants de « l’agriculture de conservation », l’idéal est de bannir l’emploi de la charrue et de recourir au semis direct, seul moyen de valoriser au mieux l’humidité du sol.
À plusieurs reprises, le président Abdelmadjid Tebboune a fait remarquer que la moyenne nationale de 17 quintaux par hectare pouvait être améliorée et a appelé les services agricoles et les agriculteurs à avoir l’ambition d’arriver à des rendements de 30 quintaux.
Céréales, mobiliser les compétences
Alors qu’aux USA et au Canada, à partir des années 1960, la production de blé a réussi à être moins dépendante de la pluviométrie annuelle, en Algérie la production reste encore très fortement corrélée à la météo.
Récemment, la chaîne TV El Iktissadia a organisé une table ronde sur le sujet.
Étaient réunis des chercheurs de l’ENSA dont Chérif Omari, ancien ministre de l’Agriculture, le professeur Tarik Hartani et des professionnels du secteur agricole.
Pour les uns, afin de disposer de variétés adaptées à la sécheresse, il est urgent d’améliorer la production de semences, parfois par des gestes simples comme le nettoyage correct de la moissonneuse-batteuse entre deux parcelles semées de variétés de blé différentes afin d’éviter tout mélange.
Une situation qui déclasse automatiquement la récolte quand il s’agit de produire des semences certifiées.
Il s’agit également de s’attaquer à la résorption des terres non travaillées (40% des surfaces céréalières) pour cause de jachère : « une perte économique pour le pays » selon le professeur Tarik Hartani.
Les avantages de l’irrigation sont abordés. Les uns affirmant que seule celle-ci peut permettre d’augmenter les rendements quand les autres insistent sur la nécessité pour l’agriculteur d’exécuter correctement les opérations de base : désherbage, respect des dates de semis et utilisation d’un semoir mécanique.
Un coût élevé de la location de la terre
Sur le terrain, nombreux sont les agriculteurs qui évoquent le poids des charges financières.
À Annaba, Abderrahmane Bordjiba, un agriculteur performant, énumère sur les réseaux sociaux le coût de la centaine d’hectares de blé qu’il travaille.
Pour chaque hectare, l’achat de l’herbicide puis d’un fongicide lui a coûté à chaque fois l’équivalent d’un quintal et demi de blé dur, soit 9.000 DA.
Il dénonce le coût excessivement élevé de ces produits phytosanitaires. Quant à la location de la terre, elle équivaut à 5 quintaux de blé.
Au total, des frais qui lui reviennent à 8 quintaux. À cela, il s’agit de compter les charges liées au matériel et à la main d’œuvre.
Quant aux semences et aux engrais, il remercie les pouvoirs publics pour leur gratuité.
Après la sécheresse et les inondations de la campagne précédente, les agriculteurs des wilayas concernées ont en effet bénéficié d’indemnisations.
Ces mesures décidées par les pouvoirs publics ont sans aucun doute permis à de nombreux agriculteurs de semer à nouveau leurs champs, sauvant ainsi la campagne céréalière actuelle.
À El Afroun, l’ingénieur Mohsen Dahmani innove cette année en utilisant un hydro-rétenseur, un produit qui retient l’eau du sol sous la forme d’un gel à proximité des racines.
Mais pour une telle initiative, combien sont ceux qui sèment encore à la volée, ce qui expose au dessèchement des graines restées en surface ou à leur épuisement quand elles sont semées en profondeur.
La sophistication des techniques agricoles est en marche en Algérie mais pour d’autres cultures que les céréales.
C’est le cas de la tomate industrielle avec l’utilisant de variétés élites semées sous serre puis repiquées mécaniquement au champ.
C’est le cas également pour les cultures d’ail, de pomme de terre, d’oignon et bien sûr de pastèques pour lesquelles les agriculteurs utilisent des variétés greffées et repiquées sur des buttes de terre recouvertes de plastique noir et sous lequel est déroulé un tuyau pour l’arrosage par goutte à goutte.
À force d’innovations, les agriculteurs maraîchers ont réussi à augmenter les rendements. Ce qui assure actuellement l’autosuffisance du pays.
Le défi est de transposer ces succès aux « grandes cultures » telles que les céréales.
Dans le sud et à Négrine, la récolte d’orge sous irrigation a démarré. Pour les blés au nord, il faudra attendre la fin juin. À défaut d’innovations techniques en conditions semi-arides, les agriculteurs espèrent de nouvelles pluies fin avril.