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Déchéance de la nationalité : une nouvelle boite de Pandore

Déchéance de la nationalité : une nouvelle boite de Pandore

Au moment où une autre approche dans le traitement de la crise politique était attendue, dans une conjoncture marquée par le retour des manifestations de rue, le gouvernement sort un texte inattendu qui s’ajoute à ceux adoptés durant l’année 2020 et qualifiés par d’aucuns de lois liberticides.

En somme, on est dans la même logique implacable : à un phénomène conjoncturel et à portée limitée, on adopte une loi pérenne qui risque de faire des ravages par son élasticité. Le projet de loi sur la déchéance de la nationalité algérienne d’origine ou acquise, annoncé mercredi soir, pose problème à plus d’un titre.

Son adoption risque d’abord de buter sur un casse-tête juridique. L’Assemblée populaire nationale (APN) étant officiellement dissoute, il ne reste que la voie de la promulgation par ordonnance qui est certes prévue par la Constitution mais seulement entre deux sessions du Parlement.

Quand bien même l’écueil n’est pas insurmontable, il subsistera un gros problème politique qu’il ne sera pas facile d’évacuer. L’avant-projet de loi est annoncé à quelques mois des élections législatives (qui pourraient se tenir dans les trois mois, selon le président de la République) et son adoption devrait survenir à quelques semaines de cette échéance de laquelle sera issu un nouveau gouvernement, d’après toujours l’engagement du chef de l’État.

Celui-ci a bien expliqué lors de sa dernière sortie télévisée qu’il n’a pas procédé à un remaniement significatif à cause de l’approche de l’échéance électorale. Pourquoi donc adosser à un gouvernement sortant, censé expédier les affaires courantes, une loi d’une telle importance et aux conséquences qui pourraient s’avérer lourdes tant pour l’état des libertés que pour l’image du pays ?

Quelle urgence appelle l’adoption maintenant d’un tel texte, qui s’apparente à une mesure extrême, sinon le souci de disposer d’un outil supplémentaire dans la gestion sécuritaire de la contestation ?

Ce qui nous amène à l’essentiel, soit les objectifs de la loi et sa teneur ainsi que les intentions du pouvoir. Selon le communiqué du gouvernement publié hier mercredi, sont exclusivement visés par les dispositions du texte, les Algériens résidents à l’étranger qui se rendent coupables d’actes causant « de graves préjudices aux intérêts de l’État »,  « qui portent atteinte à l’unité nationale » ou qui adhèrent à « une organisation terroriste ».

Le texte stigmatise dangereusement la diaspora algérienne à l’étranger, qui est pourtant très attachée à l’Algérie comme elle le montre à chaque fois que cela est nécessaire. Le gouvernement trace désormais une ligne claire entre les Algériens résidents et leurs compatriotes qui vivent à l’étranger.

Pour les motifs évoqués susceptibles de mener à la déchéance de nationalité, si ce dernier concept (adhésion à une organisation terroriste) ne prête pas à équivoque, le premier reste vague dans un pays où l’on confond l’État et le pouvoir alors que le second risque de donner lieu à des interprétations abusives et de reproduire la situation vécue en interne depuis le virage répressif de juin 2019. Il peut ouvrir une nouvelle boîte de Pandore aux conséquences incalculables, et provoquer des injustices irréparables.

L’ambiguïté et l’élasticité ouvrent la voie aux abus

Des dizaines de jeunes ont été arrêtés, jugés et condamnés pour justement « atteinte à l’unité nationale » pour avoir manifesté, arboré le drapeau amazigh et même parfois l’emblème national ou simplement porté le maillot d’un club de football.

On n’ira sans doute pas jusque-là, mais il reste que rien ne garantit que le champ d’application du nouveau texte ne s’étendra pas aux opposants établis à l’étranger et même aux simples citoyens qui activent pour le changement en participant à des manifestations et autres actions.

L’ambiguïté et l’élasticité de cette loi constituent un danger pour les libertés comme le sont celles adoptées l’année dernière avec la même précipitation. À considérer qu’elle vise certains activistes bien connus sur les réseaux sociaux, la loi est aussi inutile et ses effets pourraient s’apparenter à un coup d’épée dans l’eau.

Les déchoir de la nationalité algérienne ne changera pas grand-chose à leur situation étant donné que plusieurs d’entre eux sont sous le coup de mandats d’arrêt, ne voyagent pas au pays, ne traitent pas avec les consulats d’Algérie et disposent de l’asile dans les pays d’accueil et donc de passeports de réfugiés politiques.

Sur le plan juridique, cela fera d’eux des apatrides, un statut qui leur offrira encore plus de facilités outre-mer. Ce sont au contraire les autorités algériennes qui risquent de s’en sortir avec une épine au pied et le grief de créer des apatrides, un acte interdit par la convention de New York de 1961 sur l’apatridie.

L’Algérie n’est pas signataire du texte, mais elle pourrait bien se passer d’une telle accusation qui reste moralement contraignante. Si, encore une fois, c’est cette catégorie qui est ciblée,  il serait plus judicieux et moins périlleux de s’attaquer aux causes qui font que les Algériens préfèrent s’informer sur des pages émettant de l’étranger que sur les médias nationaux.

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