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Pourquoi la crise actuelle ne ressemble pas aux précédents conflits politiques

Pourquoi la crise actuelle ne ressemble pas aux précédents conflits politiques

Les conflits politiques qu’a connus l’Algérie depuis l’indépendance ont toujours été réglés en dehors des institutions et loin du peuple. La crise actuelle, où le peuple est un acteur déterminant contrairement aux précédents conflits, échappera-t-elle à cette « règle » ?

« Le système politique a connu par le passé des crises comme en 1962 où il a réglé la crise par clans interposés », rappelle le sociologue Nacer Djabi.

« Un clan a alors pris le contrôle de l’institution militaire et s’est approprié le pouvoir. En 1965, c’était aussi à l’intérieur du même clan, les choses ont été réglées sur une base militaire par le biais de l’institution militaire et par la force. Il y eut une tentative de putsch en 1967 par Tahar Zbiri, ce fut un clan qui a échoué dans sa tentative de renverser le régime en place. S’ensuivirent les crises de 1978 et de 1981-1982 », développe le sociologue.

Les clans réglaient leurs différends entre eux et par la force, voire en utilisant la machine militaire. « La preuve : les crises vécues de 1962 à 1991, le ou les partis politiques étaient absents. Les institutions n’ont pas joué leur rôle dans la résolution des conflits politiques », souligne-t-il.

Dans la crise politique actuelle, la mobilisation citoyenne a rebattu les cartes et cela s’est traduit par l’implication directe du peuple comme un acteur clé et incontournable.

« Depuis le 22 février, on assiste à une très forte mobilisation populaire. C’est une première. Le peuple, fait nouveau, s’est invité dans l’action politique. Avant, le pays a vécu des crises où il était question de crises à l’intérieur du système, entre ses différents clans. L’élément nouveau aujourd’hui, c’est cette présence populaire, c’est cela le phénomène nouveau », explique le sociologue.

Formalisme juridique

Nacer Djabi résume la « culture politique » du système en deux points. D’abord, le fait qu’il règle ses conflits en dehors des institutions et loin du peuple tout en s’accrochant à une espèce de « formalisme » juridique mais où l’esprit de loi n’existe pas.

« Par exemple, on n’a jamais vu le Parlement se réunir pour résoudre les conflits politiques, pas même que le comité central du FLN se réunir en vue de solutionner un conflit politique. De même qu’on n’a pas vu un débat public ou au sein de la classe politique. Les citoyens attendaient les communiqués diffusés dans les JT de 20h de l’ENTV pour voir quel clan a pris le dessus sur l’autre », relève l’universitaire.

Cette fois, le système n’a pas changé de méthode. C’est le même formalisme juridique d’apparence dont il se drape pour tenter d’imposer une « feuille de route », lui permettant d’assurer sa survie. Or, l’implication du peuple à travers le hirak a changé la donne en mettant en avant des revendications claires.

« Les citoyens qui sortent manifester disent qu’ils ne veulent pas d’un changement de figures mais de tout le système. Les citoyens veulent changer le fonctionnement du système lui-même. La mobilisation au sein du hirak tente d’imposer cette position. Cette fois, on ne veut pas d’un changement formel et de têtes. C’est là que réside la particularité de la période actuelle », pointe Nacer Djabi.

Le système réfractaire à la réforme

Il reste cette certitude : le système politique en Algérie n’est pas réformable de l’intérieur. « Il n’a pas une capacité de réaliser des changements en son sein. De là vient la crise du système politique en Algérie. Même les personnes qui voulaient le réformer de l’intérieur ont échoué. Toutes les tentatives de réforme n’ont pas fonctionné. Le système politique algérien a une incroyable résistance à la réforme », soutient Djabi.

Les précédents conflits politiques, où l’institution militaire y était au cœur, étaient aussi graves que la crise qui frappe le pays aujourd’hui, selon Nacer Djabi.

« En 1967, le chef d’état-major Tahar Zbiri a tenté un putsch contre le ministre de la Défense Houari Boumediene. Fait grave. En 1991, ce qui s’est passé est tout aussi grave. L’institution militaire s’était impliquée directement dans l’arrêt du processus électoral, a dissout le Parlement et fait démettre le président ».

Cette fois, la situation est différente. Le peuple revendique la mise en place d’institutions légitimes. « Il veut proposer des figures légitimes et aspire vers un État national, un gouvernement et un Parlement nouveaux à travers des élections transparentes et par le biais des personnes acceptées par lui (le peuple) », note Djabi.

Les contradictions internes au système sortent de la « boîte noire »

Pour la politologue Louisa Ai Hamadouche, les crises politiques qu’a connues le pays ont toujours permis au système politique de renouveler ses capacités de résilience, en renouvelant ses modalités. « Par exemple, on est passé du système du parti unique au multipartisme. Le système politique a toujours trouvé, jusqu’à présent, des modalités pratiques de dépasser la crise », analyse-t-elle.

D’après Louisa Ait Hamadouche, la différence entre la crise politique actuelle et les précédentes se résume au fait que dans la situation d’aujourd’hui, les contradictions internes au système ne sont plus restées dans la « boîte noire ».

« En fait, ce qui conduit les contradictions internes au système à sortir de la boîte noire c’est son incapacité (le système) à trouver un successeur à Abdelaziz Bouteflika. Un cas d’espèce auquel le système n’a jamais été confronté auparavant. Dans les crises précédentes, le système a toujours trouvé la personne idoine pour maintenir les équilibres internes. Et là, il a été dans l’incapacité de le faire », rappelle la politologue.

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