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L’appel de Souad Asla pour « sauvegarder le patrimoine musical du Sud »

L’appel de Souad Asla pour « sauvegarder le patrimoine musical du Sud »

Souad Asla, chanteuse algérienne, sera en concert ces samedi et dimanche, 3 et 4 février 2018, à la salle Ibn Zeydoun, à l’office Ryad El Feth, à Alger. Deux concerts, dont l’un est consacré aux professionnels et aux médias, pour faire la promotion du nouvel album « Lemma », produit par les éditions Ostowana à Alger. Entretien.

Deux ans après le lancement du spectacle musical « Lemma » avec les chanteuses de Béchar, vous revenez avec un album. Parlez nous de ce projet né à Taghit, à 90 km au sud-est de la capitale de la Saoura ?

C’est vrai. À Taghit, j’ai constaté que les jeunes filles n’assistaient pas aux cérémonies d’El Hadra qu’organisent les femmes chaque vendredi. Cette musique de transe rassemble les femmes depuis des années. Elles gardent cette tradition depuis très longtemps. J’ai constaté que les vieilles femmes qui décédaient n’étaient pas remplacées. Et, l’absence des jeunes filles m’a interpellée. Je me suis dit qu’il existe un vrai problème

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Un problème de transmission ?

Un problème de transmission et de perte du patrimoine. J’ai eu donc l’idée de monter le spectacle « Lemma » avec des femmes de la région de la Saoura. C’est une façon, pour nous, de préserver ce patrimoine immatériel national. Je connais certaines chanteuses depuis que j’étais petite. Elles animaient les mariages de ma famille. C’est pour cette raison que j’ai fait appel à elles. Les jeunes chanteuses ont participé à mon projet « Jewal ». Elles ont fait pas mal de concerts avec moi aussi. Par exemple, nous avons fait deux spectacles au Maroc, invitées par le festival des Hadaria d’Essaouira. Nous partageons presque le même patrimoine, il y a juste les rythmes qui changent. Du coup, cela a été une découverte pour les marocains. Ils ne savaient pas que cette musique, El Hadra, existait à Béchar. Nous avons, de notre côté, découvert des femmes qui se battent pour leur patrimoine. J’aimerais bien les inviter en Algérie surtout que notre pays a été deux fois invité d’honneur au festival d’Essaouira. Et pourquoi, ne pas aller vers une expérience de fusion.

Quels sont les styles que vous avez introduits dans cet album ?

Il y a, en tout, six styles dans cet album de seize chansons. El Ferda est une musique un peu spirituelle, voire soufie, de la région de Kenadsa (157 km au sud de Béchar). Il y a aussi « Djebbariat », une musique rythmée avec beaucoup de percussions et de voix interprétée par un ensemble féminin. Dans l’album, on retrouve également El Hadra, avec notre doyenne El Hadja Zaza (Zahra Kherabi) qui a déjà trente ans de carrière et qui anime des cérémonies de transe à Béchar.

Et, inévitablement, le diwane est présent dans votre album

Oui, le diwane ou le gnawi avec Mâalma Hasna El Bacharia et une autre chanteuse dans le groupe qui est une vraie gnawie et qui connait parfaitement les chants (Lebradj) interprétés souvent par les hommes. Dans l’album, il y a aussi du Melhoun et du Haydous avec Mabrouka Brik. El Haydous est présent dans toute la région d’El Bayadh, Mechria, Asla et Béchar. C’est un patrimoine partagé avec le Maroc.

El Haydous est construit sur la rythmique

Sur la rythmique et sur la voix aussi. Beaucoup de voix. Il est également bâti sur la danse. El Haydous est sollicité dans les fêtes. Il y a par exemple une chanson célèbre qui dit : « Khayri yana, ila tawahechtini, rouhi jouar jedek » (Ma chérie, si je te manque, va à côté de ton grand père). Des chansons que j’adore.

Qu’en est-il du Zefani ?

Le Zefani est également un style très rythmé avec la présence du bendir et du guelal. Il s’agit souvent de louages à Dieu. Il y a également des chants d’amour. Je revendique un choix nostalgique de certains morceaux. Ces chansons représentent beaucoup pour moi, me rappellent mon défunt père qui était un grand amateur de ferda. Il organisait des soirées avec ses amis. J’assistais à ces soirées avec mes yeux de petites filles. Le premier titre de l’album, « Lemti », est une nouvelle composition. J’ai tenu à faire cette chanson pour rendre hommage aux femmes qui m’accompagnent dans l’aventure « Lemma ». Ce titre « Lemma » permet, d’une certaine manière, de célébrer le rassemblement, l’union. « Lemma » signifie pour moi, la rencontre de ma famille. Je vis à l’étranger, et quand je reviens à Béchar, je trouve beaucoup de plaisir à retrouver et à rencontrer mes proches, mes amis, mes voisins. Alors je me suis dit pourquoi pas « Lemma », c’est sorti comme ça !

Vous avez opté pour l’utilisation des instruments traditionnels. Pourquoi ?

Je voulais que les chansons gardent un peu leur authenticité pour permettre au public de mieux les découvrir et pour les répertorier. Nous utilisons l’instrument el ferda, par exemple, la derbouka, les bnadir et el gumbri. J’ai un projet de moderniser ces chansons, mais c’est pour plus tard. Dans mon prochain album, je vais revisiter tous ces morceaux.

Est-il facile pour les femmes artistes de Béchar de chanter sur scène ?

Non ! Ce n’est pas évident. Il est facile pour les femmes du Sud de chanter et de danser. Cela fait partie de nos coutumes et traditions. Pour la scène, les femmes qui m’accompagnaient étaient hésitantes, au début avec les premiers concerts (en 2015). Certaines ne voulaient pas danser sur scène. Parfois, l’une d’elles se lève et danse emportée par les rythmes. Ces femmes se libèrent petit à petit et s’approprient le spectacle. J’ai avec moi deux excellentes percussionnistes comme Sabrina (Fakhita) et Ismahane (Mani) Cheddad. Mani, qui a déjà une belle voix, joue du gumbri et maîtrise le jeu de la batterie. J’espère qu’à travers l’album, ces deux jeunes filles (leur mère Zahoua Boulali fait partie du groupe de Souad Asla) pourront se lancer dans leurs propres carrières artistiques. Je suis prête à les aider.

Parlez nous de la présence de Hasna El Bacharia, la première femme du sud algérien à avoir osé jouer du gumbri, l’instrument des gnawa ?

Au début, Hasna était hésitante. Elle m’a dit : « Qu’est-ce que tu vas faire ? C’est trop compliqué pour toi ». Je lui ai expliqué le concept. Elle m’a répondu : « Tu dois te préparer à une guerre, ça ne va pas être facile ». Je lui ai dit que je ne pouvais pas commencer sans sa bénédiction. Depuis, elle me soutient beaucoup dans ce projet. Pour moi, il était primordial que Hasna El Bacharia soit dans le groupe. Hasna a travaillé avec toutes les autres femmes depuis des années. Elle les connaît toutes. Hasna la rockeuse devait être avec nous. Savez vous que Hasna n’a jamais fait de clip, là, avec l’album « Lemma », elle aura un clip (pour la chanson « Sidi Mimoun Lgnawi »). En tout, nous avons fait quatre clips (tournés dans la région de Béchar) avec Badi Sahraoui. Ils concernent trois titres : « Baba Mimoun », « Si Moulana » et « Lemti ».

Vous n’avez visiblement pas pris tous les styles existant dans la région de la Saoura

Nous n’avons pas pris tous les styles, sinon ça nous aurait pris beaucoup de temps. Nous avons fait une sélection. Vous savez, nous, au Sahara, nous sommes loin, très loin. Entre le Nord et le Sud de l’Algérie, il y a fossé, je dois le dire. Il n’y a même pas de studio d’enregistrement à Béchar. Je souhaite y ouvrir un studio pour aider les jeunes artistes et leur offrir la possibilité de s’exprimer. Il existe des milliers de Fakhita et de Mani à Béchar. Est-il normal que Béchar ne soit pas doté d’un conservatoire d’apprentissage de musique ? Tout le monde sait que c’est une ville qui a porté la musique algérienne. Nous avons besoin d’être soutenus. Sincèrement, je ne peux pas tout porter sur mes épaules. Cela dit, je sens qu’il y a une vraie prise de conscience par rapport à cette question de sauvegarde du patrimoine dans le pays surtout avec le travail que fait M. Slimane Hachi (directeur du Centre national des recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques, CNRPAH).

Vous militez pour la production d’un coffret aux fins de répertorier les chants et musiques de la Saoura. Pensez-vous que ce projet va aboutir ? Avez-vous fait la demande à l’ONDA, Office national des droits d’auteurs ?

La demande a été faite dès le début. Je voulais faire un album-coffret avec des CD pour chaque style (Ferda, Djebbariat, El Haydous, etc). Visiblement, ça demande un gros budget. Donc, ça n’a pas été fait. Mais, je vais le faire. Cela dit, l’ONDA nous a aidé pour l’enregistrement des chansons dans les studios de Padidou. Après, il fallait trouver de l’argent pour payer la pochette de l’album. J’aurai voulu élaborer un carnet avec des textes explicatifs et des photos pour accompagner le CD. Je lance un appel pour répertorier et sauvegarder le patrimoine musical du Sud et de Béchar en particulier. C’est un travail de longue haleine mais qui peut se faire. Nous avons besoin de soutien. Parfois, on oublie qu’on est artiste. On doit tout faire, tout gérer. Malgré cela, on est disponible. Il est de notre devoir de préserver notre patrimoine culturel. Je suis prête à faire ce travail de sauvegarde du patrimoine, sillonner le sud du pays, récolter les morceaux…C’est mon rêve d’exécuter ce travail.

Un concert est-il prévu à Béchar ?

Bien sûr. Il y aura inchallah un concert à Béchar. Peut être avec le prochain festival du diwane. J’espère que l’ONCI (Office national de la culture et de l’information) va nous aider pour faire une tournée en Algérie. À partir de mars 2018, nous avons une tournée en Europe.

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