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Le pouvoir prépare l’opinion à un retour à la planche à billets et une baisse des subventions

Le pouvoir prépare l’opinion à un retour à la planche à billets et une baisse des subventions

Les membres du gouvernement Bedoui continuent de se projeter dans la durée. À un mois de la date fixée pour les élections présidentielles et de la fin du mandat de l’actuel Exécutif, le ministre des Finances, Mohamed Loukal n’a pas hésité à décliner jeudi dernier devant les députés ce qui s’apparente à une stratégie financière des autorités algériennes pour les prochaines années.

Une fois n’est pas coutume, le ministre a affiché une franchise inhabituelle devant les parlementaires. À la veille du vote de la Loi de finances 2020 qui doit intervenir au début de cette semaine, Mohamed Loukal a relancé le débat sur le financement du déficit du budget de l’Etat ainsi que sur sa taille réelle.

La « planche à billets, c’est fini » avait annoncé à plusieurs reprises au cours des derniers mois le Premier ministre Noureddine Bedoui ainsi que le porte-parole du gouvernement Hassan Rabhi. Plusieurs responsables avaient même laissé entendre que ce choix avait été décidé par la « Issaba » contre les intérêts du pays.

Prenant le contre-pied de ces déclarations, le ministre des Finances a affirmé, à l’occasion de la séance des questions que lui ont adressé les députés, qu’il est « possible de recourir, le cas échéant, au financement non conventionnel » même si la Loi de finances 2020 l’exclut officiellement.

Mohamed Loukal se livre même à ce qui pourrait être interprété comme une réhabilitation du financement non conventionnel en ajoutant : « Ce financement, qui a atteint le montant de 6500 milliards de dinars, constitue une dette à long terme pour le Trésor public, qui la remboursera sur 30 ans avec un taux d’intérêt ne dépassant pas 0,5%».

Le ministre n’hésite d’ailleurs pas à assurer que le « fardeau de ce financement sur le Trésor n’est pas aussi important ». Il estime, dans la foulée, la dette publique interne à 40 % du PIB.

2400 milliards de déficit pour le Trésor en 2020

Si on en juge par les déclarations de M. Loukal, la démarche des autorités financières devrait s’opérer en plusieurs étapes. Au cours de la première, au titre de l’année 2020, les derniers ajustements réalisés par le ministère des Finances estiment le déficit du budget à 1.533 milliards de dinars (-7% du PIB) et le déficit du trésor à 2.435 milliards (-11,4% du PIB).

La différence, de près de 900 milliards de dinars, entre ces deux mesures du déficit des finances publiques s’explique, selon Mohamed Loukal, par la couverture, par le Trésor, du déficit de la Caisse nationale des retraites (CNR) qu’il estime désormais à 700 milliards de dinars par an.

Devant les députés le ministre des Finances n’a pas craint de dramatiser la situation du régime des retraites. Il a estimé que ce déficit « qui pèse sur le Trésor sera difficile à couvrir ».

« Avec l’absence de réserves à court terme et la non-application de réformes à moyen et long termes, il pourrait atteindre les 800 milliards de dinars en 2021 et se creusera avec une moyenne annuelle de 2,5%, voir 3% tout au long de la prochaine décennie. Il n’est plus possible de compter sur le concours du budget de l’État pour couvrir ce déficit de manière entière et permanente», a averti Loukal en rappelant que la planche à billets a pour l’instant servi au traitement de la dette de la CNR à hauteur de 500 milliards de dinars.

Pour 2020, selon nos sources, le complément des « interventions du Trésor », qui ne figure pas dans le calcul du déficit du budget au sens strict, sera constitué, outre le financement de la CNR, par le solde des comptes d’affectation spéciaux ainsi que par la compensation, versée aux banques commerciales, des bonifications des taux d’intérêt.

Au total, on sera donc pour l’année prochaine sur un déficit du Trésor d’un niveau comparable à celui de 2019. A cette différence près que le déficit de la CNR sera pris en charge directement par le Trésor en 2020 alors que son financement avait été « confié » au FNI (et à la planche à billets) en 2019.

Quelles « ressources internes » pour le financement du déficit ?

Mohamed Loukal a encore assuré devant les députés que le financement du déficit du Trésor, qui reste d’un niveau considérable, sera réalisé par le recours à « des ressources internes ». Le ministre des finances n’a cependant toujours pas précisé la nature exacte de ces ressources qui doivent se substituer à la planche à billets dont le mécanisme devrait faire une pause en 2020.

Cette question sensible devrait être d’actualité au cours des prochains mois. Le dispositif est en cours d’étude et nos sources s’attendent principalement à un « siphonage d’une partie des liquidités bancaires » qui prendra la forme d’un achat de bons du Trésor par les banques commerciales, moyennant éventuellement une baisse du taux des réserves obligatoires actuellement fixé à 12 %

Ce nouveau dispositif de financement du déficit du Trésor pourrait être complété par la reprise d’une partie des ressources affectées initialement au FNI et toujours abritées dans le compte de ce dernier auprès de la Banque d’Algérie. Ce qui pourrait conduire notamment au gel des investissements prévus dans le cadre de l’ambitieux projet d’exploitation des phosphates de l’Est algérien.

La question des subventions

Nos sources ajoutent que cette technique de financement du déficit ne pourra pas être reconduite en 2021 et pourrait même être insuffisante pour financer la totalité du déficit attendu en 2020. D’où la prudence de Mohamed Loukal et le rappel, qu’il avait déjà d’ailleurs effectué en juillet dernier, que la loi sur le financement non conventionnel a été voté pour une période de 5 ans et restera valable jusqu’en octobre 2022.

Dans cette perspective, le ministre des finances ne craint pas de se projeter bien au-delà de l’année prochaine en évoquant les pistes pour une réduction durable voire une élimination complète du déficit budgétaire.

Dans ses réponses aux députés, Mohamed Loukal attribue les causes de la crise actuelle des finances publiques à « une affectation de 1800 milliards de dinars de transferts sociaux directs et le même montant de transferts implicites ». Le ministre des Finances estime que le déficit du Trésor pourrait être comblé si « nous réduisons le montant de l’aide directe et indirecte de moitié ».

Il s’agit d’un « grand fardeau sur le budget de l’Etat», a commenté Mohamed Loukal et qui ne pourra être supprimé que par une « réforme des transferts sociaux qui est une opération longue, compliquée et sensible sur les plans économique et social, nécessitant une méthode globale de réforme et un examen rigoureux pour définir ses répercussions sur les citoyens».

Le ministre des Finances a même livré un scoop aux députés : « L’État a recouru à l’aide technique de la Banque mondiale afin de définir les mécanismes à adopter dans cette réforme à court terme » (sic). Un scénario qui ressemble beaucoup à celui de la Loi sur les hydrocarbures et une réforme « nécessaire » qui devra sans aucun doute attendre des conditions politiques plus favorables.

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