Rien ne va plus entre le Maroc et la France et rien ne laisse entrevoir un réchauffement à court terme dans les relations entre les deux pays. Le roi Mohammed VI semble avoir placé très haut la barre de ce qu’il attend de Paris.
En France, dans les milieux intellectuels, diplomatiques et médiatiques, on s’intéresse de plus en plus à cette crise qui, inhabituellement, s’inscrit dans la durée.
Ceux qui refusent d’y voir un simple nuage d’automne en veulent pour preuve ce qui s’est passé après le séisme qui a frappé le centre du royaume le 8 septembre dernier.
Au lieu de constituer l’occasion d’un rapprochement en laissant agir la diplomatie humanitaire et en actionnant la dimension humaine de la relation bilatérale incarnée par la forte communauté marocaine présente en France, cette catastrophe a au contraire aggravé la rupture.
Le roi Mohammed VI a préféré en faire l’occasion de régler ses comptes avec les États qui n’appuient pas franchement ses thèses dans le dossier du Sahara occidental.
Il a dédaigneusement décliné l’offre d’aide de la France et de l’Algérie, n’acceptant que l’assistance de quatre pays au nom d’un prétendu souci de coordination des secours alors que le gouvernement marocain a montré l’étendue de son incompétence dans la gestion de ce genre de catastrophes. Des victimes du séisme ont attendu plusieurs jours avant d’être enterrées.
Le refus de l’aide proposée par la France a profondément vexé les Français, y compris ce qui reste des soutiens du Maroc dans la classe politique, notamment dans la droite traditionnelle et l’extrême-droite.
Avant d’en arriver là, le Makhzen a multiplié les raisons de mettre en péril sa relation historique avec Paris.
À l’été 2021, des révélations ont été faites sur l’implication des services marocains dans l’espionnage du téléphone personnel du président Emmanuel Macron via le logiciel israélien Pegasus.
L’explication qui s’en est suivi entre les deux chefs d’État aurait mal tourné, à en croire l’écrivain proche du palais royal Tahar Ben Jelloun. Celui-ci a révélé que Macron aurait « manqué de respect » au souverain alaouite.
Le roi du Maroc prêt à brûler ses vaisseaux avec la France
Un autre dérapage des services marocains, l’espionnage de députés européens révélé en décembre 2022, a envenimé les choses.
Emmanuel Macron sera accusé par la presse et les autres relais du palais de Rabat d’être derrière les deux résolutions défavorables au Maroc adoptées dans la foulée par l’institution de Strasbourg, la première sur les atteintes à la liberté de la presse dans le royaume et la seconde sur le « moroccogate« .
Néanmoins, la véritable raison de la brouille est ailleurs et les porte-voix du makhzen n’hésitent pas à la désigner sans détours : le refus d’Emmanuel Macron de suivre l’exemple de l’Espagne, des États-Unis et d’Israël qui ont, pour la première, appuyé le plan d’autonomie marocain, et pour la seconde, reconnu la « souveraineté marocaine » sur les territoires sahraouis occupés.
« C’est au tour de la France de revoir sa position sur le Sahara et d’en assumer les conséquences« , ordonne presque dans un article publié dans Jeune Afrique l’écrivaine Aïcha Basri, ancienne fonctionnaire des Nations-Unies et lobbyiste pro-marocaine.
Aicha Basri rappelle ce que le roi Mohammed VI, enhardi par la nouvelle position américaine, a dit aux autres pays occidentaux dans son discours du 20 août 2022 : le Maroc considérera désormais son environnement international à travers le prisme du dossier sahraoui.
Selon l’écrivaine, le message était adressé à la France à laquelle il était signifié que sa « danse d’équilibriste » entre l’Algérie et le Maroc n’était « plus de mise« .
L’Algérie, c’est en effet l’autre problème du moment pour le Makhzen. Le rapprochement entrepris avec Alger par le président Macron ulcère le Palais royal qui n’hésite plus à le clamer haut et fort.
Plus clairement, le roi Mohammed VI veut dicter à la France sa politique étrangère au Maghreb et sur ces deux questions précises, celle du Sahara et le rapprochement franco-algérien, il semble prêt à aller loin. À moins qu’il s’agisse d’un poker menteur. Aicha Basri n’hésite pas en tout cas à lâcher le mot : une rupture à la rwandaise.
Les attaques d’une rare violence de la presse proche du Makhzen contre le président français laissent penser en effet que le roi Mohammed VI est en train de brûler ses vaisseaux avec Paris.
Sur le dossier du Sahara occidental, « Rabat doit comprendre que la France est tenue de composer avec le droit international« , rétorque posément le journal Le Monde qui vient de consacrer une série d’articles à la crise franco-marocaine.
Et d’asséner cette vérité d’une infinie justesse : son « raidissement autoritaire à domicile » et ses « pratiques intrusives à l’étranger » nuisent à l’image du royaume plus qu’ils ne le servent et c’est là que « réside l’érosion du soft-power du Maroc plutôt que dans d’imaginaires cabales« .