
Il rêvait d’une carrière militaire, mais le destin en a décidé autrement. Aujourd’hui, il dirige l’un des établissements hospitaliers les plus prestigieux du pays, l’hôpital Chahids Mahmoudi de Tizi-Ouzou.
Dr Saïd Mahmoudi, radiologue de formation qui travaille toujours dans son hôpital comme médecin spécialiste en imagerie médicale, est un exemple dont la réussite est loin d’avoir été évidente. Pour cause : une enfance chaotique conjuguée aux vicissitudes de la vie.
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Dr Saïd Mahmoudi raconte son parcours
« J’ai eu peut-être de la chance, mais aussi du courage, la peur je ne sais pas ce que c’est », avoue à TSA ce bâtisseur algérien hors du commun.
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Médecin par destin, sa famille lui ayant refusé d’embrasser une carrière militaire, il s’est imposé au fil des années comme l’un des pionniers du secteur médical privé en Algérie.
Pourtant, rien ne laissait présager une telle trajectoire. Né en novembre 1960, orphelin de père mort au maquis, il a grandi en pleine guerre, dans une région meurtrie, dont la misère et les privations étaient le lot quotidien de nombreux de ses concitoyens.
« Je suis né orphelin. Mon père est mort pendant que j’étais embryon dans le ventre de ma mère », confie-t-il.
Le docteur Mahmoudi porte le prénom de ce père qu’il n’a jamais connu, maquisard, tombé au champ d’honnneur en 1960 lors d’un accrochage avec l’armée coloniale. Il porte aussi l’héritage d’une famille révolutionnaire, marquée par la guerre de Libération : un grand-père engagé dans le PPA, emprisonné à plusieurs reprises et exécuté en 1957, un oncle tué dans le Djurdjura après avoir déserté une caserne de l’armée française à Blida, une grand-mère incarcérée de 1958 à 1962 et une mère qui a suivi son mari au maquis, sauvée in extremis par l’intervention de son père, qui avait dû corrompre des officiers de la SAS pour lui épargner la mort.
« Ma mère avait 24 ans quand elle m’a mis au monde. Elle avait suivi mon père au maquis. J’ai été conçu dans un village du côté de Maâtkas où mon père retrouvait ma mère. Quand elle a su que mon père était mort, c’est mon grand-père maternel qui est allé la chercher et il a dû corrompre des officiers de la SAS pour qu’elle ait la vie sauve », raconte-t-il.
Jusqu’à l’âge de 5 ans, l’enfance de Saïd Mahmoudi se déroule dans le silence et le secret car, entre-temps, sa mère se remarie avec son oncle divorcé rentré de France. Il ne découvre, en fait, la mort de son père que par hasard, dans la rue, à travers les moqueries d’autres enfants. « Je suis rentré en pleurant, ma mère m’a calmé ».
Une blessure intime qui va probablement façonner son rapport à la vie et forger son caractère. Il y a aussi le soutien de ses oncles dont il n’est pas prêt d’oublier le rôle dans son épanouissement. « J’avais un autre oncle qui était exilé en Allemagne. Il a été expulsé, il était à la fédération de France du FLN, marié à une Allemande et est rentré après l’indépendance. C’est grâce à ces deux messieurs que j’ai pu aller à l’école, que j’ai été éduqué, encadré ; c’étaient des références d’hommes dans ma famille, mes exemples ».
Le parcours du combattant
Après l’école primaire au village jusqu’à 1972, Saïd Mahmoudi réussit l’examen de sixième et se retrouve au collège de Draâ Ben Khedda, qu’il gagne à pied.
« Pour passer l’examen de sixième, on est parti à trois heures du matin avec des lampes, à pied », se souvient-il. De ces années passées à Draâ Ben Khedda, il se rappelle de ces moments difficiles partagés avec un ami. « On me donnait un dinar, je partageais le repas avec un ami sur la voie ferrée ».
Mais pas de quoi décourager le jeune garçon déterminé à réussir. Au bout de quatre années, il intègre le lycée Amirouche à Tizi-Ouzou où il décroche le baccalauréat en 1979.
Un malheur vient cependant frapper la famille qui n’a pas été épargnée par le sort. « Quand j’allais partir au lycée, l’oncle qui travaillait beaucoup pour nous, jeune et ancien de la fédération de France, a été tué lors d’un accident à DBK. Il a laissé huit enfants. Donc, mon grand-oncle s’est retrouvé à prendre en charge ses enfants, ceux de mon oncle et nous. On fait alors une traversée du désert de 1976 jusqu’à 1983, année ou ma grand-mère a été réhabilitée dans ses droits ; elle avait fait la guerre, donc elle a eu de l’argent, neuf millions de centimes. Et c’est ce qui a permis à la famille de se repositionner ».
Le bac en poche, Said Mahmoudi rêve alors d’intégrer l’école militaire de Cherchell. Mais sa famille s’y oppose. « Jamais tu ne feras une carrière militaire, on n’a rien gagné avec la casquette », lui dit-on.
Il s’inscrit alors en médecine « par dépit », dit-il, avant de découvrir, peu à peu, une vocation. Étudiant à Alger, il vit dans des conditions précaires. Sans chambre universitaire, il rate son premier semestre, puis se reprend.
En 1985, il obtient son diplôme de médecin généraliste et se spécialise en radiologie. Au terme de son résidanat en 1991, il est affecté à Djelfa. Mais faute de moyens dans la structure où il est envoyé, il décide de jeter l’éponge.
« Je me rappelle, on m’a donné un poste à Djelfa. Sur place, j’ai vu la situation, il n’y avait rien. Il y avait seulement une petite table de radiologie. Je me suis dit alors: « si je passe ici trois ans, c’est foutu, donc j’ai refusé » ».
La conjoncture politique et économique des années 1990 bouleverse ses plans. Les hôpitaux algériens manquent de moyens, les postes se raréfient et les médecins partent en nombre à l’étranger. Mais, lui décide de rester. « Je ne me voyais pas à l’étranger» alors qu’il était plus facile de partir que de rester.
C’est alors qu’un ami lui suggère de se lancer dans une entreprise privée. En 1992, il s’installe à Draâ Ben Khedda. Son premier cabinet n’est qu’un garage de 50 m², équipé d’une table de radiologie récupérée de chez un confrère à un de ses amis, de Beni Douala, et d’un échographe offert.
« C’était une aventure », admet-il aujourd’hui. Avec les économies engrangées, le succès aidant, il contracte un crédit bancaire pour s’acheter un local de 250 m2 à Tizi–Ouzou.
Pendant trois ans, il travaille à la lumière d’un groupe électrogène avant d’obtenir un raccordement à l’électricité. Malgré ces difficultés, il persévère et ne se laisse pas décourager.
Le tournant
« J’ai acheté un scanner, j’ai travaillé tant bien que mal, c’était une période difficile (….), j’ai acheté un autre scanner en 1999. Mais, le virage vraiment, c’est l’achat de l’IRM en 2005. J’ai investi un million d’euros, j’ai fait un gros investissement, c’était un crédit d’ailleurs, mon deuxième crédit. En l’installant, c’était le changement car c’était le premier IRM dans toute la région. Il n’y avait ni à l’hôpital, ni dans le privé », se souvient-il.
Grâce au wali, il obtient ensuite un lopin de terre, mais au prix de bien des entraves, certains « puissants voulant se l’accaparer », dit-il.
Et ce n’est qu’en 2010 qu’il lance la construction d’un centre anti-cancer et de cardiologie d’envergure internationale. Ce projet, mûri depuis 2003, inspiré aussi de ses voyages à l’étranger, notamment aux États-Unis, voit le jour en 2015 après des années de démarches et de bien d’obstacles administratifs.
Le centre se dote du premier cyclotron privé du pays et réalise les premiers examens Pet Scan dès 2016, bien avant d’autres structures publiques. Aujourd’hui, l’hôpital Chahids Mahmoudi qui a remboursé presque la totalité de ses crédits emploie plus de 530 personnes et une cinquantaine de médecins. Et ses prestations sont très demandées.
Pour le docteur Mahmoudi, ce parcours illustre le potentiel du pays. « En vingt ans, la santé en Algérie a énormément évolué. Mais il reste à améliorer la gestion, la formation et la rémunération », estime-t-il.
Dans le même registre, le Dr Saïd Mahmoudi plaide pour une meilleure complémentarité entre le public et le privé. « Le système de santé est en train de changer. L’État commence à conventionner de nouvelles spécialités. Mon souhait, c’est que la médecine soit réellement gratuite et accessible à tous », dit-il.
Exode des médecins algériens
« Il faut qu’on arrive à un système égalitaire et que la médecine soit réellement gratuite », plaide-t-il. Même s’il refuse de jeter la pierre sur les médecins partis monnayer leur talent sous d’autres cieux, le Dr Saïd Mahmoudi ne regrette pas d’être resté dans le pays dont il prédit un avenir radieux malgré les « problèmes et les difficultés ».
« Je ne regrette pas d’être resté en Algérie, je fais confiance à ce pays. Partir, ça relève de l’ingratitude. Ce pays nous a formés. C’est l’Algérie qui a financé mes études. L’État nous a formés gratuitement. Je ne condamne pas ceux qui partent, c’est un choix de vie. Mais, heureusement que nous sommes nombreux aussi à rester. C’est grâce à ces gens que l’Algérie tient et elle tient très bien. Et je vous assure que j’ai eu confiance en ce pays depuis mon jeune âge. Elle se porte de mieux en mieux. Nous avons des problèmes que tous les autres pays en ont(…). Je suis convaincu que ce pays sera dans 20 ans un État de droit avec ses enfants parce que le droit, la justice, c’est comme le malade, il y a un processus … ».
Le secret de la réussite
À 65 ans, Saïd Mahmoudi garde foi en l’avenir de l’Algérie et un ton apaisé face à la fuite des cerveaux.
« Ce n’est pas un problème propre à l’Algérie. Tant que nous ne créerons pas un cadre de vie agréable, l’émigration continuera. Mais mon souhait est que les gens reviennent. Ils vivront mieux ici, s’ils trouvent un bon salaire et une reconnaissance », soutient-il. Et lorsqu’on l’interroge sur le secret de sa réussite, il répond sans détour : « Être honnête avec soi-même et avec les autres. Rester dans l’éthique, avec le patient comme avec ses confrères. »