L’Algérie manque d’eau. Si les pluies tardives du mois de mai qui se sont abattues sur le nord de l’Algérie ont permis un répit après la sécheresse de l’hiver dernier, le pays doit revoir en urgence sa politique de l’eau.
Le remplissage de 29 barrages a augmenté sur les 81 que compte le pays. L’important barrage de Taksebt qui alimente en partie Alger a retrouvé des couleurs. Mais beaucoup redoutent les mois d’été avec d’éventuelles coupures d’eau.
L’inquiétude est alimentée par la vague de chaleur qui a déferlé sur le pays ces dernières semaines. Il a fait jusqu’à 40°C à Béjaïa, Jijel Annaba et Skikda tandis que les températures ont été supérieures à 42°C à Chlef, Aïn Defla, Blida et Tizi Ouzou. Des températures qu’on ne voit habituellement qu’au milieu de l’été. Malgré les dernières pluies, déjà la hantise du manque d’eau refait surface alors que la demande ne fait qu’augmenter.
Selon le ministère des Ressources en eau, les besoins annuels de l’Algérie à l’horizon 2030 devraient atteindre 4 milliards de m3 pour la consommation des ménages (contre 3,3 milliards de m3 en 2018), 8,3 milliards de m3 pour l’agriculture (contre 6,8 milliards de m3 en 2018) et 0,6 milliard de m3 pour l’industrie (contre 0,3 milliards de m3 en 2018).
De l’eau quelques heures par jour
La Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (SEEAL) réalise des prouesses afin d’assurer une distribution continue d’eau. C’est notamment le cas à l’Est d’Alger dans les communes d’Aïn Taya, Bordj El Bahri, El Marsa, Dergana et Heraoua, où plus de 15 000 nouveaux logements ont été construits ces dernières années.
À cela, il s’agit d’ajouter les pics de consommation. Selon le directeur général de l’Algérienne des eaux, la demande peut passer subitement de 80 à 300 L par jour et par habitant. C’est le cas lors de l’Aïd al-Adha, qui a été célébré le 28 juin en Algérie, où heure par heure, cadres et ouvriers veillent sur le réseau.
Début mai, répondant à des rumeurs sur un éventuel manque d’eau cet été, le président Abdelmadjid Tebboune a précisé que si l’alimentation en eau pourrait ne pas être assurée de façon continue en été, elle le serait quelques heures par jour ou un jour sur deux.
Citernes sur les balcons et colporteurs d’eau
Dans de nombreuses villes algériennes, on assiste à l’apparition d’une nouvelle corporation, les colporteurs d’eau. Aux premières citernes tirées par de simples tracteurs agricoles ont fait place des camions. Le plus souvent des engins de faible tonnage équipés de 2 à 3 citernes de 1000 L chacune.
Les colporteurs ont leur marché, le plus souvent à proximité d’immeubles d’habitation. Ils font aujourd’hui partie du décor urbain au même titre que les citernes sur les balcons et les terrasses que l’on voit partout en Algérie.
Les clients doivent passer commande plusieurs jours à l’avance. La corporation est dûment enregistrée auprès des autorités et chaque colporteur est astreint à faire réaliser des analyses.
À Biskra, une chaîne de camions se forme chaque matin devant le seul laboratoire d’analyses de la ville. Certains revendeurs ne sont pas déclarés. En décembre dernier, DK News rapportait l’avertissement de M’hamed Amoumen, wali de Aïn Témouchent : « L’eau commercialisée par les vendeurs ambulants illégaux est d’origine inconnue, ce qui constitue une menace pour la santé des consommateurs ».
Manque d’eau, les déboires d’Annaba
Le défi est d’assurer les besoins en eau de 43 millions d’habitants dans un pays où la Banque mondiale note un déficit naturel en eau. Le cas de la région d’Annaba est emblématique. En 2017, la presse relate les coupures d’eau à répétition et notamment lors de l’Aïd al-Adha.
Ces coupures déclenchent une vague de protestations des habitants de plusieurs quartiers : Pont-Blanc, Oued Kouba, Elysa, M’haffeur, Rizzi-Amor, cité Patrice-Lumumba et des communes voisines : Sidi Amar, Seraïdi et Chetaïbi.
Au paroxysme de la crise de l’eau, le complexe sidérurgique d’El Hadjar dans la région d’Annaba devra arrêter ses activités. Les secteurs de l’industrie et des services peuvent être particulièrement consommateurs d’eau.
Dans le cas du complexe sidérurgique d’El Hadjar (Annaba), les besoins en eaux sont impressionnants : jusqu’à 30 000 m3 par jour. Le complexe a compté jusqu’à 25 km de canalisations pour les fluides dont une partie pour l’eau. Pour satisfaire cet appétit, le complexe dispose de deux châteaux d’eau de 10.000 m3 chacun et d’une retenue de 310.000 m3.
À l’époque, le ministre des Ressources en eau a promis que l’approvisionnement du complexe sidérurgique sera assuré par de l’eau recyclée à partir de la station d’épuration de Lallelik.
Annaba attend sa station de dessalement d’eau de mer
Avec les services de la wilaya, il est alors décidé la réalisation de nouveaux forages et l’utilisation de plus de 25 camions-citernes.
Mais comme dans de nombreuses villes de bord de mer, les forages s’avèrent problématiques. À force de trop pomper d’eau dans la nappe profonde à proximité de la côte, le vide est comblé par de l’eau de mer. Résultat, une eau chargée en sel. C’est ce qu’a mis en évidence dès 2015 Derradji El Fadel, un universitaire d’Annaba, un début d’intrusion marine dans la nappe.
Avril 2023, l’eau des barrages de Chefia et Mexa ne suffit pas à assurer les 500.000 m3/jour nécessaires et ce ne sont que 200.000 m3 qui sont distribués tous les 4 jours. Impossible de compter sur plus de forages.
Aussi, Annaba attend avec impatience la station de dessalement d’eau de mer de Koudiet Draouch (El-Tarf) dont la livraison est prévue pour fin 2024. Des stations dont le chef de l’État a rappelé début mai l’importance : « J’ai ordonné la généralisation des stations de dessalement de l’eau de la mer tout le long du littoral et jusqu’aux Hauts-Plateaux ».
Fuites des canalisations d’eau
En attendant sa station de dessalement d’eau de mer, Annaba compte sur la réparation des fuites sur le réseau d’adduction en eau potable (AEP). Des pertes estimées à plus de 40 % au niveau national. Début juin, les services de wilaya lancent une opération censée éliminer 200 fuites d’eau.
Un type d’opération est en cours dans d’autres wilayas comme à Chlef ou Médéa. En 2022, à Alger sur sa zone opérationnelle, la SEAAL a repéré et réparé plus de 550 fuites sur 2.000 km de réseau.
De son côté, le secteur industriel tente de réduire sa consommation en eau. Avec 300 à 600 litres d’eau pour produire un kilogramme d’acier, la sidérurgie à El Hadjar n’est pas la seule activité industrielle en Algérie à consommer d’énormes quantités d’eau, c’est également le cas des industries agroalimentaires avec 300 à 400 L d’eau pour produire 1 kg de sucre de betterave. Pour les usines d’emballage, ce sont 400 à 500 L d’eau qui sont nécessaires pour fabriquer 1 kg de papier.
Dans la zone d’activité de Taharacht (Béjaïa) l’entreprise Général Emballage, leader algérien du carton ondulé, mise sur l’économie circulaire. Un traitement des eaux rejetées permet une réutilisation en agriculture. L’économie d’eau est poussée plus loin à travers un accord visant au recyclage des déchets de papier kraft de l’unité Lafarge Sacs de Bordj Bou Arreridj. Un accord qui permet d’économiser 50 m3 d’eau par tonne de carton produite.
À Guelma, la conserverie de tomates du groupe Benamor a installé une unité d’épuration des eaux. En juin 2022, le directeur de l’unité confiait à El Watan : « Comme nous utilisons des quantités d’eau énormes dont 90 % sont destinées au lavage et 10 % pour le refroidissement des moteurs ; ces eaux finissent dans une station d’épuration dans l’objectif de leur réutilisation pour l’irrigation ».
Récupérer 700 millions de m3 sur l’agriculture
Avec 70 % des ressources en eau, le secteur agricole accapare d’énormes quantités d’eau en Algérie. En 2018, dans un entretien à l’agence APS, Omar Bougueroua, directeur de l’alimentation en eau potable au ministère des Ressource en eau, évoquait une ré-allocation partielle de l’eau accordée au secteur agricole : « Si nous faisons des économies, ne serait-ce que de 10 % du volume global mobilisé pour l’agriculture, nous récupérerons 700 millions de m3, alors que des économies de 20 % permettraient de récupérer 1,4 milliard de m3, permettant d’alimenter la moitié de la population algérienne ».
Le secteur de l’agriculture est l’exemple même d’injonctions contradictoires : augmenter la production agricole, mais également économiser l’eau. La stratégie des services agricoles est d’accélérer la modernisation des techniques d’irrigation en finançant une partie de l’irrigation par goutte à goutte.
Mais nombreux sont les agriculteurs qui utilisent cette technique et les subventions pour augmenter les cultures de rente telle la pastèque au détriment des cultures stratégiques quand d’autres utilisent les volumes d’eau économisés pour augmenter les surfaces des cultures cultivées ou planter un nouvel arbre entre deux déjà existants. Des arbitrages qui ne permettent pas une économie globale du secteur agricole en faveur de l’AEP.
En janvier de cette année, l’hydrogéologue Malek Abdesselam avertissait : « Dans le Nord, notamment dans la Mitidja, nous avons épuisé dangereusement les ressources souterraines ». Au Maroc, l’état des nappes est tel que dans la région de Zagora, la culture de la pastèque a été limitée à 1,5 hectare par agriculteur et les exportations agricoles réduites. Du moins celles vers les pays africains, dans l’objectif de conserver les positions commerciales acquises sur le marché européen.
Eau, une approche multifactorielle
Pour l’expert de l’université de Tizi Ouzou, il s’agit de combiner différentes approches dont le dessalement de l’eau de mer, la recharge des nappes souterraines, la réutilisation des eaux usées épurées, la surveillance de l’utilisation des ressources hydriques et les techniques d’irrigation économes.
Parmi ses priorités, la mobilisation de l’eau des cours d’eau du Mazafran, Sebaou, El Harrach et bien d’autres. Il s’insurge : « Pourquoi laisser cette eau partir en mer pour ensuite la pomper à coups de millions de dollars ? ».
Un début d’application est en cours, des canalisations de gros diamètres installées par l’entreprise Cosider alimentent jour et nuit le barrage de Taksebt à partir de l’eau du Sebaou.
Ce spécialiste reconnu insiste également sur l’économie de l’eau et la nécessité d’une nouvelle approche de la question en rappelant que nombreux sont les cadres du secteur de l’hydraulique qui ont été formés à l’époque d’une plus grande abondance en eau et d’une plus grande aisance financière. Même constat du côté des architectes. Rien de prévu pour rendre les habitations aptes à utiliser une partie des eaux de pluie ou valoriser les eaux grises des salles de bain vers les sanitaires.
Eau au juste prix
De son côté, Ahmed Kettab, consultant et expert international en hydraulique insiste sur l’urgence de revoir la tarification de l’eau en Algérie tout en préservant le pouvoir d’achat des ménages à faible revenu.
Une tarification qui sur les factures devrait comporter selon lui le prix de revient réel de l’eau et le faible prix actuellement payé par l’usager. En 2013, dans une étude consacrée au secteur de l’eau en Algérie, deux experts étrangers notaient que « les responsables de l’hydraulique estiment que les usagers ne paieront l’eau à son juste prix qu’une fois que les services seront qualitativement et quantitativement satisfaisants ».
Aujourd’hui, le niveau d’eau emmagasiné dans les barrages est scruté par le citoyen algérien de base au même titre que d’autres scrutent le taux de change des devises au square Port Saïd ou le cours du baril de pétrole.
Revoir notre rapport à l’eau
Pourtant, avec la loi de 2005 relative à l’eau, le secteur s’est doté d’un cadre juridique ambitieux et clair. Une meilleure lisibilité a été établie quant aux compétences entre les différentes agences du secteur. L’une (ANRH) est chargée d’évaluer les ressources en eaux, l’ANBT est chargée des barrages et transferts, l’ADE gère l’alimentation en eau potable, enfin 2 offices gèrent pour l’un l’assainissement urbain et pour l’autre l’irrigation.
Auteurs d’une étude sur la gestion des eaux en Algérie, Mebarek Guergueb et Abderrazak Ferhat de l’université de Tamanrasset font la remarque qu’il y a cependant peu d’actions pour agir sur « les comportements des usagers. Peu d’actions ont été conduites pour agir sur l’économie et la préservation qualitative de l’eau ».
Ils en arrivent à la conclusion qu’en fait, « il manque à l’Agence nationale de gestion intégrée des ressources en eau (AGIRE) l’appui politique fort qui lui permette d’affirmer la nécessité et l’utilité de son rôle ».
Irrigation agricole économe, recyclage de l’eau à usage domestique et industriel ou réduction des fuites des réseaux d’AEP, la disponibilité durable de l’eau nous exige de repenser notre rapport à l’eau.
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