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À Bejaia, immersion dans la « rivière d’huile » de Cevital

À Bejaia, immersion dans la « rivière d’huile » de Cevital

En cette matinée ensoleillée de janvier, les camions de gros tonnage se croisent à un rythme soutenu au portail principal de la raffinerie de Cevital, jouxtant le port de Béjaïa.

Certains portent le logo d’une des filiales du groupe agroalimentaire (Numilog, Brandt…), d’autres seulement la raison sociale de leur propriétaire, commerçant, distributeur ou transporteur. Tous, ils achemineront le même produit aux quatre coins du pays : l’huile de table, objet de tension depuis quelques mois en Algérie.

| Lire aussi :  Comment les Algériens détournent la crise de l’huile de table

Depuis le début de la crise, les trois quarts des besoins nationaux sortent de ce site, qui compte en outre la plus grande raffinerie de sucre au monde, nous apprend-on à la direction générale.

L’Algérie connaît des tensions sur l’huile de table depuis le printemps 2021. Après une accalmie de quelques mois, le produit manque de nouveau sur les étals à partir de la fin de l’automne.

Précision utile, la tension ne concerne que l’huile de soja, au prix subventionné et plafonné à 650 dinars le bidon de 5 litres, 125 et 250 Da respectivement pour les bouteilles de 1 et 2 litres.

En temps normal, Cevital assure environ 60 % de la production nationale, quatre autres opérateurs produisant le reste. Malgré une marge de manœuvre réduite – l’usine de Béjaïa fonctionnant déjà en 24 heures sur 24 et 7j/7- et un contexte difficile (covid, hausse des prix de soja sur les marchés mondiaux…), l’effort nécessaire a été fait pour augmenter la production.

Celle-ci est portée en ce premier mois de l’année à un peu plus de 1700 tonnes/jour, soit plus de 1 700 000 litres, tous  formats confondus (1, 2 et 5 litres), contre 1.2 million de litres en janvier 2021. « On a grignoté sur les plages de maintenance et on a renforcé et mobilisé le personnel », explique la direction générale du pôle agroalimentaire de Cevital.

L’autre mesure prise est de dédier exclusivement l’usine au raffinage de l’huile de soja vendue sous la marque Elio, suspendant momentanément la production des autres variétés faites à base de tournesol ou de colza, non subventionnées et donc moins demandées.


« On est intransigeants quant au respect des mesures anti-covid. On ne peut pas se permettre d’avoir un grand nombre de travailleurs indisponibles en cette période de crise. Nous avons une immense responsabilité », affirme pour sa part Khodir Boukoucha, le responsable de l’unité de conditionnement et l’un des 1300 ingénieurs qui font fonctionner le site.

On y vient de partout…

Avant même la crise, la tendance était à la hausse, 3 % en 2020 et 11 % en 2021. « Si le rythme actuel se maintient, on sera dans les 40 % d’augmentation en 2022 par rapport à l’année passée », prévoit la DG.

Cette hausse de la demande, personne n’arrive à l’expliquer. On a évoqué la frénésie d’achat des ménages, les surstocks des spéculateurs ou même l’exportation frauduleuse, sans que l’on sache lequel de ces facteurs est le vrai coupable. On n’arrive pas à comprendre comment un pays peut manquer d’un produit que son tissu industriel fabrique en quantités excédentaires.

La compensation des producteurs d’huile de table coûte les yeux de la tête à l’État algérien : 287 millions de dollars en 2021. La hausse sur les marchés mondiaux du prix du soja, de plus en plus utilisé dans la fabrication des biocarburants, est derrière l’explosion de la facture.

Selon la DG du pôle agroalimentaire de Cevital, le bidon de 5 litres, dont le prix est plafonné à 650 dinars, revient désormais à 940 Da. Résultat, même Cevital, « qui ne l’a jamais fait auparavant », a introduit en 2021 un dossier de compensation.

Outre le maintien de la subvention, le gouvernement a tout tenté pour juguler la crise ; sensibilisation sur la disponibilité de l’huile, obligation des professionnels à utiliser le format de 10 litres non touché par la subvention, commission d’enquête parlementaire, lutte contre la spéculation à travers l’élaboration d’une loi répressive, la surveillance des distributeurs et des aires de stockage et même l’interdiction de la vente de ce produit aux mineurs. En vain. La crise de l’huile de table s’est installée dans la durée et est devenue une affaire d’État.

« Je peux confirmer que l’huile est produite en quantité suffisante. Vous pouvez le constater de visu. Cependant, notre rôle se termine lorsque les camions franchissent le portail de notre usine. Il nous arrive seulement d’affréter un camion aux distributeurs qui le désirent », indique la DG. Précision de taille : aucun litre n’est exporté ni ne reste dans les stocks, toute la production est expédiée aux quatre coins du pays.

En moyenne, 70 camions sortent chaque jour du site avec leur charge de 24 tonnes. On y vient de partout. Pour s’en rendre compte, un coup d’œil aux plaques minéralogiques suffit. Pour une meilleure traçabilité, des gendarmes et des agents de la direction du commerce se relaient jour et nuit dans une loge à l’entrée de l’usine. Ils notent tout, les coordonnées du camion et de son affréteur, sa charge et bien sûr sa destination.

« Mais où va toute cette abondance ? »

Les images sont impressionnantes à l’intérieur de l’unité de conditionnement. L’emballage, les bouchons et les poignées sont fabriqués sur place. Dès qu’elle prend forme par le procédé du soufflage, la bouteille prend à peine le temps de refroidir avant de se remplir du liquide jaune et limpide.

L’usine est entièrement automatisée et 334 employés entre simples travailleurs, techniciens et ingénieurs se relaient en trois équipes pour veiller à son bon fonctionnement. Sans compter les temporaires recrutés pour cette période de forte demande. En tout, le site de Cevital Bejaïa compte 3800 employés, dont 1300 ingénieurs. Beaucoup de tâches ont en outre été externalisées, offrant du travail à quelque 900 prestataires.

Dans l’immense hangar qui abrite l’unité de conditionnement, le port d’un casque antibruit est indispensable. Machines et clarks crachent les décibels non-stop.

Les consignes de sécurité sont visibles partout où on pose le regard. Les travailleurs s’affairent chacun à sa tâche. Comme dans une ruche d’abeille. Plutôt « une rivière d’huile », dit Khodir, le responsable des lieux.

Visiblement, ce jeune ingénieur est un passionné. Il a fait construire une mezzanine au milieu de l’usine pour s’offrir une vue imprenable sur tout ce qui s’y passe. De là, on peut mieux admirer sa « rivière d’huile », faite de milliers de bouteilles et de bidons qui serpentent sans discontinuer sur les six chaînes qui couvrent presque toute la surface du hangar.

« Cela fait deux ans que je n’ai pas vu cette zone remplie », dit-il en montrant du doigt des tas de palettes qui ne tarderont pas à être chargées. En chiffres, cela donne ceci : 8.400 bouteilles/heure pour le format d’un litre, 12.600 pour celui de 2 litres et 10.150 bidons de 5 litres, toujours à l’heure. « Mais où va toute cette abondance ? », s’est exclamé un membre de la commission d’enquête parlementaire qui s’est rendue récemment sur les lieux. Là est toute la question…

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