Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin reproche à Karim Benzema d’être en relation avec les Frères Musulmans, Eric Zemmour l’accuse d’être en lien direct avec un attentat terroriste. La sénatrice Valérie Boyer (Les Républicains, droite) demande la déchéance de la nationalité française du footballeur. Pourquoi une partie de la classe française en veut à Karim Benzema ?
Cela en devient presque cyclique. Karim Benzema, bien qu’il ne vive plus et n’évolue plus en France, est régulièrement au cœur de vives polémiques politiques dans ce pays.
Le footballeur est presque devenu un symbole de l’acharnement d’une partie de la classe politique française. Son récent positionnement en faveur de la Palestine, qui subit une féroce attaque d’Israël, a ravivé les polémiques contre lui en France. Mais cette fois, un nouveau pas dangereux a été franchi.
« Nous ne pouvons pas accepter qu’un binational français, internationalement reconnu, puisse déshonorer et même trahir ainsi notre pays », a écrit Valérie Boyer, sénatrice dans un communiqué publié sur X (anciennement Twitter). Elle appelle également à lui retirer son Ballon d’or que Karim Benzema a gagné en 2022.
Cette position radicale est une réponse à une publication de Karim Benzema sur le même réseau social. Le footballeur s’est contenté d’adresser un message aux victimes des bombardements à Gaza.
Toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants.
— Karim Benzema (@Benzema) October 15, 2023
Pourtant ce simple post lui vaut depuis plusieurs jours des attaques violentes de la part d’un ministre, d’une sénatrice du parti Les Républicains (droite) et d’un leader politique de l’extrême-droite.
Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, lui reproche d’être en lien avec les Frères Musulmans. « Ne pas voir cela, c’est montrer aux Français que vous êtes naïfs. Arrêtons d’être naïfs ! », avait lancé le ministre au micro de BFM TV.
Gérald Darmanin a ensuite annoncé qu’il retirerait ses accusations à l’égard du footballeur, seulement si ce dernier acceptait de poster un message pour la mémoire de Dominique Bernard, le professeur qui a été récemment assassiné lors d’un attentat à Arras. Pour prouver sa bonne foi, ou peut-être la preuve qu’il est un bon Français.
« Si M. Benzema veut montrer sa bonne foi, qu’il est capable dans quelques minutes de montrer devant 20 millions de personnes qui le suivent (sur X, anciennement Twitter), qu’il pleure également la mort de ce professeur, je retirerai mes propos », assure le ministre.
Même son de cloche chez le leader politique d’extrême-droite Eric Zemmour. L’homme politique va même plus loin en accusant Karim Benzema d’être un islamiste souhaitant appliquer la charia et donc être en « lien direct » avec le meurtre du professeur d’Arras. En résumé, il accuse le footballeur de manière plus ou moins indirecte d’être un terroriste. Dans la foulée, Eric Zemmour accuse tous les musulmans de France et d’ailleurs d’être des terroristes qui ne cherchent qu’à tuer les chrétiens et les juifs alors que ces derniers vivent en paix depuis des siècles dans les pays musulmans.
Face à la dureté de ces accusations, l’avocat de Karim Benzema prévoit de déposer une plainte contre les personnalités politiques qui ont condamné le footballeur. Si la justice peut être saisie, la campagne de détestation de Karim Benzema demeure.
Qu’est-ce qui dérange tant chez Karim Benzema ?
Plusieurs personnalités politiques et sportives ont affiché leur peine pour les victimes des bombardements à Gaza. Pourtant ils n’ont pas reçu autant de messages vindicatifs. Karim Benzema semble être un cas à part. D’autant plus qu’il n’en est pas à sa première campagne de haine.
Karim Benzema est avant tout un footballeur reconnu internationalement, adulé et respecté dans plusieurs pays. Son audience est large. Le footballeur dont les parents sont originaires d’Algérie est notamment suivi par 20,8 millions de personnes sur X et 75,8 millions d’abonnés sur Instagram. D’ailleurs, Gérald Darmanin a clairement expliqué que cette audience conséquente dont dispose Karim Benzema est un problème.
La crainte que son public adhère à ses valeurs et à ses positions déclenche des crises constantes au sein d’une partie de la classe politique en France. En essayent de le décrédibiliser, chaque personnage politique veut marquer un coup fort médiatiquement. Notamment au moment où la France s’extrême-droitise. Karim Benzema est la cible idéale puisqu’il représente tout ce que l’extrême-droite rejette avec force.
Symboliquement Karim Benzema réunit deux appartenances qui sont au cœur des stratégies politiques françaises. Il est musulman et n’hésite pas à affiche ses croyances religieuses. On a vu le footballeur lors d’un pèlerinage à la Mecque, il n’hésite pas à souhaiter les fêtes musulmanes à ses abonnés et évoquer sa foi auprès de son audience. Il est désormais installé en Arabie saoudite où il évolue au sein de Al-Ittihad et crie à qui veut l’entendre que c’est l’un des choix dont il est le plus fier dans sa vie.
Au moment où la France est obsédée par sa sacro-sainte laïcité, Karim Benzema fait grincer des dents. L’ex-international français (il a été sélectionné 97 fois en équipe de France) dispose d’assez de notoriété et de sécurité pour se permettre ce genre de revendication.
La seconde appartenance est son origine algérienne. La sénatrice Valérie Boyer l’assume dans ses déclarations. Elle n’a pas hésité à présenter Karim Benzema comme un « binational », alors que cette information n’a rien à voir avec son soutien personnel à Gaza, et que selon son avocat, l’ancienne star du Real Madrid ne possède pas la nationalité algérienne.
Pour des raisons historiques, l’Algérie reste l’éternel problème d’une partie de la classe politique en France, notamment l’extrême-droite. À cause de relations tièdes et compliquées avec son ex-colonie, la France ne parvient pas à avoir ni une diplomatie claire ni une politique d’accueil des Algériens stable.
L’Algérie qui représente l’une des trois plus grosses destinations pourvoyeuses d’immigrés en France, reste dans la ligne de mire de la droite comme de l’extrême-droite. À quelques années de la présidentielle 2027, le dossier Algérie remonte à la surface, puisque la gestion des relations avec ce pays est un argument phare pour séduire comme pour éloigner un électorat.
À chaque événement, tweet, post ou déclaration, l’extrême-droite comme la droite monte au créneau pour l’accuser de trahir son pays, à savoir la France. Une critique déjà émise en 2021, lorsque Karim Benzema a fait son grand retour dans l’Équipe de France après en avoir été exclu plusieurs années.
Des internautes français désespérés de cette campagne anti-Benzema
Ces attaques perpétuelles à l’encontre de Karim Benzema sont tellement systématiques qu’elles commencent à être tournées à la dérision en France.
Gorafi Magazine : Guerre, inflation, météo, retour du reggeaton – Pourquoi tout est de la faute de Benzema ? – https://t.co/2ESMFaUbwa pic.twitter.com/qQTkJ2oQAl
— Le Gorafi (@le_gorafi) October 20, 2023
Beaucoup d’internautes soulignent le caractère discriminatoire de ces attaques constantes. Sur les réseaux sociaux Karim Benzema obtient autant de soutien que de critiques.
C’est vous qui êtes à l’origine de cette cabale contre Benzema, vous êtes la définition parfaite du pompier pyromane. https://t.co/plWieLi0nN
— Nabil Boudi (@BoudiNabil) October 20, 2023
Le naufrage du Ministre de l’Intérieur est absolu. Plutôt que d’être concentré sur sa tâche il use son énergie à organiser des sorties racistes contre Benzema, juste pour exister médiatiquement. Il rêvait de faire du Sarkozy : il finira comme Manuel Valls.pic.twitter.com/QUYeyBA9Ef
— David Guiraud (@GuiraudInd) October 19, 2023
Le footballeur cristallise malgré lui des sujets qui divisent les Français et qui sont devenus les enjeux de plusieurs scrutins.
Il semblerait même qu’il y ait deux camps clairs : avec ou contre Karim Benzema. Comme sur les autres sujets qu’il incarne d’ailleurs : l’Islam en France, l’immigration, la double culture…
Publiquement, Karim Benzema ne se dérobe pas, il continue d’assumer ses convictions et ne s’excuse pas. Le footballeur semble ignorer ce rôle de bouc-émissaire que la classe politique française veut absolument lui coller. Même ces attaques virulentes ne sont que des coups politico-médiatiques, elles favorisent une montée de haine au sein de la population française, qui à travers les actes d’un simple footballeur façonne ses opinions politiques, même les plus irrationnelles.