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Entre faiblesse de l’État et soupçons sur la mafia du foncier, la wilaya de Bejaia croule sous les déchets

Entre faiblesse de l’État et soupçons sur la mafia du foncier, la wilaya de Bejaia croule sous les déchets

TSA
Vue sur une partie de la décharge sauvage de Boulimat

Entre les collines qui surplombent la plage de Boulimat près de la ville de Bejaia, une décharge non-contrôlée s’étend sur plusieurs hectares, polluant le sol, l’air et l’eau depuis de nombreuses années.

S’étendant sur plusieurs collines et ravins bordant la RN 24 qui relie la capitale des Hamadites aux localités côtières de l’ouest de la wilaya, la décharge ne peut être vue autrement que comme une abomination.

Ses amas de détritus qui, au fil des jours finissent tous par prendre une teinte grisâtre, ravagent les paysages de la région connue pour ses belles collines tantôt boisées de pins et tantôt recouvertes de maquis et ses ravins qui offrent par endroits des percées qui permettent d’apercevoir la mer au loin.

La décharge pollue l’air en le rendant irrespirable à cause des odeurs nauséabondes qui se dégagent des milliers de tonnes de déchets qui y ont été entassés et pollue même les eaux, puisque la décharge n’a jamais été aménagée pour protéger l’eau souterraine ni les cours d’eaux nombreux qui la traversent.

Un centre d’enfouissement maudit

La route nationale N° 24 qui aurait pu être un haut lieu du tourisme vu son potentiel incontestable est devenue, du fait de la présence de cette décharge, une banale route polluée, salie, délabrée comme le sont la plupart des routes algériennes. Encore un atout touristique de taille gâché par la pollution et l’inconséquence des autorités à Bejaia.

La décharge de Boulimat est exploitée par plusieurs communes de la wilaya. Ces municipalités n’ont pas d’autres choix puisque la wilaya de Bejaia est la seule en Algérie à ne disposer d’aucun centre d’enfouissement technique ni de vraie décharge contrôlée, selon le député indépendant Braham Bennadji.

Malgré le désastre, la décharge de Boulimat continue d’être exploitée et elle continuera à l’être pendant longtemps, selon la Direction de l’environnement de la wilaya de Bejaia.

Pourtant, un centre d’enfouissement technique CET a été aménagé sur le plateau de Sidi Boudrahem, un endroit isolé de toute habitation, situé en hauteur et parfaitement adapté à un tel projet. Jusqu’au lancement du projet, aucune route ne menait vers ce plateau vaste de plus de 600 hectares et désert depuis toujours.

La réalisation du CET de Sidi Boudrahem a coûté 1,5 milliards de dinars sans compter les 630 millions qu’a coûté la construction de la route qui relie le centre à la route nationale. Tout ceci pour un projet d’envergure et d’intérêt certain pour la région qui aura été exploité pendant moins d’une année : de sa date de mise en service en août 2015 à la date de sa fermeture, par décision du wali en poste en mai 2016.

L’arrêt de l’exploitation du CET a été motivée par des « protestations de la société civile », explique Mme Fatima Belaitouche, chef du service Réglementation et autorisations à la Direction de l’environnement de la wilaya de Bejaia.

Le CET de Sidi Boudrahem à l’abandon – © TSA

Selon elle, les habitants de ces localités (notamment Hellil et Ibachirene,) situées à quelques kilomètres en contrebas des collines qui abritent le centre d’enfouissement ont manifesté pour réclamer la fermeture du centre car des eaux polluées ruisselaient de celui-ci jusqu’à leurs habitations.

Le CET a été livré « avant que le projet ne soit clôturé », d’après Mme Belatouche. C’est-à-dire dans l’urgence, puisqu’il n’y avait pas d’alternative viable à ce centre qui a été mis en service alors qu’il manquait d’équipements et d’aménagements qui l’auraient rendu plus fiable et moins polluant. Cette mise en exploitation faite avant l’achèvement de la réalisation et les protestations des habitants des deux localités ont poussé le wali de l’époque à fermer le centre, provoquant le retour en service de la décharge sauvage de Boulimat.

Ce bricolage avait fait dire à l’époque à certains élus locaux que Sidi Boudrahem n’était pas un centre d’enfouissement technique mais une simple délocalisation de la décharge sauvage de Boulimat.

Les promesses de la ministre

La ministre de l’Environnement et des Énergies renouvelables Fatima-Zohra Zerouati a visité, fin juin de cette année, la décharge de Boulimat et le CET fermé depuis longtemps. Ayant constaté le désastre écologique que représente la décharge communale, elle avait annoncé le déblocage de crédits qui allaient servir à fermer la décharge et à réhabiliter la zone. La ministre, qui s’était d’abord rendue à Boulimat avant d’aller sur le site du CET avait même annoncé la remise en service de ce dernier, selon le député Bennadji.

Mais la ministre est revenue sur sa déclaration dès qu’elle a été confrontée aux protestataires qui l’attendaient au CET de Boudrahem et avec qui elle s’est longuement entretenue avant de leur annoncer que le centre d’enfouissement allait rester fermé.

Ce maintien de la fermeture du centre devait être temporaire, et devait durer le temps nécessaire à la mise en place des équipements nécessaires à la protection de l’environnement immédiat du centre, notamment une unité de traitement de lixiviat.

Même si le manque de fiabilité du CET de Boudrahem ne fait aucun doute et que ses manques en équipements et en aménagements ainsi que la pollution qu’il a occasionnée ont été confirmés par plusieurs sources, aussi bien au sein de la Direction de l’environnement que par ceux qui appellent à la réouverture du centre, des doutes subsistent sur les réelles motivations de ceux qui tiennent à ce que le centre reste à jamais fermé.

La mafia du foncier pointée du doigt

Sur le site du CET, les traces de la protestation qu’avait soulevée l’éventualité de la réouverture du centre sont encore visibles. Les amas de terre et de gravats qui ont été déversés par les manifestants devant le portail du centre dans le but de le condamner sont encore visibles, tout comme les chapiteaux et les meubles brûlés par les protestataires lors de la visite de la ministre de l’Environnement.

Selon une source proche du dossier, ceux qui ont protesté contre la réouverture du centre d’enfouissement n’avaient pas que des motivations écologiques ou sanitaires. « Eux-mêmes sont des squatteurs. La plupart d’entre eux, si ce n’est tous, occupent des maisons et terrains de façon illicite et aujourd’hui, depuis l’ouverture de la route du centre, ils s’approprient tous les terrains qui sont autour et qui appartiennent au domaine forestier », a-t-il expliqué à TSA.

« Ils ont déjà vendu tout ça », a ajouté notre source en montrant des terrains morcelés en parcelles, clôturés, bornés et balisés tout autour du centre et à quelques mètres de celui-ci.

Les 641 hectares du plateau de Sidi Boudrahem appartiennent au domaine public de l’État et 200 hectares en ont été cédés par la Direction des forêts au profit du domaine privé de l’État afin de dégager une assiette foncière pour la réalisation de plusieurs projets, dont le CET.

Des travaux de terrassement, d’ouverture de pistes vers des chantiers, des travaux de fondation et de construction d’habitation ont été constatés tout au long de la route du CET et tout autour de celui-ci et le caractère illégal de ces travaux et de ces habitations ne fait aucun doute au vu de la nature et du statut du plateau.

Constructions illicites le long de la route menant au CET – ©TSA

« Ceux qui ont vendu et ceux qui ont acheté ces terrains, ceux qui y construisent des maisons tout autour du CET n’auront pas intérêt à ce que le centre soit de nouveau exploité », a affirmé le député Bennadji pour qui la décision de la ministre de prolonger la fermeture du centre est « une première victoire remportée par la mafia du foncier ».

Il est évident qu’énormément d’argent a été investi dans ces projets immobiliers illégaux et que ceux-ci perdront toute valeur dès la réouverture du centre – si celle-ci a lieu un jour – et ce jour-là, les autorités auront tout le mal du monde à contenir les protestations des centaines, voire des milliers d’habitants qui auront occupé d’ici là ces maisons construites sans autorisations sur des terrains acquis de façon inexplicable.

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