La consommation de drogues et l’exposition aux produits toxiques prennent des proportions inquiétantes en Algérie. Chef de service toxicologie au CHU de Bab el Oued (Alger), le Pr Selma Kaddour fait des révélations glaçantes sur l’ampleur de ce phénomène qui affecte même les enfants en bas âge.
Durant les deux dernières années, « 404 enfants de moins de 2 ans ont été admis » au service de toxicologie du CHU de Bab el Oued (Alger) suite à « leur exposition à des substances addictifs présentes dans le milieu familial », révèle le Pr Selma Kaddour, dans un entretien à El Bilad TV.
« La résine de cannabis est la substance la plus retrouvée chez ces enfants. Ils tombent dessus par hasard sur une table, ils en consomment et c’est extrêmement dangereux », alerte la spécialiste.
Algérie : des enfants de moins de deux ans empoisonnés
L’atteinte neurologique est inévitable et dans beaucoup de cas c’est le décès. « Les enfants sont les victimes collatérales de la toxicomanie » , ajoute-t-elle.
Un constat amer dressé par cette spécialiste qui alerte sur les ravages des drogues dures et des produits addictifs dans la cellule familiale algérienne.
La première responsable du service de Toxicologie du CHU de Bab el Oued, l’un des plus grands d’Algérie, cite encore le cas d’un garçon de 14 ans décédé suite à l’inhalation de l’Isobutane, communément connu comme le « gaz des briquets ».
Ou encore le cas de ces deux jeunes frères morts après avoir pris un comprimé de Tramadol, puissant antalgique, oublié par le père.
« Nous sommes devant un phénomène très inquiétant, alerte encore le Pr Selma Kaddour. Nous avons fait nos statistiques. Nous avons alerté l’organe national de la protection et la promotion de l’enfant sur l’exposition de l’enfant à la drogue. D’ailleurs j’ai présenté un travail en collaboration avec des médecins légistes portant sur les toxicomanes de 0 à 18 ans ».
En effet, un nourrisson né d’une mère qui consomme de la drogue peut présenter un syndrome de sevrage néonatal. La prise en charge de ces nouveaux nés et de leurs mères doit se faire dans des structures spécialisées. « La femme enceinte toxicomane doit avoir une prise en charge à part », précise la spécialiste.
À travers ses années d’exercice, le professeur Kaddour affirme que beaucoup de cas d’intoxications surtout en milieu familial peuvent être évités.
Des pratiques dangereuses ou la méconnaissance de la toxicité de certains produits aggravent le diagnostic des victimes et peuvent mener à la mort.
« Nous avons eu le cas d’un garçon de 18 mois et sa sœur qui ont consommé des graines raticides trouvées à l’extérieur de la maison. Ils sont décédés tous les deux. Que fait un enfant de 18 mois dehors sans surveillance ? » déplore-t-elle.
« On a eu aussi un enfant qui a bu le contenu d’un flacon d’insecticide liquide qu’on utilise dans nos intérieurs, égrène la spécialiste. Les réflexes de donner à l’enfant qui ingère un produit toxique, de l’huile d’olive, du lait ou de le faire vomir sont extrêmement dangereux ».
Le professeur Selma Kaddour préconise dans ces cas de se diriger rapidement au Centre antipoison ou d’appeler le service sur le numéro vert 10-29. Des pédiatres présents sur place indiqueront aux parents les gestes de premières urgences. « Beaucoup de vies ont été sauvées grâce aux orientations des médecins qui prennent les appels », affirme le Pr Kaddour.
La méconnaissance du niveau de toxicité de certains produits existants autour de nous représente aussi un facteur d’aggravation. Le cas de ce jeune garçon tombé dans le coma avant de décéder à la suite de la consommation du Khôl est édifiant.
Ce produit initialement destiné au usage externe pour les yeux est très dosé en plomb. Ce dernier étant mortel une fois ingéré.
Le Pr Selma Kaddour raconte l’histoire incroyable d’une voyante intoxiquée au plomb parce qu’elle utilise ce produit dans son activité.
Le surdosage en certains médicaments conduit aussi à une grave toxicité conduisant au décès. Exemple édifiant le cas d’une enfant de 5 ans morte après avoir pris tout le flacon de paracétamol, selon la spécialiste.
Dans certaines familles des pratiques d’automédication avec des produits naturels ont des répercussions dramatiques.
Ces gestes anodins qui peuvent être mortels
Dans ce contexte, la première responsable du service de toxicologie du CHU de Bab el Oued cite le cas d’une petite fille de deux ans qui suite à une brûlure sur le bras s’est vue appliquée par son entourage un cataplasme à base de chardon à glue, une plante connue pour sa racine sucrée mais qui l’est moins pour sa toxicité. La petite décédera quelques jours plus tard. Le Chih, plante habituellement utilisée pour les problèmes de transit, est neurotoxique et convulsive, selon la même spécialiste.
Le déconditionnement qui consiste à changer l’emballage d’un détergent ou d’un produit toxique est à l’origine de nombreux cas d’intoxication en Algérie. Verser l’eau de javel dans une bouteille d’eau vide induit beaucoup de personnes en erreur.
Dans le quotidien, des gestes anodins couramment effectués par les ménagères peuvent conduire à de graves cas d’intoxication. Les recommandations sont de ne jamais mélanger les produits ménagers décapants et abrasifs.
Les gaz dégagés peuvent être extrêmement nocifs pour les systèmes respiratoires et pulmonaires. L’utilisation de solvant dans les intérieurs comme les peintures murales et les polish impose une aération systématique.
Dans le milieu professionnel, la toxicité est très répandue selon le professeur et ceci est due au manque d’informations dans le milieu des travailleurs. Dans certaines usines, chez les pompistes et les artisans peintres, les travailleurs n’ont aucune protection sur le visage. La loi impose à l’employeur de soumettre ses employés à un bilan sanguin régulier mais ça reste insuffisant pour prévenir les maladies graves.
Le service du CHU de Bab el Oued que dirige le Pr Selma Kaddour qui fait aussi de la toxicologie médicolégale travaille en étroite collaboration avec les médecins légistes.
Dans le cas d’une mort suspecte, le médecin légiste demande des dosages spécifiques qui permettent d’élucider les conditions du décès.
Dans les affaires de soumission chimique, où les victimes n’ont en général aucun souvenir des faits, il est possible de confirmer ou non la présence de substances toxiques dans le corps grâce à un cheveu prélevé sur la tête de la victime un mois après les faits.
« Les substances consommées par la victime à son insu, ayant été évacuées par le corps dans les heures qui suivent l’ingestion, il est aujourd’hui possible de trouver des traces sur les cheveux en analysant un centimètre de repousse un mois après les faits », explique la spécialiste. « Dans les affaires criminelles, les dosages sont effectués sur réquisition du tribunal », explique la spécialiste.
Dans le volet de l’alimentation, le Pr Selma Kaddour tire la sonnette d’alarme quant aux produits toxiques présents dans certains produits alimentaires industriels.
Les colorants alimentaires, le jaune et l’orange en particulier, issue de la Tartrazine E102, utilisées dans les boissons, les bonbons et les pâtisseries, pris en continu sont responsables du « trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité » chez l’enfant.
Le colorant caramel utilisé aussi dans la préparation du Cola et des bonbons est l’un des plus toxiques selon le Professeur. « Ce colorant brun est fait à base de sucre, de sulfites et d’ammoniaque », explique-t-elle. Ces colorants consommés régulièrement sont aussi responsables de certains cancers pédiatriques en nette progression ces dernières années en Algérie.
Le cyanure, matière connue pour son effet toxique et mortel, est présent dans les noyaux de certains fruits. Le Professeur Kaddour souligne que des commerçants indélicats récupèrent les noyaux de ces fruits pour en faire des farces de gâteaux. Le cyanure consommé à forte dose conduit à la mort.
Toujours dans les pratiques alimentaires dangereuses banalisées dans notre société, le Pr Kaddour revient sur l’utilisation d’une huile de friture plusieurs fois de suite. Elle est affirmative : cette huile devient toxique pour le corps. Par ailleurs, « le fait de préparer des brochettes de viandes et de les disposer dans les fast-foods des heures durant avant leur cuisson est très dangereux », met-elle en garde. « La toxine botulique est mortelle au bout de 24 h », avertit le professeur Selma Kaddour.
Dans les deux centres de Toxicologie en Algérie, à Alger et Tizi-Ouzou se pose le problème du manque d’antidotes qui peuvent sauver des vies.
À cela s’ajoute le manque flagrant en équipements pour réaliser des dosages de profil métallique de certains malades. À ce sujet le Professeur Kaddour précise qu’à certains moments les médecins résidents payent de leurs poches pour ramener des coupelles. Et d’ajouter : « Mais nous ne pouvons pas acheter des équipements lourds pour le service ».
Devant l’impossibilité pour les biologistes spécialisés en toxicologie d’exercer dans le privé et les difficultés de beaucoup à intégrer des postes dans les hôpitaux, « beaucoup de nos éléments partent à l’étranger », note avec amertume le professeur.