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Les secrets du « miracle » de l’insurrection populaire pacifique algérienne

Les secrets du « miracle » de l’insurrection populaire pacifique algérienne

Docteur Boudarène Mahmoud est psychiatre et docteur en sciences biomédicales. Il est l’auteur du livre « La violence sociale en Algérie » paru en 2017.

Par quelle alchimie la contestation populaire est-elle restée pacifique malgré les intimidations et la répression ?

Je crois que pour une alchimie c’en est une et elle a accouché de ce miracle d’une immense insurrection populaire pacifique. Mais si le vocable alchimie participe de quelque chose d’obscur ou d’occulte, nous pouvons essayer de lui donner du sens et une signification afin de le rendre plus intelligible, afin de rendre plus compréhensible l’apaisement qui caractérise depuis maintenant neuf semaines la contestation populaire.

Des millions de citoyens marchent à travers le territoire national dans la convivialité, dans la joie et sans violence, c’est un miracle ! Si les Algériens se sont insurgés pour dire assez à l’indignité dans laquelle le système politique les fait macérer depuis plusieurs années, l’émotion n’est pas montée et la colère a été contenue.

Les Algériens ont connu la violence absolue et la folie meurtrière du terrorisme qui s’était emparée de notre pays durant la décennie noire, et les jeunes qui sont au cœur de cette insurrection ont grandi dedans. Cela a imprimé dans la vie psychique de chacun le souvenir des meurtrissures que cette violence a engendrées. Un véritable traumatisme psychique, encore présent et d’autant plus vivace que les printemps arabes sont venus conforter l’idée que toute révolution est nécessairement porteuse de violence et de deuils. Les exemples de l’Irak, de la Syrie puis de la Libye sont là pour le montrer. C’est sans doute une des raisons – mais pas la seule – qui ont fait que l’Algérie n’a pas pris le train de ces révolutions. De mon point de vue, les violences subies par le passé et les traumatismes dont elles se sont rendues responsables sont donc au cœur de ce miracle.

C’est grâce ou à cause de cela que la colère qui s’est emparée de la population à la suite de l’annonce du 5e mandat n’a pas engendré de la violence et tout ce qu’elle aurait pu charrier comme destructions. Tout s’est passé comme si l’inconscient collectif avait mis en place un mécanisme de défense – ce que les psychanalystes appellent une formation réactionnelle – pour éviter le passage à l’acte violent. La colère a pu trouver ainsi une voie de résolution dans la gaieté, l’humour et la créativité qui ont marqué les nombreuses marches à travers le territoire national. Les slogans nombreux, les expressions diverses, les caricatures, les appels à dégager de toutes sortes ainsi que les chants ont été les canaux par lesquels la colère et l’agressivité des citoyens ont pu s’échapper pour « faire baisser la pression » et éviter la tentation de la violence. Freud appelait cela la sublimation.

Qu’en est-il de la participation massive des femmes et des enfants aux manifestations ?

Je pense que la présence des femmes et des enfants a également beaucoup contribué à apaiser la situation. La testostérone, cette hormone qui fait monter l’agressivité, a laissé la place à l’ocytocine, l’hormone de l’amour et de l’attachement. La présence de la femme et des enfants aux côtéx de l’homme a permis d’atténuer l’odeur de la virilité dans l’air. Eh oui ! La biologie s’était aussi mise de la partie…

Enfin, il faut souligner que la violence est par certains aspects contagieuse et que par bonheur il n’y a pas eu de provocation – le système aurait pu être tenté par cela -, et les services de sécurité se sont faits discrets.

Comment expliquer ce désir répété sans cesse durant les marches de rester pacifique ?

L’appel à rester calme et pacifique durant les marches est indispensable. Il n’est pas de la vaine incantation mais le fait d’appeler au calme ne suffit pas à lui seul à conjurer le risque de violence.

Cette dernière était durant toutes les manifestations dans l’air et les citoyens en avaient très peur, et il fallait la neutraliser, cette peur. L’objectif était là. J’en veux pour preuve non seulement les appels au calme durant les manifestations mais aussi ceux (les appels au calme) qui sont diffusés sur la toile. Il faut souligner que des rumeurs insistantes sur de possibles provocations circulent également sur les réseaux sociaux, des rumeurs qui effraient les sujets les plus anxieux, ces derniers servant de caisse d’amplification à ce type de rumeurs et à la frayeur qui s’en est emparée.

Les appels au calme sont donc là aussi (surtout) pour rassurer et tenter de rompre le cycle infernal de la contagion par la peur. Celle-ci est, si je peux dire les choses ainsi, la « trigger zone » de la violence. C’est donc de la peur qu’il faut éloigner des esprits pour conjurer la violence.

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