Serrer la ceinture, ils connaissent déjà les onze mois de l’année. En Algérie, les retraités aux modestes pensions ne savent plus à quel saint se vouer tant ils sont dépassés par les prix abusés des viandes, légumes et fruits.
Nous les avons rencontrés aux abords des marchés à Alger, le regard désabusé et la déception en bandoulière. Tous nous ont avoué leurs difficultés durant ce mois de Ramadan. Certains ne doivent leur pitance qu’aux salaires de leurs enfants qui aident à remplir le couffin pour la préparation d’un ftour, parfois sans viande et sans fruits.
Boualem, 62 ans, perçoit une pension de retraite de 40 000 dinars. Il a eu six enfants tous mariés, sauf le dernier dont il a la charge. « C’est un exercice d’acrobatie au quotidien pour réunir quelques ingrédients nécessaires à la confection du repas », avoue–t-il.
« Parfois, j’achète un petit morceau de poulet à crédit. J’attends ma prochaine pension pour effacer mon ardoise. La viande, source de protéines, ne rentre pratiquement jamais chez-moi, ni les fruits d’ailleurs. Au marché, les prix ne cessent d’augmenter. Impossible de suivre la cadence ».
À 76 ans, Amar est dans la même situation. Il nous montre le contenu de son panier : des courgettes (seul légume vendu autour de 30 dinars actuellement), et des bottes d’épinards.
« J’ai donné trente ans de ma vie à une entreprise de la wilaya. En prenant ma retraite en 2008, j’avais 13.000 dinars mensuel. Aujourd’hui, je touche 34 000 dinars et j’ai plusieurs bouches à nourrir. À la maison nous sommes végétariens malgré nous. La viande est intouchable ! Le poulet est à 500 DA le kilo, la viande rouge à 2500 DA… ! ».
Amar a bien essayé de trouver un petit boulot pour améliorer un tant soit peu son pouvoir d’achat mais sans résultat. « À l’âge que j’ai-76 ans- personne ne veut m’employer et pour faire quoi, svp ? Je ne vois aucune lueur d’espoir à l’horizon ».
Quand les enfants prennent en charge leurs pères retraités
Cette amertume, nous l’avons retrouvée également chez Mohamed (70 ans). Durant tout le mois de Ramadan, ce retraité travaille comme bénévole dans un restaurant ‘chorba pour tous’ à Birkhadem à Alger.
« En prenant ma retraite, j’ai touché pendant 7 ans, une pension de 20 000 DA. Puis un jour, les services de la Caisse des retraites m’ont convoqué pour m’annoncer que j’avais reçu indûment, un trop-perçu. Ma retraite a été revue à la baisse : 6400 DA (avec des retenues chaque mois pour rembourser le trop- perçu). Heureusement j’ai deux garçons qui travaillent et qui subviennent à mes besoins. Les deux autres, sont au chômage malgré leurs diplômes universitaires ».
Mohamed exhibe un document sur lequel est inscrit le montant de sa retraite. « Dites-moi, est-ce que quelqu’un peut vivre avec 6000 DA en 2024 ? Cette somme dérisoire peut être claquée en un seul tour au marché ! ».
Spéculation et hausse des prix
Ahmed (82 ans) a blanchi sous le harnais d’une entreprise publique. Chaque mois, il retire sa retraite qui avoisine les 40 000 DA. « Cela fait 22 ans que je suis retraité. Mes enfants sont tous mariés. Je n’ai plus que mon épouse à ma charge et quand même, vue l’inflation, manger correctement est une gageure. Pendant le Ramadan, je me permets de manger un morceau de poulet une fois par semaine. Les prix sont tellement exagérés ! Comme chaque année, les commerçants dépouillent les consommateurs dans une course effrénée vers le profit ».
Lors de notre virée, nous avons également rencontré Djahida (63 ans). Elle est médecin retraitée et profite d’une pension confortable.
« Je vis seule, et les 100 000 DA que je perçois suffisent amplement. Cela dit, si j’avais des enfants encore à charge, j’aurais dû serrer la ceinture tellement la vie est chère. C’est scandaleux de voir les prix affichés. Tous les produits prisés durant le mois sacré ont connu une hausse. Les belles dattes par exemple, sont vendues jusqu’à 750 DA ! Autour de moi, je connais pas mal de retraités qui touchent à peine 40 000 DA et qui rament pour joindre les deux bouts. Ils ne peuvent même pas se permettre d’avoir un peu de protéine dans leur assiette, pour tenir une douzaine d’heure de jeûne ! C’est vraiment malheureux ».
Ces retraités, qui sont dans la dèche, guettent avec impatience le calendrier. Le jour du versement de leur pension, ils se précipitent dans les agences d’Algérie Poste pour retirer une liasse de billets. Une somme qui fondra comme neige au soleil à cause de toutes les dépenses du Ramadan couplées à celles de l’Aïd.