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À Taourirt, le village natal de Matoub Lounès, qui ne veut pas oublier son Rebelle

À Taourirt, le village natal de Matoub Lounès, qui ne veut pas oublier son Rebelle

Village Taourirt ©TSA.


 

La place Tajmait Ath Arvi, presqu’au cœur de Taourirt Moussa, jouxtant la vieille mosquée du village, était vide en cette matinée du jeudi 22 juin. Pas un seul chat ne s’y trouvait. Elle affichait triste mine, surtout.

Une tristesse que n’arrive pas à maquiller le petit coup de peinture fait par les villageois qui, dans une évidente aspiration à moderniser leur cadre de vie, y ont accolé un écriteau indiquant le nom de cette place et la date de sa première restauration… en 1916.

 

Place des martyrs juste à coté du carré de la cinquantaine de Moudjehids du village, ©TSA.


 

Mais que peut vraiment ce rafistolage devant le poids écrasant du grand malheur qui, un certain 25 juin 1998, a frappé le gros bourg de plus de 6000 habitants, sur les hauteurs de Tizi Ouzou, et qui, aujourd’hui encore, ne s’en est toujours pas remis ?

Rien. Absolument rien. Un petit cautère sur une jambe de bois, en somme. La mélancolie suinte du moindre joint de cette place à la vue imprenable mais qui semble porter toujours le deuil du tragique assassinat de Matoub Lounès (son ancienne maison est à un petit jet d’ici) qui, enfant et adolescent, avait usé ses pantalons sur ses dalles tellement il aimait s’y retrouver.

 

La maison de Matoub Lounès, ©TSA.


 

« Comme bon nombre de villageois, Lounès aimait prendre place dans cette Djemaa et y passer du temps avec ses copains », témoigne Da Henni Matoub, un cousin à Lounès, dont le frère Achour, chanteur lui aussi mais décédé des suites d’un cancer, a été du voyage américain du Rebelle en 1993.

Au vrai, c’est tout Taourirt qui a du mal à digérer la disparition du « Maquisard de la chanson » comme l’avait surnommé le célèbre écrivain Kateb Yacine.

Stèle en l’honneur des moudjihids du village, ©TSA.


 

C’est que dans tous les coins et recoins de ce patelin agrippé à un talus, il y a toujours quelque chose, une inscription, une effigie ou encore une banderole, qui rappelle Lwennas, comme ils l’appellent affectueusement, à leur bon souvenir.

Et sans ça, les habitants de Taourirt ne peuvent pas vraiment oublier Matoub Lounès qui ne voulait pas, et pour tout l’or du monde, vivre loin de chez eux, même lors de la décennie rouge tout en étant sérieusement menacé, alors qu’il pouvait couler des jours heureux dans une ville cossue comme Paris.

 

La Mercedes de Matoub Lounès, ©TSA.


 

« Lounès aimait la nature, ses montagnes qu’il a tant chantées. Il aimait la liberté et tout ce qui est ouvert et clair. Il était fidèle à son village », s’explique Mustapha Mebtouche, un oncle de Lounès, qui arrivait d’Alger où il tient un commerce, pour rendre visite à Na Aldjia, malade.

Un homme généreux et attaché à son village

Au-delà de son attachement au village qui l’a vu naître, ce sont les qualités intrinsèques du barde assassiné qui ont forcé le respect et l’admiration des siens. C’était quelqu’un de modeste, de gentil et surtout de très généraux.

« Il aimait beaucoup le village et quand il partait en France il restait là-bas deux mois au maximum avant de revenir ici. En outre, Lounès aidait beaucoup les gens. Sa « poche » (son argent) ne lui appartenait pas. Il aidait les nécessiteux et animait bénévolement les fêtes du village en n’encaissant jamais un sou même auprès des gens aisés. Il est estimé par tout le monde. Il n’y aura jamais un deuxième Lounès », souligne, non sans une pointe de fierté, Mustapha Laïchour, oncle paternel et ami de Lounès qui, à la création de la Fondation Lounès Matoub, assurait la fonction de vice-président pendant une année avant de rendre, lui et d’autres membres, le tablier.

Maison de Matoub Lounès, ©TSA.


 

« Avec la disparition de Lounès, le village n’est plus le même et il n’y a plus l’ambiance d’antan. Nos fêtes n’ont plus de charme. Lounès a laissé un grand vide », ajoute-t-il en n’hésitant pas à faire passer son neveu pour un « philosophe ».

Et au vieux Ahmed Mechouek, un ancien maquisard qui vit à Alger, d’encenser un peu plus le fils de son village qui était, dit-il, « téméraire » et d’« une générosité incalculable ».

Da Henni n’en pense pas moins en ne tarissant pas d’éloges sur son cousin. « C’est un très bon élément, estimé par tout le village. Il n’hésitait pas à rendre service aux gens et celui qui a besoin de quelque chose, il n’a qu’à aller chez lui. Il était simple, serviable et gentil avec tout le monde », s’énorgueille-t-il avant d’enchaîner : « Il aimait tellement le village ! Mon frère Achour a essayé de le dissuader de rentrer ici mais en vain. Il lui avait rétorqué qu’il préfère mourir avec les siens ».

« C’était un homme bon qui aidait les pauvres et les malades. Son argent n’était pas à lui. Il aidait financièrement les nécessiteux », se rappelle Mohand Lafane.

« Il ne se considérait pas comme un grand. Il ne se rendait même pas compte qu’il avait atteint un tel sommet. C’est tout le monde qui a une bonne opinion sur lui », confirme Mustapha Matoub, un cousin et ami d’enfance de Lounès, qui ne s’est pas privé de raconter une anecdote : « Quand on était petit, il nous arrivait de commettre de petits larcins dans les champs. Quand je suis pris je donne son nom et idem pour lui ».

Le disciple de Tiliwa et Moh Smail Matoub

Si les gens de Taourirt aimaient Matoub l’homme, ils sont si fiers aussi de Matoub l’artiste qui, grâce à son immense talent, a atteint les sommets de la gloire et de la célébrité.

« Il est un des symboles du combat pour tamazight et la fierté du village », se pique d’orgueil le vieux Mechouk. Sauf que Lounès n’est pas né avec cuillère d’argent dans la bouche. Il a dû apprendre, travailler et souffrir pour s’offrir une place au soleil et rejoindre le gotha des monstres sacrés de la chanson kabyle.

Petit, il était brillant mais s’intéressait beaucoup plus à la chanson qu’aux études, témoigne Mustapaha Laïchour qui était dans la même classe que lui en 1961 alors qu’il dépassait Lounès de 5 ans.

« Avec un bidon d’huile Esso et un manche en bois et des fils de pêche, il s’est fabriqué une guitare », se remémore Mustapha Laïchour qui assure que Lounès a hérité sa belle frappe de son oncle

(les paroles de la chanson Azru Leghriv appartiennent à ce dernier), un membre de l’orchestre de Cheikh El Hesnaoui, qu’il observait goulûment jouer au mendole.

Pour Da Hcene Mehrane, premier percussionniste de Lounès et auteur du texte chanté par la chorale du village Taourirt à l’occasion du 40e jour de l’assassinat du chanteur engagé, ce dernier a fait ses classes chez Tilwa qui l’emmenait avec lui dans les fêtes.

Maison de Moh Smail Matoub, ©TSA.


 

« Durant les fêtes animées par Tilwa, il nous arrivait souvent de monter le jeune Matoub pour se faire connaitre », dit-t-il avant de raconter une anecdote : « Une fois à Timegnounine, il animait une fête d’une famille dont le patriarche est un vieux très sévère. À peine entamait-il une chanson que le vieux lui enjoignait de chanter une autre. Et au bout de la quatrième, Lounès, excédé, prends son banjo et quitta les lieux non sans recommander au vieux de faire appel aux Khwan car ce n’est plus une fête mais une veillée funèbre. Le village avait beau essayer de le dissuader mais Lounès, résolu qu’il était, refusa catégoriquement de chanter à nouveau ».

Une témérité qui l’a certainement aidé à se surpasser et à se perfectionner mais qui, plus tard, lui a, malheureusement, coûté très cher en le payant de sa vie. Nombre de villageois n’ont pas cessé, durant les années de terrorisme, de lui conseiller prudence et de ne pas circuler avec sa voiture, facilement repérable. En vain.

« Quelques jours seulement avant son assassinat, on était au cimetière de Tamezguida en train de discuter. Il m’a dit que s’il survivra jusqu’au 05 ou 06 juillet c’est trop pour lui. Je lui alors conseillé de ne pas sortir du village », se remémore Laïchour Mustapha.

Tombe de Matoub Lounès, ©TSA.


 

Réponse cinglante de Lounès : « Tu vois le fils de ton neveu (la mère du père de Lounès est une Laïchour) se terrer chez lui !». Un courage hors pair, voire suicidaire, qui l’a peut-être mené à sa perte mais qui l’a aussi grandi aux yeux des siens et de toute la région qui l’a toujours porté aux nues. Le vénère, même. Jamais enterrement en Kabylie n’a jamais drainé une foule aussi immense que le jour de la mort de l’auteur du fameux Aghuru.

Un repère pour les jeunes générations

Et depuis son assassinat, il a gagné davantage en popularité au point de compter des fans même chez les jeunes qui ne l’ont jamais vu chanter mais qui connaissent une bonne partie de son riche répertoire.

La preuve ? Vendredi 22 juin, la maison de Matoub Lounès n’a pas cessé de recevoir des visiteurs, des jeunes pour la plus part mais aussi des familles et même des vieilles, venus des quatre coins de la Kabylie pour se recueillir sur la tombe de leur idole (des jeunes musiciens comme le jeune talent Rezki Ouali y jouent même des airs de Matoub Lounès) et faire un tour au siège de la fondation pour prendre des photos ou s’acheter un souvenir (Tee-Shirt, casquette, porte-clés, livres, disques, etc).

Tombe de Matoub Lounès, ©TSA.


 

« C’est le phénomène Matoub. Chaque jour, nous recevons des centaines de gens. On a reçu des visiteurs du Maroc, de Libye et même d’Afrique du Sud », s’est exclamée une femme, avocate de profession et amie de Malika Matoub.

Et celle-ci d’en rajouter un bout : « Aujourd’hui, vous n’avez rien vu. D’habitude, nous recevons beaucoup plus de monde. Et pour le gala du 25, nous avons reçu un artiste de Constantine ». Qui a dit que personne n’est pas prophète en son pays ? Assurément pas en Kabylie. À Taourirt Moussa, plus précisément.


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