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Crise économique et sanitaire : entretien avec Smail Lalmas

Crise économique et sanitaire : entretien avec Smail Lalmas

La crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19 a fait chuter les prix du pétrole à des niveaux très bas. Comment le pays pourra-t-il faire face à cette crise économique doublée d’une crise sanitaire ?

Smail Lalmas, expert et consultant en économie. Effectivement, cette pandémie du Covid-19 a fait déclencher l’état d’urgence notamment économique au niveau mondial, causant un impact sévère sur les économies de la planète. Avant de parler des recettes de sortie de cette crise, il faut avant tout identifier quelques conséquences de cette crise pour pouvoir proposer quelques mesures nécessaires pour atténuer son impact. Il faut se rappeler que des pays importants comme la Chine, considérée comme l’atelier du monde, est pratiquement à l’arrêt depuis quelques mois.

Sur le plan économique, les mécanismes se grippent, les incertitudes affolent les marchés mondiaux, les cours du pétrole s’effondrent… Une forte dépression économique s’installe donc : baisse de la croissance du PIB et bien sûr du pouvoir d’achat, avec à la clé un chômage de masse, une dépression de l’offre et aussi celle de la demande.

Comme vous devez le savoir, la dépendance totale de notre économie aux hydrocarbures sera fortement pénalisée par cette baisse des cours du pétrole. Cette nouvelle chute va certainement aggraver la crise multidimensionnelle que traverse déjà notre pays, mettra forcément notre gouvernement dans une situation difficile, surtout avec la fonte de nos réserves de change et l’arrêt de la planche à billets.

Les conséquences de cette crise se feront très tôt ressentir sur le pouvoir d’achat des couches les plus démunies, les budgets de fonctionnement de l’État et aussi sur les investissements, en plus clair des conséquences sur la confiance en l’avenir. Pour cela, des mesures urgentes et courageuses s’imposent loin du fatalisme et des discours populistes. Les schémas classiques de sortie de crise doivent laisser place à beaucoup d’imagination et surtout des mesures d’anticipation en mettant en place des mécanismes pour éviter que les entreprises aillent en crise et fassent faillite. Il faut tout simplement imaginer des mesures d’anticipation qui vont permettre aux entreprises comme aux personnes d’avoir confiance en l’avenir.

Sur le plan sanitaire, comme sur le plan économique, on ne sait ni comment éradiquer ce virus ni comment stopper la chute économique, on est juste des spectateurs en mode attente d’un remède médical, pour nous soigner et pouvoir vivre, et d’une relance économique mondiale pour booster les prix du pétrole et nous permettre ainsi de survivre.

Vous aurez remarqué que beaucoup de pays ont déclaré clairement la guerre contre ce virus, en actionnant des travaux de recherche du remède contre le Covid-19. Pendant ce temps, notre gouvernement déclare la guerre aux commerçants et revendeurs de semoule, de pomme de terre et de sachets de lait.

Le président Tebboune a annoncé mardi soir que l’Algérie va complètement changer de modèle économique de telle sorte que les hydrocarbures ne représenteraient plus que 30% des rentrées du pays. Un tel pari est-il réalisable au point où en est l’économie nationale ?

L’Algérie aurait dû anticiper l’après-pétrole depuis longtemps, en cherchant de nouvelles ressources économiques autres que le pétrole, en cherchant à réduire la dépendance au pétrole, afin de parvenir à une plus grande diversification de l’économie locale et d’assurer la future croissance économique du pays. Mais malheureusement, ce discours revient souvent en période de crise et disparait quand les prix du pétrole se portent bien.

Ce pari pourrait être réalisable s’il répond à une stratégie d’État en mobilisant tous les moyens pour l’atteindre en prenant en considération les invariants stratégiques plus simplement, les contraintes externes et internes. Mais malheureusement, l’Algérie n’a pas mis en place une stratégie multifocales, qui lui permettrait de voir loin et large et à renoncer à investir dans son futur et ce depuis fort longtemps.

Or, le pari de la diversification, d’ailleurs, je l’ai souvent évoqué dans mes différentes interventions, reposerait largement sur le capital humain, mais pas seulement. D’autres paramètres sont essentiels pour réussir ce pari notamment la légitimité du pouvoir porteur de ce projet, sa crédibilité, la qualité du projet lui-même et surtout le paramètre confiance, indispensable pour ce grand chantier qui nécessite la mobilisation de tout le peuple, car c’est ce dernier qui doit porter ce projet vital et stratégique pour l’avenir de notre pays.

Pour revenir donc à votre question, sans les paramètres cités, ce pari ne sera pas réalisable, restera juste au stade de pari porté par un discours dicté par la conjoncture actuelle.

Au passage, je dois signifier, encore une fois, que l’investissement dans la formation est de loin l’investissement le plus rentable, le plus durable et le plus sûr. Le pouvoir n’a pas compris ou ne veut pas comprendre l’importance de l’investissement dans l’Homme, provoquant ainsi un grand gâchis vu le potentiel humain considérable et doué dont nous disposons, qui profite et fait le bonheur d’autres pays.

Des groupes privés font basculer leur production pour produire des masques et des gels. l’État mobilise les entreprises publiques pour faire face au manque de moyens de protection, interdit l’exportation des produits de première nécessité… L’Algérie est-elle entrée dans une économie de guerre ?

Il faut savoir par définition que l’économie de guerre repose sur les mesures prises par un pays afin de gagner une guerre. Dans ce cas de figure, les principes qui sont les fondements même de l’économie, c’est-à-dire faire des profits, ne sont plus de mise, mais plutôt, de tout mettre en œuvre pour ressortir gagnant de cette guerre.

Aujourd’hui, avec le Covid-19, nous devons adapter de façon rapide notre économie pour répondre à un enjeu sanitaire, donc une adaptation de l’appareil productif avec la contrainte temps et savoir-faire, pour faire barrage à ce virus.

En même temps, il est demandé aux entreprises de satisfaire le marché en produits délicats et sensibles, comme des appareils pour respiration artificielle qui doivent répondre aux normes internationales, idem pour les masques, donc un travail de normalisation et d’homologation doit accompagner cet effort, il y va de la santé des personnes.

Il faut donc à mon avis, identifier les entreprises qui ont les capacités de répondre aux besoins du moment et après mettre les passerelles pour une coopération public-privé réelle en prenant en considération les lourdeurs administratives que nous connaissons bien. Je suggère la création de groupements d’entreprises ou de consortiums pour produire ou reproduire le même modèle sélectionné, ou un modèle existant, pour réussir le pari de la quantité et des délais. Je pense que si on utilise les personnes qu’il faut, c’est-à-dire crédibles, avec des mots justes, cette chaine de solidarité s’installera et réussira ce challenge.

Par ailleurs, un important travail d’organisation, de facilitation et de coordination doit être mis en place pour éviter que les bonnes volontés des uns et des autres se dispersent ou s’évaporent.

Par contre, je ne trouve pas du tout normal d’interdire les exportations de produits fabriqués en Algérie, par souci de faire face aux besoins de notre marché, cela va engendrer la perte du peu de parts de marché que nous avons à l’international.

À mon avis, il faudrait plutôt accorder plus de facilitations à nos entreprises exportatrices afin de développer leurs capacités de production, pour pouvoir satisfaire la demande intérieure sans pour autant perdre nos parts de marché à l’international. Normalement, on devrait penser déjà à l’après crise du Covid-19.

l’État a-t-il prévu des mesures spéciales au profit des entreprises économiques ou privées qui subissent de plein fouet les retombées de la crise sanitaire ?

Vous savez, le gouvernement devrait déjà revoir ses prévisions budgétaires de la loi de finances 2020 qui sont basées sur un baril à 50 dollars et un prix de marché à 60 dollars.

Si la crise devait à la fois s’amplifier et durer, un grand nombre d’entreprises disparaitraient, même dans le cas d’un scénario le plus optimiste, le retour à la normale prendra du temps. Pour cela, à mon avis, un plan anti-faillite doit être mis en place avec comme stratégie gouvernementale de garantir la survie des entreprises et donc de l’emploi.

Le plan anti-faillite doit garantir aux entreprises de résister à cette crise avec des mesures courageuses et dans les meilleurs délais, la liste de mesures est longue mais on pourrait éventuellement penser déjà au report d’impôts, mettre en place un dispositif qui garantit le chômage partiel avec des indemnisations pour préserver l’emploi, un rôle plus souple et plus efficace de la banque pour des opérations de financement et de refinancement de leurs dettes, …quelques mesures à mettre en place rapidement et loin des freins bureaucratiques.

Ce qui est certain est que cette pandémie a montré encore une fois les graves failles de notre système qui est en totale déconnexion par rapport aux nouvelles mutations.

Allons-nous profiter encore une fois de nos erreurs pour se remettre en cause et penser à bâtir un nouveau système de gouvernance moderne et plus efficace, ou bien continuer encore à naviguer à vue avec un avenir incertain au final ?

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