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France : Quand l’État fait des musulmans un « péril intérieur »

France : Quand l’État fait des musulmans un « péril intérieur »

Par olrat / Adobe Stock
Le drapeau de la France.

« Lorsque l’État se met à soupçonner non plus ce qu’un individu fait, mais ce qu’il est, alors il cesse d’être protecteur pour devenir gestionnaire de périls. » La sentence est de Yazid Sabeg, industriel franco-algérien et ancien commissaire à la diversité sous l’ancien président français Nicolas Sarkozy.

Sabeg a pris la parole dans le sillage de tout ce qui se dit sur l’« entrisme » supposé des (Frères) musulmans de France, pour signifier qu’il y a péril en la demeure maintenant que la banalisation de la stigmatisation d’une communauté sur la base de sa religion a atteint le sommet de l’État.

Il y a dix jours, le président Emmanuel Macron a réuni un conseil de défense pour discuter d’un rapport élaboré par les services du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau sur l’action des Frères musulmans. Habituellement, une telle rencontre se tient en cas de guerre ou de grand péril.

Il n’y a pas meilleure façon pour frapper les esprits et convaincre que le « péril vert » n’est pas qu’une vue de l’esprit. Le rapport lui-même, le timing de sa divulgation, l’organisation des fuites dans les médias d’extrême droite et la tenue d’un conseil de guerre pour en discuter ne procèdent pas du hasard. Pour une partie de la classe politique française, l’Islam et les musulmans est le thème qui déterminera l’issue de la présidentielle de 2027.

Une dérive

La dérive a commencé depuis plusieurs années. Les musulmans ont servi de tremplin pour la montée de l’extrême-droite. La surenchère aidant, ce courant est très vite passé de la dénonciation du terrorisme, à la vilipendation de l’islam radical ou politique, et enfin à la stigmatisation de l’islam tout court.

L’instrumentalisation est indéniable. Le moindre prétexte est saisi au vol pour faire de l’islam et des musulmans le sujet médiatique et politique du moment, le voile à l’école ou dans le sport, les accompagnatrices scolaires, le Ramadan, le mouton de l’Aïd.

Les faits divers et attaques terroristes commis par des musulmans sont systématiquement imputés à la communauté. Celle-ci est désignée du doigt même lorsque le bon sens commande de regarder ailleurs, comme pendant le dernier Ramadan lorsque les musulmans étaient accusés sur un plateau télé d’être responsable d’une pénurie d’œufs par leurs habitudes culinaires du mois sacré.

France : quand la stigmatisation de l’Islam déborde de l’extrême-droite

On voit l’islam et « l’entrisme » partout. Il y a quelques jours, une responsable du parti d’Emmanuel Macron a crié à l’islamisme en voyant une célèbre influenceuse, pourtant à mille lieues de cette idéologie, porter une tenue couvrante au festival de Cannes. C’est la paranoïa structurée.

Au fil des années, la parole raciste s’est libérée jusqu’à se banaliser, faisant de tout musulman vivant en France un suspect en puissance. La gravité réside aussi dans le fait qu’à travers les musulmans, ce n’est plus l’immigré ou l’étranger qui est pointé, mais des Français à part entière, parfois nés en France de parents et de grands-parents français. À qui peut se plaindre un Français sinon à son État ?

Hélas, l’État français laisse faire et, dans une certaine mesure, se rend complice, voire coupable, de cette vaste entreprise de stigmatisation d’une frange de la société. Le rapport sur les Frères musulmans, qui ouvre la voie aux amalgames et à la responsabilisation collective, car trop imprécis, émane d’un ministère régalien et a fait l’objet d’un conseil de défense au plus haut sommet de l’État.

Inquiétude des musulmans de France

L’extrême-droite n’est pas (encore) au pouvoir à Paris, mais ses idées y sont déjà, particulièrement son rejet de l’islam. Comme toute recette qui marche, l’instrumentalisation politique de la place de l’Islam s’est peu à peu étendue de la sphère extrémiste vers la droite, gagnant ensuite le camp d’Emmanuel Macron, et même une partie de la gauche.

Il est tout de même curieux que le chef de l’État juge pas trop fortes les propositions faites par Bruno Retailleau et lui demande de muscler sa copie en prévision d’un autre conseil de défense prévu en juin.

Où va la France ? Elle s’éloigne en tout cas chaque jour un peu plus de sa laïcité qui, jusque-là, a fait, ou a tenté de faire de la place pour tous.

Les musulmans de France sont inquiets, ont peur, et ce n’est pas sans raison. Fin avril dernier, un des leurs s’est fait assassiner alors qu’il priait dans une mosquée, par un individu sans doute sous l’emprise de l’islamophobie montante. Dans sa dernière tribune dans Mediapart, Yazid Sabeg a rappelé, comme pour sonner l’alarme, des épisodes historiques de stigmatisation collective qui se sont mal, voire très mal terminés.

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