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EXCLUSIF – Entretien avec Ammar Belhimer, ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement

EXCLUSIF – Entretien avec Ammar Belhimer, ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement

Ammar Belhimer, ministre de la Communication / TSA

La présidence de la République a annoncé avoir instruit le gouvernement de procéder à la régularisation des journaux en ligne. Une première réunion est prévue ce jeudi 20 février. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce chantier ? Comment se fera la régularisation ?

Votre question contient déjà un premier élément de réponse. Il s’agit en effet d’un acte de régularisation. C’est-à-dire de la sortie de la presse en ligne du champ de l’informel vers la lumière du droit. Elle fait partie des chantiers de réformes que j’entends mener en ma qualité de ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Réformes avec l’appui du Premier ministre M. Abdelaziz Djerad, et qui s’inspirent en droite ligne du sixième des « 54 engagements pour une nouvelle République » sur la base desquels le président Abdelmadjid Tebboune a été élu le 12 décembre 2019.

Souvenez-vous qu’il s’est engagé à promouvoir « une presse libre et indépendante, respectueuse des règles de professionnalisme, de l’éthique et de la déontologie, érigée en vecteur de l’exercice démocratique et protégée de toute forme de dérive ». Cette instruction du chef de l’Etat n’a fait donc qu’accélérer le calendrier des réformes en nous engageant à conformer la réalité de la presse numérique avec le droit. Au même titre que les télévisions offshore, ce chantier de normalisation occupe par conséquent le haut de l’échelle des priorités.

Une première rencontre ouverte à l’ensemble des acteurs du secteur, aux experts et autres universitaires a lieu ce jeudi 20 février 2020. C’est un premier contact, une rencontre inclusive, participative, interactive et conviviale. Elle est destinée à établir un premier état des lieux de la profession. A permettre aux uns et aux autres de se connaître. D’aligner des noms et des visages sur des titres. De savoir si le paysage de la presse numérique est bien plus vaste ou moins important que la liste des 84 titres déclarés auprès du ministère de la Communication.

Comment se fera la régularisation, sur quels critères, et qu’est-ce qui changera concrètement pour les médias électroniques ? La régularisation se fera déjà sur la base d’un texte réglementaire en application des articles 66 et 113 de la loi organique relative à l’Information. Ça, c’est le premier pas qui répond à l’urgence et à la nécessité de la mise en harmonisation avec le cadre légal. Il s’agit ensuite d’écouter et de lire les préoccupations, les doléances, les critiques, les analyses, les attentes de la profession. Bref, recueillir la vision des professionnels et des experts, sachant que les acteurs de la filière numérique sont confrontés au réel et que les experts sont susceptibles d’apporter une aide conceptuelle.

On part alors du principe que la presse en ligne est en mesure de participer activement à l’effort collectif de moralisation et de démocratisation de la vie publique. Comme on part du constat que le droit n’a pas pu suivre complètement l’essor extrêmement rapide de la presse en ligne, grâce notamment au développement vertigineux des TIC. Le décalage est vite apparu entre la norme juridique et la réalité.

Sortir de la sphère informelle et de la zone d’ombre en termes de droit constituera un grand changement. Et, naturellement, les journalistes de la presse numérique auront, à l’instar de leurs confrères et consœurs de la presse écrite sur papier et des medias audiovisuels, leurs cartes de presse. Une carte qui ne sera plus délivrée par une quelconque instance administrative, mais par un organisme indépendant. De même que la qualité de journaliste sera reconnue par les pairs et seulement par les pairs.

Ce qui changera pour vous, d’autre part, relève aussi du domaine des libertés. A savoir que la création de journaux en ligne sera désormais soumise à la simple formalité déclarative de constitution. Ce qui signifie que l’activité de la presse électronique est libre et ne sera soumise qu’au respect du droit, de l’éthique et de la déontologie, et, il faut bien le souligner, au respect du droit de rectification et de réponse des consommateurs de l’information en ligne.

S’agissant de l’accès à la publicité publique, et sur le principe, les sites électroniques seront traités sur le même pied d’égalité que les autres parties de la presse nationale. L’activité des médias numériques est par définition assimilable à la presse en papier en ce qu’elle est pour partie une activité économique soumise aux règles du marché. Mais comme elle exerce une mission d’intérêt général et de service public en application de l’article 2 de la loi sur l’Information, elle sera donc éligible à la publicité publique selon des critères qui seront déterminés par la future loi sur la publicité. Loi qui sera établie après des rencontres avec les acteurs de la profession et bien d’autres intervenants car comme toute activité commerciale, la publicité a besoin d’un encadrement juridique. Sachant aussi qu’elle implique des notions comme la publicité trompeuse, la publicité comparative, la protection du consommateur, le droit d’auteur, le droit des marques, l’action en concurrence déloyale, etc. Le temps de la concertation et de la réflexion sont absolument nécessaires en dépit des urgences.

L’encadrement que vous annoncez impliquera-t-il une protection juridique qui fera que, désormais, plus aucun site ne sera bloqué comme l’ont été beaucoup de journaux électroniques, des blocages qu’aucune autorité n’assume d’ailleurs ?

Quitter la sphère informelle et s’inscrire dans le cadre légal est déjà une protection en soi. Outre celle qu’assure le respect du droit, il y a celle que garantissent le professionnalisme et la rigueur des journalistes et leur respect de l’éthique, des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs. Aucun site ne sera bloqué ou interdit du fait même de l’exercice libre et respectueux du droit. Et si des infractions caractérisées sont enregistrées, elles relèveront alors du droit.

L’encadrement touchera aussi les chaînes de télévision qui ont jusque-là un statut de chaînes offshore ?

La mise en conformité concernera naturellement les télévisions de droit étranger. Il n’y a pas de régime préférentiel. Il n’y a qu’une seule norme juridique.

Y aura-t-il un nouveau texte de loi pour l’audiovisuel ou seront-elles régularisées sur la base de ce qui est prévu dans la loi cadre de 2012 portant code de l’information ?

On verra, avec le concours des acteurs du paysage audiovisuel, s’il y a lieu de procéder à une mise à jour de la loi No 14-04 du 24 février 2014 ou de préparer un nouveau texte de loi en procédant à une remise à plat de la loi organique en question.

Quel sera le rôle de l’Arav ?

L’autorité de régulation de l’audiovisuel (Arav) est par définition une instance indépendante. La nomination de M. Mohamed Louber président de l’Arav est la preuve vivante de la volonté de la maintenir. Pour ma part, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, je ne me définis pas autrement que comme le ministre des libertés. J’ai donc tendance à penser qu’elle doit jouer pleinement son rôle et que ses moyens d’action doivent être renforcés en conséquence.

L’autorité de régulation de la presse écrite n’a toujours pas vu le jour. Pourquoi ?

La création de l’Autorité de régulation de la presse écrite est prévue dans la Loi organique No 12-05 du 12 janvier 2012 sur l’Information. Ses attributions de régulation s’étendent à la presse électronique. Pourquoi elle n’a pas encore vu le jour à ce jour ? Il faudrait peut-être interroger la gestion du secteur de la communication depuis la promulgation de la loi sur l’Information en 2012 pour trouver éventuellement une réponse à votre propre question.

Aujourd’hui, il s’agit de s’interroger ensemble sur l’intérêt à mettre finalement en place une telle instance de régulation, dans les formes définies par le législateur. Ou bien réfléchir avec les professionnels de l’information à l’idée de mettre en place un Conseil national de la presse avec des prérogatives plus larges et mieux définies que celles de l’Autorité de régulation de la presse écrite. Un conseil national de la presse qui veillerait, entre autres prérogatives, au respect de l’éthique et de la déontologie et délivrerait la carte de presse professionnelle à celles et à ceux dont la qualité de journaliste serait reconnue par les pairs et non par une quelconque autorité administrative.

Beaucoup de journaux de la presse écrite n’arrivent à subsister que grâce à l’aide de l’Etat prodiguée via la publicité publique. Comment trouver le juste équilibre entre l’impératif de se conformer aux règles de la compétitivité et la nécessité de défendre la pluralité médiatique ?

Il est vrai que beaucoup de journaux ne parviennent à subsister que grâce à la publicité publique. Le soutien indirect de l’Etat, c’est aussi les dettes des éditeurs auprès des imprimeurs publics et sur lesquelles les pouvoirs publics ont fermé les yeux par souci de ne pas précipiter la faillite de nombreux titres, avec les conséquences prévisibles en matière de destruction d’emplois. L’aide indirecte de l’Etat, c’est par ailleurs l’hébergement des journaux dans des maisons de la presse financées par l’argent public. Hébergement sous forme d’un bail de location mensuelle à raison de 200 dinars le mètre carré aujourd’hui ! Une somme astronomiquement dérisoire, vous en conviendriez !

Pour ce qui est du juste équilibre à trouver entre l’impératif d’être au diapason de la compétitivité et la nécessité de défendre le pluralisme médiatique, la question est sujette à débat et pas seulement en Algérie. Les règles de la compétitivité relèvent d’abord des capacités des entreprises de presse à être performantes ou non. Elles procèdent ensuite de la règle classique de l’offre et de la demande.

Le soutien de l’Etat est déjà prévu dans la loi sur l’Information de 2012, au titre 10 intitulé « de l’aide et de la promotion de la presse ». Les normes et les modalités d’octroi de ces aides devaient être fixées par voie réglementaire. Ces normes et ces modalités n’ont pas été dûment établies. Les affectations de ces aides ont longtemps suivi des méandres autres que les lignes droites du droit !

Ça, c’est le passé. Dans la nouvelle ère qui s’ouvre, celle de l’édification d’une nouvelle République pour laquelle s’est engagé le président de la République, dans ce « new deal for Algeria » évoqué par le Premier ministre lors de la présentation du programme d’action de son gouvernement à l’Assemblée nationale, l’Etat apportera sa contribution sous forme d’aides directes et indirectes, via de futurs fonds d’aide. Ces aides seront destinées notamment à la promotion de la liberté d’expression et à l’élévation constante du niveau professionnel des journalistes et des techniciens de l’information. Après en avoir défini les règles simples et claires d’éligibilité, dont l’assujettissement à un service public minimum pour tout titre de presse. De même que la soumission à l’obligation de contribuer au renforcement du pluralisme dans la société.

N’est-il pas temps de doter la profession d’organes d’autorégulation, comme les conseils de déontologie, les syndicats ? Qu’est-il prévu à cet effet ?

Il est en effet plus que temps de doter la profession d’outils d’autorégulation, comme les conseils de déontologie. Peut-être que le moment historique que nous vivons actuellement est plus favorable à la création de commissions de déontologie au sein des différents médias, parallèlement à la mise en place d’un Comité national de l’éthique au sein d’un Conseil national de la presse.

La profession est invitée à y réfléchir, de même qu’elle est fortement encouragée à créer des syndicats et des associations professionnels ayant vocation de défendre méthodiquement et énergiquement les intérêts moraux et matériels de l’ensemble des éléments de la chaîne de production de l’information. Il ne faut pas tout attendre de l’Etat, car le salut ne vient pas toujours du ciel !

La profession doit s’organiser et ses différentes catégories de producteurs de l’information doivent apprendre à se prendre en charge. Un bon journaliste ou un bon JRI d’aujourd’hui, c’est aussi un journaliste et un JRI syndiqués.

On parle beaucoup de la précarité sociale des journalistes. Quelles mesures faut-il engager pour améliorer leur situation ? Un droit de regard peut-être au moins sur les journaux bénéficiant de la publicité publique ?

Il y a trois volets dans votre question : la précarité sociale des journalistes, les mesures qui devraient être prises pour améliorer leur situation et un droit de regard sur les journaux bénéficiant de la publicité publique.

La précarité sociale des journalistes, et pas seulement celle des journalistes dans les entreprises de presse, est plus évidente dans la presse privée. Les inégalités de traitement et les disparités salariales distinguent davantage la presse privée par rapport à la presse publique où les grilles de salaires sont depuis quelques années plus avantageuses et surtout moins déséquilibrées. Des corrections et des améliorations ont été apportées dans la presse publique où la sécurité de l’emploi est mieux assurée. Ce n’est manifestement pas toujours le cas dans la presse privée où existent des formes de précariat. C’est un constat.

L’Etat n’a pas vocation à faire à la place de la presse privée ce qu’elle doit faire en matière de justice sociale. C’est aux entreprises de presse privée et publique de mieux rémunérer le professionnalisme et le mérite et de veiller à toujours élever le niveau et la qualité professionnels de leurs salariés. La loi sur l’Information stipule que les « entreprises d’information doivent consacrer un taux de 2% de leurs bénéfices annuels à la formation des journalistes et à la promotion du rendement journalistique » (article 129). Combien d’entreprises de presse privées ou publiques respectent cette obligation ? Très peu, et pourtant nombres d’entre elles ont dégagé des bénéfices ces trente dernières années. La vertu, c’est d’abord l’affaire des actionnaires des entreprises de presse.

Les médias publics et beaucoup de médias privés ne couvrent plus les marches hebdomadaires. N’est-ce pas là une forme de censure ? 

Les marches hebdomadaires, autrement dit le Hirak, sont une réalité impossible à occulter. Le déni de réalité est une arme de destruction massive de la crédibilité des médias publics et privés. Que saurait-on cacher à l’ère de la 4G et de la 5G, de l’intelligence artificielle, des réseaux sociaux, des flux d’informations à haut débit, de l’instantanéité ? Sauf à faire l’autruche et oublier que nul n’est à l’abri d’un Smartphone en action et d’un simple clic. Le Hirak doit donc s’ancrer dans les esprits.

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