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« Compter Volkswagen, premier constructeur mondial, dans notre paysage économique est un exploit »

« Compter Volkswagen, premier constructeur mondial, dans notre paysage économique est un exploit »

Entretien avec Latifa Turki Liot, présidente de l’Union nationale professionnelle de l’industrie automobile et mécanique (UPIAM). Dans cet entretien, elle analyse le secteur du montage automobile en Algérie.

L’usine de montage de Volkswagen a été inaugurée jeudi à Rélizane. Quel bilan pouvons-nous tirer de l’expérience algérienne en matière de montage des véhicules ?

Le constat est simple. Nous avions un seul constructeur international en 2014, nous en avons désormais trois. Quand on sait que des projets de cette envergure nécessitent au moins une année entre la prise de décision et la signature définitive, et que la Loi de finances 2014 avait imposé aux concessionnaires d’investir dans l’industrie ou semi-industrie automobile, cela me semble un bon résultat en l’espace de trois ans. Compter Volkswagen, premier constructeur automobile mondial en 2016, dans notre paysage économique est, de mon point de vue, un exploit. D’autant que Volkswagen n’est pas implanté au Maroc, qui demeure une base importante dans ce secteur. C’est un choix stratégiquement intéressant de par la motivation que pourrait avoir ce groupe d’avoir une base arrière sur l’Afrique du Nord.

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Justement, avoir trois constructeurs en trois ans pour un pays comme l’Algérie qui découvre l’industrie automobile ne signifie-t-il pas aussi que les choses ont été faites dans la précipitation ?

On ne découvre pas l’industrie automobile. On consolide cette filière en repositionnant les sous-traitants au centre de la chaîne de production. Mais, pour pouvoir localiser le plus possible la fabrication des composants d’un véhicule, il est nécessaire d’avoir un seuil de production de véhicules suffisamment élevé.

On cite souvent le Maroc lorsqu’on parle d’industrie automobile. Mais les équipementiers s’y sont implantés sous forme de filiales uniquement pour réduire leurs coûts de production et bien avant l’arrivée des constructeurs d’ailleurs. Mais il est vrai que ça reste une plateforme d’exportation pour les constructeurs.

L’Algérie n’est pas dans la même configuration. Nous avons une réglementation qui suppose la création de sociétés mixtes 51/49. Un équipementier ne s’installerait donc pas en Algérie pour en faire une base d’exportation dans un premier temps. La multiplicité des constructeurs permet d’obtenir le seuil de production escompté pour pouvoir à terme drainer un tissu de sous-traitants. Un équipementier suivra toujours son donneur d’ordres s’il lui octroie un plan de charges.

Le ministre de l’Industrie, Mahdjoub Bedda, prépare un nouveau cahier des charges pour la production des véhicules. Pouvez- vous nous énumérer les failles du cahier des charges élaboré par son prédécesseur ?

Le taux d’intégration n’est qu’un outil parmi tant d’autres pour nous permettre de mesurer le taux de localisation et le cahier des charges a été rédigé uniquement dans cet objectif. Exemple : si aujourd’hui Fiat ou Peugeot créent une JV avec un groupe public ou privé, vous pouvez intégrer dans le contrat qui lie les deux parties des clauses qui pourraient être plus engageantes qu’un simple taux d’intégration à respecter.

Le ministre de l’Industrie confirme la volonté du gouvernement de consolider la place des sous-traitants comme maillon fort de la chaîne de production. En tant qu’experts internationaux du domaine, nous partageons et appuyons parfaitement cette démarche. Mais il me semble que l’État, dans une économie intégrée, devrait avoir uniquement un rôle de « régulateur ». L’état vient à mon sens en soutien et support au développement d’une économie de marché et non pas en « substitution ».

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Concrètement, l’action de promulguer un cadre réglementaire (décret) pour mettre l’intégration locale au cœur du développement du secteur automobile me semble intéressante mais uniquement pour émettre un signal fort auprès des constructeurs. C’est ensuite en effet le maillage des actions des différentes organisations économiques et patronales couplées à celles des entités institutionnelles qui permettent d’aboutir à un développement sectoriel ou industriel intégré. Et c’est là que les programmes Public-Privés prennent tout leur sens.

Votre association a-t-elle été consultée par le ministre de l’Industrie dans le cadre de la préparation du nouveau cahier des charges ?

Nous avons en effet été sollicités afin d’apporter notre vision du secteur et participer à des réunions dans cet objectif. Le cahier des charges reste à mon sens un projet interne au ministère, réalisé avec l’appui d’experts.

Le gouvernement est en phase de revoir le système CKD, qui a prouvé ses limites selon le ministre. Quelle est votre opinion ?

Qu’entendez- vous par « limites » ? À ma connaissance, en dehors de Renault dont l’usine a été inaugurée en 2014, les autres unités ne sont opérationnelles que depuis peu. Le cahier des charges indique que ces unités devront respecter un taux d’intégration de 15% sous 3 ans et 50% sous 5 ans à compter de la mise en production. Donc, concrètement compter 3 ans et 5 ans à partir de 2017.

C’est maintenant que le travail commence et on doit par contre faire le nécessaire pour qu’en effet les constructeurs respectent leurs engagements en matière d’intégration locale dans les 3/5 années à suivre.

Mais au risque de me répéter, il est impératif d’avoir des indicateurs industriels qui nous permettent de mesurer l’évolution de la sous-traitance de façon pragmatique d’année en année afin de ne pas se louper une fois l’échéance arrivée.

Le nombre de composants intégrés, d’emplois créés, de sous-traitants homologués chez le constructeur, etc. Ce sont ces indicateurs qui devraient, me semble-il, devoir faire l’objet d’un suivi rigoureux, et là je reviens au contrat de performances qui pourrait intégrer ces indicateurs de suivi.

Le gouvernement propose de fixer un quota pour le montage des véhicules en fonction du taux d’intégration. Est-ce une piste sérieuse ? Comment peut-on aller vers un taux d’intégration fort en l’absence d’un tissu de sous-traitance locale ?

Vous savez… dans l’industrie, tout est question de volumétrie. Que ce soit un composant véhicule ou le véhicule-même, plus le volume de pièces fabriquées est important, plus vite vous optimisez votre outil de production, donc réduisez les coûts de fabrication de votre pièce. Et c’est ce postulat qui va « driver » une implantation rapide d’équipementiers et sous-traitants autour des donneurs d’ordres.

En clair, plus vite les constructeurs atteindront un seuil de production de véhicules élevé, plus vite on ira vers la construction d’un écosystème automobile, donc augmenter le taux d’intégration locale. Mais il faut garder en vue que la montée en cadence ne peut se faire que progressivement.

Concernant Renault, les autorités algériennes semblent être aujourd’hui mécontentes du bilan du constructeur français qui avait bénéficié de plusieurs avantages. L’Algérie a-t-elle mal négocié ce contrat ?

Il est évident que Renault ne pouvait pas justifier à elle seule l’existence d’un écosystème automobile. Mais encore une fois, un travail important a été entamé ces 3 dernières années pour nous permettre d’amorcer la réindustrialisation dans ce secteur grâce à l’implantation de nouveaux constructeurs. C’est ce qui compte. Cela ne sert à rien de regarder derrière le rétroviseur. Il faut continuer d’avancer.

Lorsque Renault s’était implanté au Maroc, le tissu de sous-traitance était d’ores et déjà structuré autour de grands équipementiers qui s’y étaient implantés plusieurs années avant l’arrivée du constructeur. Nous n’étions pas dans la même configuration en Algérie en 2012.

Une nouvelle équipe dirigeante a été désignée chez Renault pour conduire cette unité vers de nouvelles ambitions, gageons que cette unité, comme les autres, tiendront leurs engagements sous 3 ans. En tout état de cause, notre organisation y veillera.

Quelles sont les démarches à entretenir pour faire un pas en avant dans ce secteur ?

Pour l’instant, il me semble avant tout important de « dépassionner » les débats sur ce secteur. L’industrie ne représente que 7% du PIB du pays, et le secteur automobile est certes un secteur stratégique mais il est dans sa phase de consolidation, voire re-lancement. On se doit de rester focalisés sur l’objectif à atteindre et tout système est perfectible.

Concrètement, comment cela est-il possible ?    

C’est très simple. C’est une forme de contrats qui permet à l’acheteur (l’Algérie en l’occurrence) d’exiger en contrepartie d’une commande auprès d’un pays tiers des contreparties économiques. Prenons l’exemple du secteur de l’énergie où nous pourrions être en négociation avec un pays tiers sur un contrat donné.

Étant donné notre position confortable dans ce secteur, on peut exiger à l’autre partie intéressée par une commande chez nous de mobiliser des équipementiers dans des filières déterminées pour s’implanter en Algérie. En clair, on veut bien vous passer commande mais en échange, on souhaite que 10 équipementiers de renom s’implantent en Algérie.

Et dans le secteur des hydrocarbures, on peut un peu plus « exiger » que dans le secteur automobile.

Les photos diffusées sur Internet concernant les voitures montées de Hyundai ont choqué plus d’un. Concrètement, sommes-nous là dans le système SKD ?  

Je ne souhaite pas entrer dans cette polémique, mais plutôt rester pragmatique face à ces sujets.

Le cahier des charges indique que le constructeur doit atteindre un taux d’intégration de 15% sous 3 ans et 50% sous 5 ans à compter de la mise en production. La mise en production de l’unité de Hyundai date à ma connaissance de Décembre 2016…

Je pense qu’il faut sortir de ce débat stérile et avancer sur la feuille de route sectorielle tout en réunissant encore une fois les trois parties (gouvernement, constructeurs et sous-traitants) autour d’une vision commune et partagée.

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