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Sécheresse en Algérie : la détresse des éleveurs de moutons

Sécheresse en Algérie : la détresse des éleveurs de moutons

La sécheresse que connaît actuellement l’ouest de l’Algérie a de graves conséquences pour les éleveurs de moutons. Les parcours steppiques surexploités ne présentent plus que quelques rares buissons où seules persistent quelques tiges ligneuses. Face à cette catastrophe, les éleveurs réclament une aide des pouvoirs publics.

Fin octobre, à Rogassa (El Bayadh), Mâamar surveille son troupeau. Dans un paysage quasi désertique, les brebis errent d’un buisson à un autre. Des buissons desséchés autour desquels s’accumule du sable indiquant un début de désertification.

Il confie à Ennahar TV : « On donne aux animaux de la paille et de l’orge car les pâturages ne suffisent pas à les nourrir. C’est à cause de la sécheresse. »

De son côté, Abdelkader espère encore : « Si au moins on recevait de l’orge pour un mois. Même si cela reste insuffisant, cela nous aiderait à tenir ».

Tiffour Djabiya du haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS) décrit le quotidien des éleveurs : « Durant l’année ils n’ont bénéficié que d’une seule dotation en orge. Les gens n’en peuvent plus. Les moutons sortent de la bergerie quelques heures pour aller sur les pâturages. Mais ils ne survivent que grâce à leur ration d’orge et la paille. »

Laïd Benhamadi, le représentant local de l’Union nationale des paysans algériens (Unpa) analyse la situation : « Il n’a pas plu durant des mois et la valeur alimentaire des pâturages est passée de 150 unités fourragères à l’hectare [soient 150 kg d’orge] à 50 unités. Quant aux zones de parcours protégées (mahmiyates), leur valeur alimentaire est passée de 240 à moins de 100 unités fourragères. Sur les 1.300 éleveurs recensés ces 5 dernières années, un tiers ont renoncé à l’élevage. »

Comme beaucoup d’éleveurs, il ajoute : « Cela à cause de la sécheresse » qui frappe l’Algérie depuis des années.

Si la sécheresse est réelle, surtout dans l’ouest de l’Algérie, peu d’éleveurs de moutons reconnaissent que la dégradation des pâturages est avant tout liée à une trop forte densité d’animaux.

A El Bayadh, comme dans de nombreuses wilayas steppiques, la dégradation des parcours est telle que tout passage d’animaux devrait être proscrit pendant 4 à 5 ans afin de laisser à la végétation le temps de se régénérer.

La régénération naturelle, c’est justement la stratégie développée avec succès par le HCDS à travers les zones mises en réserve puis louées aux éleveurs 2 mois en hiver et 3 mois au printemps. Une stratégie qui implique cependant le report des troupeaux sur les zones non protégées et qui, selon des experts, concoure à une surcharge de ces parcours. La steppe ne pouvant nourrir autant de moutons et selon eux, il s’agit de créer des emplois hors agriculture.

Pour nombre d’éleveurs, la location des parcours est une aubaine : « La location de 100 à 200 hectares nous revient entre 100.000 et 200.000 DA. Lorsque les parcours sont fermés à la location, tous les 10 à 15 jours on dépense l’équivalent de cette somme en orge ».

Certains éleveurs disposent de camions transportant leur troupeau vers des parcours plus fournis. Dans le cas de Mâamar et d’Abdelkader, le manque de moyens de transport les obligent à rester sur place.

Sécheresse en Algérie : les éleveurs de moutons appellent à l’aide

Face à cette situation, l’Algérie multiplie via l’Office national des aliments du bétail (Onab) les achats d’orge à l’étranger. Une pratique développée depuis le milieu des années 1970 qui permet la vente d’orge aux éleveurs à prix réglementé pour leur permettre de passer la mauvaise saison. Mais cette pratique a eu pour effet d’augmenter le cheptel steppique et d’accroître la pression sur les parcours.

L’Onab approvisionne également les éleveurs en aliments concentrés. C’est en particulier le cas avec les opérations dites triangulaires qui associent les éleveurs et l’Entreprise algérienne des viandes rouges (Alviar).

Face au manque de fourrages, depuis des années, la recherche agronomique locale propose des alternatives. C’est le cas de la mise au point d’aliments de survie à base de sous-produits issus des industries agro-alimentaires : grignons d’olives, son de meunerie, mélasse, dattes déclassées.

Des mélanges sont enrichis de compléments minéraux et d’urée puis agrégés sous forme de briques. L’Institut technique de l’élevage (Itelv) a montré qu’il suffit de verser de la mélasse sur des bottes de paille ou de les traiter à l’urée pour doubler leur valeur alimentaire.

Faute d’une vulgarisation efficace, les surplus locaux de mélasse et d’urée sont exportés alors qu’ils pourraient être dirigés vers les éleveurs. En 2017, ce sont 22.000 tonnes de mélasse qui ont été exportées. Une mélasse issue des raffineries locales de sucre brut brésilien.

Malgré leur savoir-faire ancestral, la plus grande partie des éleveurs algériens n’ont pas accès aux techniques modernes.

En 2015, co-auteur d’une étude sur la région de Djelfa, Mohamed Kanoun de l’Inra Algérie a montré qu’il existe cependant des élevages modernes. Il s’agit le plus souvent de « gros éleveurs et d’investisseurs (commerçants, entrepreneurs…) détenteurs de moyens de production (motorisation, bergeries, superficie agricoles). Ces éleveurs ont souvent recours à des techniques modernes de production et de pratiques d’élevage intensives : synchronisation des chaleurs, complémentation durant toute l’année, soins vétérinaires). »

Face aux ratés de la vulgarisation, l’agronome Saci Belgat, propose de « procéder à des formations qualifiantes en élevage des jeunes de ces localités [steppiques], les aider à s’installer. D’où l’urgence d’ouvrir des centres d’apprentissage du métier de berger. »

Fourrages et balles rondes Ain Bel Khlil

Autre alternative à l’importation d’orge, produire plus de fourrages. La loi de 1983 sur l’Accession à la propriété foncière agricole a ouvert la voie à l’investissement en milieu steppique.

Il en est de même avec le Plan national de développement agricole (PNDA) de 2000 et les 500 millions de dollars injectés dans le secteur agricole.

Co-auteur d’une étude à Msila, Iyes Hadbaoui de l’université de Ouargla note que « le développement des cultures fourragères a débuté l’année 2000 avec la mise en place du PNDA. » Il relate la dynamique qui a conduit à l’extension des superficies fourragères en orge, avoine et luzerne qui dès 2018 totalisaient 40.000 hectares.

Un autre type de fourrage est très apprécié par des éleveurs : le maïs ensilage, conditionné sous forme de balles rondes enrubannées.

A ses débuts, en absence d’enrubanneuses, il est arrivé que l’ensilage soit conditionné manuellement dans de simples sacs d’engrais recyclés. Cela a été le cas à Naâma, avec des chantiers mobilisant jusqu’à une vingtaine d’ouvriers agricoles.

Aujourd’hui, son essor a été rendu possible par les subventions portant sur 60% du montant de l’équipement lié à l’irrigation et par une plus grande disponibilité en enrubanneuses. La société Timac-Agro annonce des rendements de 46 tonnes de maïs fourrages lors d’essais à El Ménia. C’est cette productivité du maïs qui permet aujourd’hui à des agriculteurs de mettre sur le marché de grandes quantités de balles rondes d’une tonne ou d’un quintal.

Récemment à Hammadia (Tiaret), lors d’une rencontre avec le wali, un agriculteur disposant de plus d’une centaine d’hectares et de plusieurs forages a indiqué avoir approvisionné durant l’année les éleveurs de sa wilaya d’origine et de ceux de Tissemsilt en balles rondes. Le PNDA a stimulé également la culture d’oliviers, d’arbres fruitiers, d’oignons et de pomme de terre. Des cultures essentiellement irriguées à partir des eaux souterraines.

Cette production de fourrages nécessite cependant des moyens conséquents : matériel de récolte (ensileuse et enrubanneuse), d’irrigation et présence de forages. Elle n’est donc pas accessible à tous les agriculteurs.

Par ailleurs, avec la sécheresse de ces derniers mois, le niveau de l’eau des nappes souterraines est en baisse. Récemment, lors d’une intervention sur Echourouk TV, Hadj Djalani, un des représentants nationaux de l’UNPA, a indiqué que selon les données de l’ANRH, le rabattement des nappes d’eau en Algérie atteignait en moyenne 25 mètres. Entre risque de désertification et utilisation à outrance de l’eau souterraine, l’élevage du mouton mérite une stratégie permettant un développement durable.

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