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Chantage, devises et influence : comment le Maroc utilise l’arme migratoire

Chantage, devises et influence : comment le Maroc utilise l’arme migratoire

Les émigrants représentent une manne financière importante pour le Maroc qui en est le deuxième pourvoyeur africain, mais une arme redoutable aux mains du royaume.

En 2023, les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont transféré au royaume plus de 11,5 milliards de dollars.

L’organisation internationale des migrations (OIM) vient de publier son rapport 2024 sur l’état des migrations dans le monde. Il en ressort qu’en 2020, le monde comptait 281 millions de migrants (3,6% de la population mondiale), près du double par rapport à 1990 et trois fois plus qu’en 1970. En Afrique, l’Égypte et le Maroc sont les premiers pourvoyeurs de migrants. L’Algérie pointe à la 6ᵉ position.

Dans le monde, l’Inde et le Mexique occupent respectivement la première et la deuxième place des pays d’origine des migrants avec respectivement 17,7 millions et 11 millions. Ils sont suivis de la Russie, de la Chine et du Bangladesh.

En Afrique, l’Égypte arrive en tête avec 3,28 millions (3,4% de sa population). Le Maroc est deuxième pourvoyeur de migrants du continent avec 3,25 millions, ce qui représente plus de 5% de la population du royaume, qui, ne figure pas dans le Top 20 des pays destinataires des immigrés en Afrique, un classement dominé par l’Afrique du Sud.

Le premier pays de destination des migrants dans le monde, ce sont les États-Unis, qui abritaient 43,4 millions de migrants en 2020, suivis de l’Allemagne (14,22 millions) et de l’Arabie Saoudite (13 millions). La France n’est que septième avec 8,09 millions, tout juste derrière les Émirats arabes unis (8,4 millions).

Migration à partir de l’Afrique : l’Algérie en 6ᵉ position

Les principaux flux sont ceux du Mexique vers les États-Unis, de Syrie vers la Turquie, d’Ukraine vers la Russie (et dans le sens inverse) et d’Inde vers les Émirats arabes unis. La destination Algérie – France n’est que 19ᵉ dans le classement.

Le rapport dévoile aussi l’apport des migrants à l’économie de leur pays d’origine à travers les transferts de fonds.

L’OIM souligne que les migrations constituent un moteur du développement humain et peuvent générer des avantages significatifs pour les migrants, leurs familles et leurs pays d’origine.

Ce qu’ils gagnent à l’étranger « peut être plusieurs fois supérieur à ce qu’ils pourraient gagner en exerçant les mêmes emplois dans leurs pays », lit-on dans le rapport.

Les transferts de fonds internationaux des migrants sont ainsi passés de 128 milliards de dollars en 2000 à 831 milliards en 2022. Ils dépassent « de loin » l’aide publique au développement et les investissements directs étrangers dans certains pays.

Les principaux destinataires des transferts de fonds des migrants sont l’Inde avec plus de 83 milliards de dollars, la Chine (59 milliards) et le Mexique (42 milliards). Avec 29 milliards de dollars envoyés par ses expatriés, l’Égypte est le premier récipiendaire en Afrique.

Pour le Maroc, il figure, selon le rapport, dans le Top 20 des pays destinataires des envois de fonds internationaux au monde. Il aurait reçu plus de 11 milliards de dollars en 2022, soit 8 % de son PIB (130 milliards de dollars) et dont un tiers provenait de France (32%), selon le rapport.

Les transferts des MRE, qui sont cruciaux pour les ménages marocains dans un pays où le taux de chômage dépasse les 13%, représentent aussi 27% du total des exportations marocaines en 2022 (près de 40 milliards de dollars).

En 2023, les transferts des marocains résidant à l’étranger (MRE) ont augmenté de 4% par rapport à 2022 pour atteindre 115,15 milliards de dirhams (11,5 milliards de dollars) contre 110 milliards de dirhams, selon les chiffres de l’Office des changes du royaume.

Outre les transferts d’argent en devises fortes, le Maroc utilise sa diaspora à l’étranger pour exercer un chantage migratoire sur l’Espagne, son rayonnement culturel, s’accaparer du patrimoine algérien ou commun au Maghreb, tenter de contrôler les mosquées des pays de sa résidence pour accentuer son influence diplomatique…

En mai 2021, le Maroc a lâché une véritable bombe migratoire sur les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Le 17 mai de cette année, plus de 8.000 Marocains ont rejoint à la nage la ville de Ceuta, dans un contexte de grave crise diplomatique entre Rabat et Madrid.

Moins d’une année après, le gouvernement espagnol a cédé en changeant radicalement de position sur le conflit au Sahara occidental. Madrid s’est aligné sur les positions marocaines, ce qui a provoqué la colère d’Alger. Dans cet intervalle, le Parlement européen a accusé le Maroc de chantage migratoire à l’encontre de l’Espagne.

« Personne ne peut intimider ou faire chanter l’Union européenne […] sur le thème migratoire », avait déclaré le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas.

Les MRE, une force de frappe politique et économique pour le Maroc

De nombreux scandales ont éclaté ces dernières années sur l’implication de ressortissants marocains dans des affaires de corruption et d’espionnage au profit de leur pays en Europe, notamment en France et en Belgique.

En outre, des Marocains de l’étranger se tiennent toujours prêts à en découdre avec les Algériens sur les questions liées à la culture. Parfois, ils mènent des actions sur le terrain.

Lors de la Foire de Paris Portes de Versailles (1ᵉʳ – 12 mai), des Marocains ont harcelé la couturière algérienne, Lina Boussahi, qui a exposé des caftans. Ils ont même déposé une requête auprès de l’administration de la Foire pour demander le retrait de cette tenue traditionnelle qu’ils considèrent comme faisant partie de leur patrimoine culturel.

Sans succès. L’affaire a pris de l’ampleur et a nécessité l’intervention de l’ambassade d’Algérie à Paris pour faire reculer les Marocains, et la direction de la Foire de Paris n’a pas cédé. Ce ne sont pas des Galeries Lafayette de Rosny 2 dans la région parisienne.

La célèbre enseigne française a dû fermer l’espace dédié au Maghreb après les plaintes marocaines contre la cheffe algérienne Shahrazade qui a présenté un plan culinaire que les Marocains considèrent comme faisant partie de leur cuisine.

« Tous les Marocains de l’étranger sont soumis au même système en vigueur au Maroc. Le Makhzen, qui est une sorte d’administration parallèle, exerce un contrôle total sur eux », explique un spécialiste de ce pays.

Selon les chiffres officiels, 10% de la population marocaine (37 millions en 2022) vit à l’étranger. Ces MRE représentent donc une manne financière importante pour le Royaume et jouent un rôle important dans le soft-power marocain à l’étranger, notamment en France.

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