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« Il n’y a aucun élément objectif qui puisse pousser le pouvoir politique actuel à faire des concessions »

« Il n’y a aucun élément objectif qui puisse pousser le pouvoir politique actuel à faire des concessions »

Louisa Dris-Aït Hamadouche est maître de conférences à la faculté des sciences politiques et des relations internationales à Alger 3.

On a vu un tas d’initiatives, proposées  par l’opposition, à l’instar de celle de Makri, celle du FFS et bien d’autres échouer. Pourquoi cette fin de non-recevoir de la part du pouvoir politique ?

En plus de l’initiative de Makri et celle du FFS, on peut aussi citer celle de la Coordination nationale des libertés et la transition démocratique (CNLTD) ainsi que celle de Djaballah qui visait à rassembler le courant islamiste. Effectivement, il y a une succession d’initiatives menées par des partis politiques de l’opposition ou dits « de l’opposition », une notion, il faut bien le noter, compliquée en Algérie. C’est, en effet, difficile de définir si un parti est réellement dans l’opposition ou pas. Il reste que toutes les initiatives sont soit mort-nées, soit elles ont vite montré leurs limites.

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À cela, il y a plusieurs raisons. Déjà, dans la plupart du temps, ces initiatives, mis à part celle de la CNLTD, sont menées par des partis d’une façon individuelle et non pas collective. Elles restent très limitées en termes de capacités de fédération et sont souvent menées soit par un seul parti, soit par un très petit nombre de partis qui appartiennent à la même obédience, à l’instar des partis islamistes. Ce qui fait que l’impact de ces initiatives reste très réduit.

Le deuxième point à relever est le fait qu’on prête souvent à ces initiatives des ambitions liées uniquement à ceux qui les portent. La personnalisation, la quête de leadership et le zaimisme l’emportent alors sur le contenu. En d’autres termes, la forme l’emporte sur le fond.

Le troisième point est que ces initiatives sont portées par des partis qui n’ont pas suffisamment d’ancrage, d’assises et d’influence. La faiblesse structurelle des partis politiques en Algérie contribue à affaiblir leurs propositions. Au-delà du contenu – là on ne parle toujours du côté forme –, le contenant ou le vecteur n’est pas suffisamment puissant pour porter loin et fort l’initiative qui est le contenu.

Pour résumer, ces initiatives sont présentées par un parti ou un très petit groupe de partis, qui souvent ont un ancrage social limité et qu’on soupçonne, à tort ou à raison, d’œuvrer à la réalisation des ambitions personnelles. Ces trois aspects font que le contenant domine largement le contenu et que l’initiative, avant même qu’elle ne développe son idée, son programme et son projet, est déjà handicapée.

Et qu’en est-il du contenu ?

Là aussi plusieurs points faibles sont à relever. Les initiatives sont souvent présentées dans des contextes temporels et historiques inadéquats. Par exemple, le consensus proposé par le FFS a été perçu comme une tentative de contrer la démarche de la CNTLD. Le fait que ces deux initiatives se sont suivies et qu’elles ont été menées par des partis rivaux (RCD vs FFS) a notamment contribué à semer le doute et donc à les affaiblir. On peut aussi citer l’initiative d’Abdellah Djaballah qui a été également considérée comme une façon de contrer celles de la CNTLD (notamment le MSP) et celle du FFS.

S’agissant de l’initiative du MSP, elle est affaiblie par les soupçons de servir des ambitions personnelles compte tenu du fait que Makri fait face à une situation interne difficile. À travers sa main tendue aux partis de l’allégeance, il peut calmer ceux qui lui reprochent, à tort, d’être un opposant radical. Ce qu’il n’est pas. Autre couac : l’initiative vient à la veille des élections présidentielles, ce qui fait dire à certains qu’il (Makri) nourrit des ambitions lui permettant de se positionner.

On le soupçonne d’ailleurs de vouloir remettre le parti dans le giron du pouvoir …

Oui effectivement. Et c’est pour cela que j’ai noté que la notion d’opposition est très relative en Algérie. Il y a certes de la contestation et de la contradiction, mais l’opposition cohérente, réfléchie, organisée et constante reste encore à construire. L’autre problème qui se pose relativement au contenu des initiatives est qu’il porte des ambitions supérieures aux moyens de ceux qui les portent. Le but visé est de parvenir à un changement politique pacifique et ordonné. C’est l’alternance. Le problème est que cette conception des choses implique d’abord que le porteur soit suffisamment puissant et suffisamment influent pour imposer le dialogue et la négociation aux détenteurs du pouvoir politique.

L’autre condition est que la partie à laquelle s’adresse l’initiative (ici, le pouvoir politique en place) ressente la nécessité de répondre positivement à cet appel à la négociation. En d’autres termes qu’il soit soumis à des pressions. Ce sont là deux conditions sine qua non pour l’aboutissement d’une initiative qui, jusqu’au jour d’aujourd’hui, ne sont pas réunies.

Quand on parle de consensus, il faut bien garder à l’esprit qu’il n’est rien d’autre que de demander au pouvoir de faire des concessions qui consistent à accepter de renoncer à une partie ou à la totalité du pouvoir politique. Or ceux qui le proposent sont dans une relative faiblesse, et le pouvoir politique ne ressent toujours pas la nécessité de faire des concessions.

Au lendemain de l’initiative de Makri, les partis de la majorité présidentielle se sont réveillés de leur léthargie. N’est-ce pas que, dans le fond, le pouvoir est conscient de la nécessité des concessions qu’il fait justement au « goutte à goutte » ?

Le « goutte à goutte » dont vous parlez n’est pas nouveau. Il dure au moins depuis l’avènement du multipartisme pour ne pas aller trop loin. Ce n’est bien évidement pas dans le but de parvenir à une alternance politique – le but des gouvernants étant de rester au pouvoir. Ces compromis ont eu l’effet contraire : éviter l’alternance sans faire usage de la répression et de la violence. Le but final est de maintenir le statu quo politique tout en laissant suffisamment de marge de manœuvre à « l’opposition » pour qu’elle puisse gesticuler sans pour autant constituer une réelle menace. Pour le moment, aucun parti d’opposition n’a réussi à assurer assez de puissance, d’influence, de constance pour menacer et pousser le pouvoir en place sur ses retranchements, d’où le refus de faire de véritables compromis.

À se fier à votre raisonnement, on dira que d’ici les élections présidentielles de 2019, il ne va pas y avoir du nouveau. Le pouvoir fera comme il a toujours fait, les élections auront lieu, sans ou avec Bouteflika…

Mon sentiment est que si le chef de l’État est toujours en vie, nous irons à un cinquième mandat. À mon sens, il n’y a aucun élément objectif qui puisse pousser le pouvoir politique actuel à faire de véritables concessions. Ça serait pour lui une véritable compromission que d’accepter un candidat consensuel autre que le chef de l’État actuel. Et pourtant, la situation sociale et économique a engendré des mouvements sociaux et provoqué la colère qui restent, pour le moment, gérable pour le pouvoir politique, et ce pour une raison simple : toute cette colère sociale n’est pas portée par une force politique qui puisse lui donner un sens politique.

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