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Hassina Oussedik (Amnesty International) : « En Algérie, la situation n’est pas claire… »

Hassina Oussedik (Amnesty International) : « En Algérie, la situation n’est pas claire… »

Dans le rapport annuel d’Amnesty International, vous notez une constance dans les violations des droits de l’Homme. Rien n’a finalement changé en 2017 ?

Il est très difficile de répondre à cette question des droits de l’Homme en Algérie. Je crois qu’on est vraiment dans ce que je pourrais appeler une zone grise. D’un côté, on n’est pas comme en Syrie puisque les civils ne sont pas pris pour cibles et que la ville n’est pas bombardée. C’est-à-dire qu’on n’est pas dans une situation de graves violations des droits humains. D’un autre côté, on peut se poser la question : est-ce qu’on a vraiment un État de droit ? Est-ce que les Algériens ont des droits dont ils peuvent jouir ? Ont-ils suffisamment de mécanismes de recours pour que justice soit rendue si leurs droits sont violés ? On n’a pas non plus ce sentiment. Pour preuve, les harragas prennent les bateaux au péril de leur vie. Ils partent ailleurs pour une vie meilleure. Leurs aspirations ? Avoir un travail, un logement, construire une famille, avoir une vie affective normale, une éducation décente pour leurs enfants ou encore avoir accès aux soins.

Comment définiriez-vous plus clairement cette zone grise ?

Dans un certain nombre de pays, des lignes rouges sont bien tracées. Et chacun est libre de les franchir en connaissant parfaitement les sanctions. En Algérie, la situation n’est pas claire. Soit il y a des lignes qu’on ne connaît pas, soit il n’y en a pas. D’une part, on constate certaines avancées en matière de protection de droits humains et d’autre part, on constate des incohérences ou des insuffisances à avancer sur certaines questions des droits humains. Il est difficile de comprendre la vision et la stratégie menées par les autorités dans le domaine des droits humains.  

Vous évoquez dans le rapport un profilage ethnique, des arrestations arbitraires et des expulsions massives de migrants subsahariens. Vous accusez les autorités de racisme ?

L’un des plus importants points du rapport annuel d’Amnesty International de 2017 concerne la haine et la diabolisation de l’autre qui sont passées des discours à la réalité. On n’est plus dans les discours. Aujourd’hui, les gouvernements sont passés à des pratiques discriminatoires. Celui qui a ouvert la brèche pour toute l’année 2017 est Donald Trump avec sa tentative du décret anti-musulmans à travers lequel les musulmans sont pris pour cibles. Cela s’est propagé au niveau des différentes régions du monde.

En Algérie, on a vu ce genre de comportements avec la minorité religieuse des Ahmadis qui continue à être persécutée. Mais aussi avec les migrants subsahariens. On a constaté des discours haineux avec une incitation au crime sur les réseaux sociaux. Heureusement, une partie de la société a réagi vivement avec le hashtag #jesuisafricain. Ce qui est plus grave est d’entendre ces discours haineux et de constater des actions discriminatoires de la part des autorités, telle que l’interdiction de transport pour les migrants, qui a été retirée suite aux réactions fortes de la société.  Le plus grave concerne les différentes vagues d’expulsions collectives qui malheureusement se poursuivent depuis le début de l’année.

Accusez-vous donc les autorités de racisme ?

Je voudrais rappeler que des personnes ont été arrêtées arbitrairement sur la base de la couleur de leur peau sans aucune autre distinction. Les autorités n’ont pas effectué de vérifications au cas par cas, que parmi ces personnes arrêtées il y avait des réfugiés en situation légale ou des Algériens qui sont de couleur. Sur la rue Didouche Mourad, j’ai vu des Subsahariens regarder autour d’eux et j’ai senti la peur dans leur regard. Je voudrais signaler aussi que l’État algérien n’a pas mené des poursuites pénales suite aux discours haineux sur les réseaux sociaux et les incitations au meurtre et que des personnes publiques ont eu des propos absolument racistes.

En 2017, on a tous été marqués par le nettoyage ethnique mené contre les Rohingyas au Myanmar (Birmanie). Ceci a été possible car les autorités ont laissé faire et même inciter à la haine et à la stigmatisation d’une minorité religieuse durant un certain temps. Le silence et l’inaction des autorités a conduit à ces phénomènes de violence massive.

En Algérie, nous ne sommes pas dans la même situation. Au cours de 2017, nous avons constaté des propos contradictoires concernant la question des migrants : à certains moments, des autorités publiques ont accusé les migrants de certains maux et les ont stigmatisés alors qu’à d’autres moments, des autorités publiques ont évoqué la nécessité d’une régularisation de leur situation légale avec l’obtention d’une carte de travail. Ce sont clairement des positions contradictoires, rendant difficile la compréhension de la position de l’État algérien sur cette question. Je ne crois pas qu’il existe une volonté délibérée de l’ensemble de l’État de mener une campagne contre les migrants. Évidemment, ce n’est pas comparable à ce qui se passe au Myanmar.

La contestation sociale gagne chaque jour du terrain. Comment jugez-vous la réaction des autorités ?

Dans le rapport annuel d’Amnesty International, on peut noter que des tendances internationales se dégagent sur la situation des droits humains, qu’elles se reflètent également en Algérie. Nous avons mentionné les discours haineux envers des minorités, la seconde traite des conséquences des mesures d’austérité sur la vie des personnes. Ces mesures d’austérité ont un impact négatif sur les droits sociaux et économiques des personnes. Quand les prix augmentent, ces personnes ont des difficultés à accéder à la nourriture, à l’eau et à un logement décent. Dans un grand nombre de pays, les personnes se trouvent de plus en plus confrontées à ces difficultés de la vie quotidienne.

Le cas le plus frappant est celui du Venezuela. Pour défendre leurs droits fondamentaux, ces personnes vont donc protester, manifester et critiquer ces politiques d’austérité. La répression est la réponse adoptée par les gouvernements dans les différentes régions du monde. C’est-à-dire qu’ils auront recours à une force injustifiée, à des arrestations et parfois des condamnations des manifestants pacifiques, des journalistes et des défenseurs des droits humains.

Au lieu de s’attaquer aux causes réelles de la pauvreté et des inégalités, l’Algérie comme d’autres pays à travers le monde adopte une réponse répressive. Autant on peut comprendre qu’il y ait des problèmes budgétaires, autant on ne comprend pas comment les États continuent d’adopter des mesures d’austérité dont on sait déjà qu’ils ne résoudront pas les problèmes et qui mettent en cause les engagements qu’ils ont pris pour les objectifs du développement durable.

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Craignez-vous une plus grande détérioration de la situation des droits de l’Homme en Algérie avec ces nouvelles mesures d’austérité ?

On peut et on doit s’inquiéter car lorsque les personnes sont privées de leurs droits les plus élémentaire,s on crée une situation de désespoir sans limite. Les risques de trouble et d’instabilité devraient s’amplifier durant les trois prochaines années en Algérie et dans d’autres parties du monde selon certaines prévisions. L’Afrique subsaharienne sera une des régions les plus touchées, ce qui aura forcément des répercussions sur l’Algérie. Les réponses répressives à des problèmes sociaux et économiques réels que vivent les citoyennes et citoyens sont non seulement inadaptées mais aussi contre-productives. Le recours à une force excessive et injustifiée par les autorités est dangereux.

Nous avons été choqué par la vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, montrant des policiers battre des médecins résidents lors d’une marche pacifique.

Amnesty International ne parle plus les vastes pouvoirs des services de renseignements dans ces rapports. Peut-on dire qu’il y a eu une évolution dans ce domaine ?

Nous n’avons pas eu de plaintes ou de témoignages, par conséquent nous n’avons pas mené d’enquête sur cette question. Nous n’avons aucun élément suffisant pour certifier quoi que ce soit à ce sujet.

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