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Déchéance de nationalité : « Le projet de loi traduit un malaise au sein du pouvoir »

Déchéance de nationalité : « Le projet de loi traduit un malaise au sein du pouvoir »

Le sociologue politique, Nacer Djabi met en garde contre les conséquences du projet de loi sur la déchéance de la nationalité algérienne dont le gouvernement a entamé la préparation.

L’Algérie veut se doter d’une loi sur la déchéance de la nationalité. Un avant-projet de loi a été présenté mercredi 4 mars au gouvernement. Il suscite de nombreuses réactions hostiles. Que signifie cette démarche et qui est visé ?

Je pense que la promulgation d’une telle loi traduirait d’un côté la peur du régime des citoyens et d’un autre sa prise de conscience de son manque de légitimité. Voire même qu’il s’en est éloigné affectivement par sa façon de réfléchir ainsi.

Une telle loi approfondira le fossé entre les Algériens et le système ainsi que ses symboles, et accroîtra aussi la rupture avec lui. Effectivement, au début, il se pourrait que ce sont des figures bien déterminées qui dérangent le pouvoir et qui résident à l’étranger, qui sont visées.

Cependant, le champ d’application de ce texte pourrait toucher d’autres catégories plus larges des Algériens résidents à l’étranger qui ressentiront de la peur en faisant part de leurs opinions dans une période où le peuple algérien s’est soulevé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur pour réclamer davantage de libertés.

Des citoyens qui savent par expérience que la justice en manque d’indépendance et d’expérience et qui, lorsqu’elle rédige des lois, souvent générales et aux contours incertains, celles-ci peuvent être élargies pour englober des catégories qui n’étaient pas visées dans un premier temps.

Et c’est là que peut se produire l’abus que redoutent les personnes visées par cette loi.

Dans un article que vous avez publié dans le journal « Alquds Alarabi » cette semaine, vous avez signalé qu’aucun président depuis l’indépendance de l’Algérie n’a osé une pareille démarche contre des opposants à l’étranger y compris Houari Boumediene durant ses premières années de règne. Comment expliquez-vous que le pouvoir actuel ait pu franchir un tel seuil ?

A titre personnel, et à l’instar de beaucoup d’Algériens, j’ai été surpris par ce projet de loi. Parce que le régime n’a pas besoin davantage d’isolement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Cet avant-projet de loi traduit un malaise au sein du pouvoir. Le texte va accentuer les problèmes entre le régime et les Algériens de l’intérieur et la communauté nationale à l’étranger, mais aussi avec l’opinion publique internationale.

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La seule explication que j’ai trouvée c’est le manque de discernement politique, et une certaine imprudence dans la prise de décision, comme une preuve de l’instabilité des institutions…

Les anciens présidents, malgré la faiblesse de leur légitimité et le sentiment de peur pour eux-mêmes et leur régime, comme ce fut le cas de Houari Boumediene durant les premières années qui sont suivi son coup d’État contre Ahmed Ben Bella, n’ont pas recouru à ce genre de loi pour déchoir les Algériens de leur nationalité.

Même si par exemple Boumedienne avait abusé dans son refus de délivrer ou renouveler des passeports pour certains opposants et même utiliser la justice contre eux.

Chadli Bendjedid, au contraire, a ouvert les portes de l’Algérie à de nombreux opposants parmi eux Ben Bella, Tahar Zbiri, Bachir Boumaza… Après que la situation politique se stabilisât pour lui, et qu’il n’avait plus peur pour lui et son régime.

Si ce texte passe réellement -je persiste à croire qu’il sera retiré- les Algériens se souviendraient de Tebboune comme le président qui a déchu les Algériens de leur nationalité. Une loi qui ternira l’image du pays, et pas seulement celle du régime et de ses hommes.

Quand bien même, il s’agisse d’un seul Algérien, un texte pareil affaiblira à coup sûr la situation des immigrés algériens à l’étranger, notamment en Europe, au moment où s’y renforcent les courants d’extrême droite qui réclament leur expulsion.

Vous dites que le projet de loi de la déchéance menace de provoquer une rupture du lien politique et affectif entre les Algériens et leur Etat-nation. Au vu d’une telle menace, le mieux ne serait-il pas de renoncer à ce projet de loi ?

Effectivement et je plaide, comme beaucoup d’autres, pour le retrait de ce projet de loi scandaleux. Ni les Algériens, ni le régime politique qui vit une situation d’isolement à l’international, n’ont besoin d’un tel texte.

Le régime va créer un état de polarisation dont il se serait bien passé. Par conséquent, le mieux c’est d’abroger ce projet de loi qui risque de causer une rupture affective et politique supplémentaire entre les Algériens et leur Etat national et entre eux et leur pays.

Vous dites que le projet sur la déchéance de la nationalité n’est pas bon pour le régime lui-même, pourquoi ?

J’espère que ce projet sera annulé et rapidement. Pour le bien du régime lui-même et ses hommes et à leur tête le président Tebboune pour qui le projet en question pourrait être un piège politique, que l’intention y soit ou pas.

Lui qui fait face à de nombreux défis. Il y a une incapacité manifeste au sein des institutions et les centres de décision qui pourrait se transformer en un réel danger surtout devant la faiblesse du niveau des élites officielles incapables de comprendre ce qui se passe dans la société et dans le monde.

Des élites qui vivent un état de rupture politique et même psychologique dans leur rapport avec le peuple. Cela s’est vérifié plus d’une fois dans les discours et dans la pratique.

Nous pensions qu’il s’agissait de maladresses personnelles, mais à force de se répéter elles deviennent une constante chez ces élites dirigeantes…

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