search-form-close
Sakiet Sidi Youssef, un sacrifice du peuple tunisien pour l’indépendance de l’Algérie

Sakiet Sidi Youssef, un sacrifice du peuple tunisien pour l’indépendance de l’Algérie

L’Algérie et la Tunisie commémorent conjointement ce jeudi 8 février le 60e anniversaire du bombardement par l’armée française du petit village de Sakiet Sidi Youssef, situé à la frontière entre les deux pays.

| LIRE AUSSISakiet Sidi Youcef : Ouyahia et plusieurs ministres en Tunisie

Cette agression du territoire de la Tunisie, devenue souveraine depuis le 20 mars 1956, sera le point culminant des fortes tensions provoquées par le soutien du voisin de l’Est à la Révolution algérienne et un tournant important dans l’internationalisation de la cause nationale algérienne.

Un contexte tendu

Le village de Sakiet Sidi Youssef est situé sur la route reliant la ville tunisienne d’El Kef à Souk Ahras et fait face à la ville algérienne de Lehdada. Comme de nombreux autres villages frontaliers tunisiens, Sakiet Sidi Youssef servait de base arrière aux combattants de l’ALN. Sa proximité avec la frontière en faisait une base logistique idéale. Des armes destinées aux Moudjahidine y étaient entreposées en attendant leur transfert vers les maquis algériens et un camp de l’ALN, servait de camp d’entraînement, de centre de soins et de repos aux Moudjahidine.

Après l’indépendance de la Tunisie, l’armée française qui maintenait en Tunisie 50.000 hommes et plusieurs bases militaires contrôlait encore les frontières tunisiennes, ce qui rendait tout transfert d’hommes ou d’armes vers l’Algérie très compliqué, voire impossible.

Mais en juillet 1957, avec l’évacuation des forces françaises des frontières tunisiennes, les transferts d’armes et de combattants vers l’Algérie deviennent moins compliqués, malgré le début de la construction de la ligne Morice en juin de la même année. Le « barrage », composé de barrières barbelées et électrifiées, était également miné et surveillé en permanence par des patrouilles pédestres, motorisées et aériennes.

Ce dispositif ne parvient toutefois pas à empêcher les fréquentes intrusions de groupes de l’ALN vers l’Algérie. Plusieurs accrochages ont lieu entre combattants algériens et soldats français avec, selon certaines sources, surtout françaises, l’implication de la garde nationale et de l’armée tunisiennes.

Accrochages à la frontière et implication de l’armée tunisienne

Dès l’évacuation du côté tunisien de la frontière par l’armée française, les incursions des combattants de l’ALN deviennent plus fréquentes et les accrochages avec les forces françaises du « barrage » sont de plus en plus violents.

Le 11 janvier 1958, l’ALN attaque une garnison française basée dans l’actuel village Djebar Amor, coincé alors, entre la frontière tunisienne et la ligne Morice. L’attaque, commandée par le commandant Tahar Zbiri, dure près de 5 heures et fait 42 morts et 4 prisonniers dans les rangs du 23e régiment d’infanterie de l’armée française, selon le FLN. La France n’a reconnu que 12 morts et un prisonnier parmi ses forces.

L’attaque aura de graves répercussions et actera « l’exportation » par la France de sa guerre contre l’ALN en Tunisie.

Le soutien de la Tunisie à la Révolution algérienne ne fait aucun doute mais l’implication directe de son armée dans les accrochages avec l’armée française sont sujets à controverse. Pour les Français, la supposée implication directe de l’armée tunisienne justifierait le recours au « droit de suite » consistant à poursuivre des éléments de l’ALN jusque dans le territoire tunisien après un accrochage en Algérie ou suite à une attaque à partir du sol tunisien.

L’Echo d’Alger, un quotidien français, farouche partisan de l’Algérie française, écrit le lendemain de l’attaque que les soldats français prisonniers lors de la bataille du 11 janvier ont été emmenés en Tunisie et qu’« une camionnette bleu de la garde nationale tunisienne, une ambulance et trois autres camionnettes attendaient à la frontière ».

Le quotidien poursuivra sa campagne de propagande incriminant la Tunisie pendant plusieurs jours après l’attaque. Le 14 janvier, le journal affirme dans un de ses articles : « C’est bien la garde nationale tunisienne qui a transporté les rebelles sur les lieux de l’embuscade de Sakiet ». Le lendemain, le même journal rapporte le témoignage d’un capitaine de l’armée coloniale ayant pris part à la bataille et qui prétendait que « certaines positions de tir se trouvaient en territoire tunisien » et que « deux soldats français ont été vus, après l’embuscade, traversant Sakiet Sidi Youssef à pied, les mains derrière le dos ». Selon le même témoignage, les combattants de l’ALN auraient été « ramenés par des véhicules de la garde nationale (tunisienne) » après la bataille.

« Droit de suite »

Tout est fait pour incriminer la Tunisie et justifier le « droit de suite » accordé aux forces françaises par leur Etat-Major et qui mènera au bombardement de Sakiet Sidi Youssef.

La Tunisie était indépendante depuis 1956 et il était inacceptable aux yeux de la communauté internationale, et même aux yeux d’une partie de l’opinion publique française, que la France attaque le FLN sur le territoire tunisien. L’attaque du 11 janvier 1958 servira de prétexte à la France, pour poursuivre les combattants de l’ALN même à 25 kilomètres au-delà de la frontière, au nom de ce que l’armée française appellera le « droit de suite ».

« Pour le cas où la décision serait prise de ripostes importantes en territoire tunisien comme suite des actions FLN comme celle de Sakiet, j’ai l’intention d’examiner avec vous vos possibilités d’opérations sur les objectifs FLN en Tunisie zone frontière, en particulier sur les centres de rassemblement de Ghardimaou et de Tadjerouine », écrit le général Ely, chef d’état-major au général Salan, le 14 janvier 1958, autorisant ainsi de futurs bombardement sur le sol tunisien.

Le bombardement 

De nombreux éléments permettent de croire que l’attaque par l’aviation française de Sakiet Sidi Youssef était préméditée et n’avait rien à voir avec un quelconque « droit de suite » qui ne devait donner lieu à des attaques sur le sol tunisien que si elles se font dans le cadre de la poursuite d’éléments du FLN accrochés sur le sol algérien ou dans le cas d’attaques à partir du sol tunisien.

Le prétexte avancé par l’armée française pour justifier le bombardement meurtrier sont les dégâts qu’auraient infligés des tirs venant du « Bordj » de Sakiet Sidi Youssef à un avion de reconnaissance français qui survolait, dans la matinée du 8 février, la zone située entre la ligne Morice et la frontière tunisienne, qui était donc au-dessus du territoire algérien.

L’attaque est menée par 8 chasseurs Mistral, 6 chasseurs-bombardiers Corsair et 11 bombardiers lourds A-26. En tout, 25 avions, armés de bombes lourdes et de bombes à fusée retard dont l’objectif est la destruction les stocks d’armes.

Des dizaines de civils tués

Le raid sur Sakiet Sidi Youssef cause une véritable hécatombe au sein de la population civile du village. Sur les 79 personnes tuées dans les bombardements, la majorité sont des civils. L’école du village est sévèrement touchée alors qu’elle était remplie d’écoliers, une douzaine d’enfants y trouvent la mort. Deux ambulances de la mission de la Croix Rouge qui a rassemblé les réfugiés algériens dans le village en vue d’une distribution de vivres sont détruits par l’aviation française.

Les avions français volent en rase-motte au-dessus du village et mitraillent le marché grouillant de paysans et de réfugiés algériens.

Un revers diplomatique pour la France

Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef aura de lourdes conséquences. Le président tunisien, Habib Bourguiba réagit avec force. Il réclame immédiatement après l’attaque l’évacuation totale des forces françaises, y compris de la base navale de Bizerte sous contrôle français. Les bases militaires françaises en Tunisie sont soumises à un blocus de l’armée tunisienne, ce qui mènera à de nombreux accrochages entre les deux forces à l’occasion de tentatives des unités de l’armée françaises de sortir de leurs bases.

Au lendemain de l’attaque, la tension est à son comble entre la Tunisie et la France, le gouvernement tunisien expulse cinq consuls français et dépose plainte auprès de l’ONU. Une mission de bons offices anglo-américaine sous l’égide de laquelle des pourparlers seront entamés entre la France et la Tunisie.

Le massacre de Sakiet Sidi Youssef aura des répercussions décisives sur l’histoire des trois pays. La lutte de libération nationale gagne en médiatisation et avance sur le plan diplomatique. La Tunisie renforce sa souveraineté et obtient une évacuation effective des forces françaises de son sol alors que le pouvoir de Bourguiba en sort renforcé, il profite de la situation pour en finir avec les yousséfistes, rebelles armés.

La France connaîtra, quant à elle, un énième revers diplomatique, à partir de cette date, ses relations avec ses alliés occidentaux seront affectées. En interne, la crise politique qui a suivi le bombardement de Sakiet Sidi Youssef contribuera au retour au pouvoir du général De Gaulle.

Sur le plan opérationnel, l’attaque n’aura eu qu’un impact très limité, les infiltrations de combattants de l’ALN vers l’Algérie à travers la frontière tunisienne ne seront jamais totalement stoppées.

  • Les derniers articles

close