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Tensions entre la France et la Turquie : pourquoi Ankara évoque la colonisation de l’Algérie

Tensions entre la France et la Turquie : pourquoi Ankara évoque la colonisation de l’Algérie

En marge du dîner annuel du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) mardi dernier, Emmanuel Macron a mis en garde son homologue Recep Tayyip Erdogan contre toute tentative « d’invasion » du nord de la Syrie, où l’armée turque a lancé, le 20 janvier, une offensive contre les troupes kurdes du PYD, la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), parti considéré comme une organisation terroriste par la Turquie.

« J’ai appelé tout de suite à la précaution et à la retenue et évoqué dès les premières heures (de cette offensive) la préoccupation qui était la nôtre », indique le président français qui a accordé un bref entretien au journal Le Figaro. « S’il s’avérait que cette opération devait prendre un autre tour qu’une action pour lutter contre un potentiel terroriste menaçant la frontière turque et que c’était une opération d’invasion, à ce moment, cette opération nous pose un problème réel », poursuit le chef de l’État. La veille, Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, avait estimé que la Turquie sera « totalement condamnable » si elle mène en Syrie des opérations militaires à des fins d’« occupation territoriale » ou de « conquête ».

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Zizanie entre Paris et Alger 

À Ankara, la critique française de son intervention militaire passe mal. « Nous considérons comme des insultes les rappels d’un pays comme la France à propos d’une opération que nous menons en accord avec le droit international », a fait savoir jeudi matin le chef de la diplomatie Mevlüt Cavusoglu. « Nous ne sommes pas la France, qui a envahi l’Algérie », a-t-il alors poursuivi.

Ce n’est pas la première fois que la question algérienne se retrouve au cœur des échanges entre Paris et Ankara. En décembre 2011, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, avait déjà fait référence au passé colonial de la France en l’accusant d’avoir commis un « génocide » en Algérie, et en avançant un chiffre toutefois non vérifié.

« On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s’agit d’un génocide », avait-il lâché au cours d’une conférence de presse. Des chiffres discutables néanmoins : dans la foulée, il annonçait une série de mesures de rétorsion contre la France.

L’objet de la discorde ? La veille, les députés français venaient d’adopter, en première lecture, une proposition de loi pénalisant la contestation de tout génocide, dont celui des Arméniens en 1915. À quelques mois de l’élection présidentielle de 2012.

Mais en Algérie, l’instrumentalisation d’une question encore très électrique -l’Algérie attend toujours de la France une reconnaissance des souffrances liées à la colonisation- n’avait pas vraiment été appréciée. Ahmed Ouyahia, déjà Premier ministre, avait alors appelé la Turquie à cesser de faire de la colonisation française en Algérie un « fonds de commerce » à des fins politiques domestiques.

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Climat tendu 

Les tensions des dernières heures entre Paris et Ankara interviennent dans un climat déjà bien tiède entre les deux pays. Il y a un mois, le président turc en visite officielle en France espérait obtenir un soutien de la part de Macron pour une relance du processus d’adhésion de son pays à l’Union européenne officiellement lancé en 2005. Mais c’est une fin de non-recevoir qu’il a finalement reçue.

« Il est clair que les évolutions récentes et les choix de la Turquie ne permettent aucune avancée du processus engagé ». Le président français a ensuite appelé à en finir « avec l’hypocrisie qui consiste à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation est possible ». Bref, jamais un président français n’avait été aussi direct, et autant dire que cette fois-ci la perspective d’une adhésion à l’UE n’est plus du tout à l’ordre du jour.

Mais l’ire de la Turquie fait surtout écho à une autre annonce de la présidence française faite -elle aussi- au cours du dîner annuel du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF), dont la France compte une diaspora importante (600.000 dont environ 400.000 nés en France). Le président français s’est engagé à inscrire au calendrier une journée pour la commémoration du génocide arménien.

Pour rappel, selon les Nations unies, un génocide est un acte « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

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« Génocide français en Algérie »

Si cette déclaration n’est pas une surprise dans l’Hexagone -il s’agissait d’une promesse de campagne de Macron- elle irrite fortement Ankara. Bref, « génocide turc en Arménie », dit Paris. « Génocide français en Algérie », réplique la Turquie. Ankara veut renvoyer la France à son propre passé colonial. Les crispations sur le sujet entre les deux pays sont anciennes. En 2001, la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français provoqua de vives réactions officielles et populaires : convocation de l’ambassadeur de France à Ankara, appel au boycott des produits français.

Il faut dire qu’en Turquie, la question de la reconnaissance du génocide arménien sous l’Empire ottoman en 1915 revient à chambouler la mémoire collective, et donc les fondements de la Turquie moderne créée en 1928 par Mustafa Kemal. « En fait, pour la Turquie, admettre les massacres reviendrait à reconnaître que certains héros de la construction de l’État moderne étaient aussi des assassins. Toute l’imagerie de l’histoire du pays tomberait en lambeaux », résumait le sociologue et historien turc Taner Akçam, dans un article du Monde diplomatique publié en 2001.

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