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Pourquoi l’armée alimente le débat sur son rôle politique ?

Pourquoi l’armée alimente le débat sur son rôle politique ?

NEWPRESS
Le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP Ahmed Gaid Salah

L’armée alimente depuis plusieurs semaines le débat sur son « rôle politique » et sur ses responsabilités dans la phase actuelle que traverse le pays. Une phase marquée par beaucoup d’interrogations sur la conduite des affaires de l’État dans un contexte de maladie du Président.

Les doutes de l’opposition

Des partis d’opposition comme Jil Jadid de Soufiane Djillali ou Talai Al Hurriyet de Ali Benflis ont exprimé leurs inquiétudes sur « la vacance du pouvoir » et sur l’émergence « d’un système parallèle » de prise de décisions engageant tous les Algériens.

Abderrezak Makri, ex-président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), a publié, ce jeudi 7 septembre, un point de vue sur sa page Facebook pour s’interroger sur les raisons qui ont amené l’ANP à « parler beaucoup ». « Ce genre de déclarations est soit une couverture ou une diversion sur une intervention imminente soit une position imposée par une partie (civile ou militaire) qui craint l’intervention », a-t-il écrit.

Makri appelle l’armée à s’impliquer. « Si, comme le soutient l’opposition, le pays se dirige vers une crise, nos soldats et les hommes en charge de la sécurité vont devoir affronter la situation. Et il est de leur devoir de participer efficacement dans la transition démocratique en tant que partenaires et garants », a-t-il soutenu.

La réponse de l’état-major

Noureddine Boukrouh, ancien ministre et fondateur du Parti du renouveau algérien (PRA), a lui aussi appelé les chefs de l’armée à assumer leurs responsabilités. Il a ciblé « les anciens hauts responsables de l’ANP qui ont ramené l’actuel Président qui ne veut plus partir quoi qu’il arrive au pays ».

Contre toute attente, l’armée a réagi via la revue El Djeich, en parlant de « plumes mercenaires ». L’édito de l’organe central de l’ANP ciblait surtout Noureddine Boukrouh, accusé de faire « un procès d’intention » aux militaires.

« À tous ceux qui, en secret, ouvertement ou implicitement, réclament l’intervention de l’armée, nous rappelons les propos du vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP, lors de sa dernière visite en 2e et 5e régions militaires : « Notre armée demeurera une armée républicaine, engagée à défendre la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale et à préserver l’indépendance du pays. Une armée qui ne se départira pas de ses missions constitutionnelles quelles qu’en soient les conditions et circonstances ». Point à la ligne », est-il écrit dans El Djeich.

Cette réaction pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponse dans la conjoncture actuelle. Parmi elles : pourquoi l’état-major de l’armée est-il en train d’insister sur cette question politique ? Il y a plusieurs hypothèses.

Quatre hyppthèses

La première : il existe au sein même de l’armée un ou deux courants qui plaident pour une intervention pour mettre fin à l’état de confusion actuelle au sommet de l’État dans des formes qui restent à définir aux fins d’éviter le coup d’État militaire, très risqué sur plusieurs plans.

Le pays a déjà connu deux coups d’État par le passé qui ont eu des conséquences dramatiques, encore visibles à ce jour : Ben Bella (1965) et Chadli (1992). Les réponses du général major Ahmed Gaid Salah, chef d’état-major de l’ANP, à Constantine puis via El Djaich, s’adressent probablement aux partisans de cette option, au sein des unités de l’armée.

La deuxième : l’insistance à vouloir réagir à chaque fois semble traduire un débat interne qui peut aller au-delà de l’armée elle-même et qui peut concerner le général Ahmed Gaid Salah « himself ».

Gaid Salah partage la responsabilité politique de la gestion actuelle en tant que vice-ministre de la Défense nationale. En cette qualité, il est membre du gouvernement et siège au Conseil des ministres. L’échec ou la réussite de l’Exécutif engage également l’armée puisque Gaid Salah est également chef d’état-major. Le premier responsable de l’armée a rappelé à chaque fois sa fidélité aux orientations et au commandement d’Abdelaziz Bouteflika en tant que chef suprême des forces armées. Il entend le rester en résistant aux pressions intérieures et extérieures. C’est aussi pour lui une manière de rassurer le Président sur sa fidélité et de pouvoir ainsi rester à son poste.

La troisième : l’armée, qui tente de s’habituer aux nouvelles techniques de communication et de marketing, entend soigner ou améliorer son image après un passé lourd avec le renversement du régime d’Ahmed Ben Bella, la période de la répression des années Boumediène, l’arrêt du processus électoral en 1992 et les violences des années 1990.

L’armée, qui garde toujours son caractère populaire considéré comme un choix stratégique, ne veut pas s’engager dans une nouvelle aventure politique aux retombées imprévisibles à court terme. Et elle le fait savoir à chaque fois que l’occasion lui est donnée.

Cependant, l’hypothèse d’une intervention dans le cas d’une « situation exceptionnelle » n’est pas écartée, comme l’a évoqué le général à la retraite Abdelaziz Medjahed, dans une interview à TSA Arabi.

Medjahed a souhaité que la classe politique assume son rôle en ayant en perspective la stabilité et l’unité du pays. L’idée d’un « consensus national », réunissant opposition et partis du pouvoir autour d’élection présidentielle anticipée, ne semble pas être à l’ordre du jour. L’éparpillement des forces de l’opposition et les querelles entre parti de l’ex-Alliance présidentielle éloigne le projet de « consensus » pouvant accélérer le changement au sommet de l’État pour l’instant. Cette situation est le résultat des fermetures politiques dans le pays et du renouvellement chaotique des élites.

La quatrième hypothèse : la transition « historique » consacrée par l’arrivée d’un civil au pouvoir avec Abdelaziz Bouteflika en 1999 ne doit pas être rompue, selon la vision choisie par les forces armées après la fin de la période des troubles, née du départ forcé d’un général de la présidence de la République, Liamine Zeroual 1998.

Le retour d’un autre général, dans des habits civils, paraît être un scénario éloigné malgré l’existence de certaines ambitions qui commencent à apparaître ici et là.

Donc, les généraux, qui ont accepté qu’un civil soit chef des forces armées et ministre de la Défense nationale, ne veulent pas revenir à la case départ en réintroduisant « la culture du putsch ».

L’application de l’article 102 de la Constitution (état d’empêchement du chef de l’État) ou la démission du président de la République doivent être, selon les responsables militaires, l’affaire des politiques, tenus de trouver « les formules efficaces » pour éviter les chars dans la rue comme « solution » à la crise ou « antidote » au statut quo.

Cela dit, l’armée, qui s’est adaptée au régime du parti unique pendant vingt-sept ans (1962 et 1989), cultive toujours l’image de « l’incontournable sauveur » ou de l’institution-arbitre après avoir grandement contribué au blocage de l’émergence d’un véritable pluralisme politique et d’une réelle alternance du pouvoir à travers des élections libres.

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