L’écrivain Kamel Daoud est poursuivi en Algérie et en France par une femme qui l’accuse d’avoir reproduit son drame personnel dans le roman Houris, prix Goncourt 2024.
Le romancier franco-algérien et ses avocats tentent depuis le début de politiser le procès en mettant en avant les démêlés de Kamel Daoud avec la justice algérienne et la coïncidence de cette affaire avec l’arrestation et la condamnation en Algérie de l’autre écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Des médias français qui ont épluché les détails de cette affaire relèvent les limites d’une telle ligne de défense face aux faits à l’origine des poursuites.
Le roman “Houris” de Kamel Daoud a été sacré prix Goncourt en novembre 2024. Il raconte le drame vécu par une fillette pendant la décennie de terrorisme en Algérie. À l’âge de 6 ans, Aube a perdu toute sa famille dans une attaque d’un groupe islamiste contre un village de l’ouest de l’Algérie.
La fillette a été égorgée et laissée pour morte. Elle a pu survivre, mais avec de graves séquelles qu’elle porte encore à l’âge adulte, dont une longue et apparente cicatrice au cou et une canule sans laquelle elle ne peut pas respirer. Le roman a permis à l’ancien journaliste du Quotidien d’Oran d’obtenir le prix prestigieux Goncourt presque fermé jusque-là aux écrivains maghrébins.
Mais Saâda Arbane, la trentaine, qui a reconnu sa propre histoire dans celle racontée dans Houris, a porté plainte contre Kamel Daoud en Algérie en novembre 2024, puis en France en février 2025.
Le chroniqueur du Point, connu pour ses positions controversées, se retrouve plutôt dans “un entrelac de dossiers judiciaires”, comme l’écrit le média français Le Nouvel OBS. À Oran, il est poursuivi dans un dossier pour atteinte à la vie privée et un autre à l’initiative des victimes du terrorisme. À Paris, Saâda Arbane a déposé une plainte également pour violation de sa vie privée et une autre pour diffamation.
Tout récemment, le journal français Le Point, pour lequel Daoud travaille comme chroniqueur, a fait état de l’émission par la justice algérienne de deux mandats d’arrêt internationaux contre l’écrivain.
Affaire Kamel Daoud – Saâda Arbane : des tentations de politiser le dossier
La dernière plainte pour diffamation est en lien avec la ligne de défense de Kamel Daoud, soit la politisation de l’affaire. Dans un entretien au Figaro début avril, il avait fait le lien avec l’affaire Boualem Sansal et insinué que la partie plaignante est instrumentalisée par les autorités algériennes.
“C’est une démonstration de force : Alger peut déposer une plainte contre Kamel Daoud en France ; la France ne peut même pas envoyer son avocat à Alger”, a-t-il dit. Saâda Arbane et ses avocats ont porté plainte pour diffamation devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, spécialisée dans les affaires de presse.
Sur le fond de l’affaire, Kamel Daoud a nié s’être inspiré de l’histoire de Mme Arbane.
“Cette jeune femme malheureuse clame que c’est son histoire. Si je peux comprendre sa stratégie, ma réponse est claire : c’est complètement faux. A part la blessure apparente, il n’y a aucun point commun entre la tragédie insoutenable de cette femme et le personnage d’Aube”, a-t-il clamé dans sa chronique dans Le Point en décembre dernier. “Cette victime de la guerre civile est manipulée pour atteindre un objectif : tuer un écrivain, diffamer sa famille”, a-t-il accusé dans le même texte.
Les limites de l’instrumentalisation politique
C’est en effet sur l’aspect “politique” de l’affaire qu’il préfère insister. Le 12 mai, encore dans Le Figaro, il a déploré “une forme de persécution judiciaire” et un “labyrinthe de procédures”, instrumentalisées par l’Algérie qui, selon lui, chercherait à le faire taire.
Ayant analysé les éléments disponibles du dossier, Le Nouvel OBS constate que “sur le fond de ces affaires, des accusations de non-respect de la vie privée, l’écrivain ne s’est toujours pas vraiment expliqué”.
D’autant plus que les avocats de la plaignante ont présenté une liste interminable de similitudes frappantes entre le contenu de “Houris” et la vie réelle de Saada Arbane. La relation entre la plaignante et la femme de Kamel Daoud, la psychiatre qui la soignait, est aussi indéniable.
Même un spécialiste français de la greffe du larynx, le Dr Frédéric Faure, a soutenu qu’il ne peut “que reconnaître l’histoire de Saâda dans le roman Houris”.
Daoud et sa défense sont soupçonnés de chercher à “politiser le dossier et ne pas répondre sur le fond”. Mais cela ne peut pas “faire totalement l’impasse sur les revendications de Saâda Arbane”, écrit Le Nouvel OBS.
La stratégie de Kamel Daoud de politiser l’affaire dans un contexte de grave crise entre l’Algérie et la France suscite de nombreuses réactions. Sur Facebook, Adlene Mohammedi, chercheur et enseignant en géopolitique et spécialiste du monde arabe, estime que l’écrivain franco-algérien « se présente comme une double victime ». « En France et en Algérie. C’est en réalité un double bourreau. Toujours du côté du pouvoir en place », ajoute-t-il.