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Blanchiment d’argent dans l’immobilier : quand l’État castre ses propres lois

Blanchiment d’argent dans l’immobilier : quand l’État castre ses propres lois

L’affaire Chikhi a cela de bon : elle a permis au moins de lever le voile sur une partie de pratiques immorales et hautement préjudiciables à l’économie nationale, dont les auteurs, parfois insoupçonnés, ont longtemps agi impunément, comme ils le feraient s’ils exerçaient une activité tout ce qu’il y a de plus légal.

Elle permet aussi de délier les langues et de faire réagir des professionnels ayant subi de plein fouet les incidences désastreuses d’une situation de non droit érigée en norme.

La dernière conférence de presse de la Fédération nationale des agents immobiliers (Fnai) ne pouvait pas plus mal tomber alors que l’actualité est encore dominée par les répliques de cette affaire de cocaïne saisie à Oran et les soupçons de blanchiment d’argent de la drogue dans l’immobilier portés sur le principal accusé, Kamel Chikhi, et ses complices.

Le chiffre révélé à l’occasion est ahurissant. L’informel s’est accaparé de 70% du marché national de l’immobilier et 90% des transactions qui se font dans un cadre légal sont sous-déclarées.

« Ça devient grave. Nous sommes arrivés à une situation où nous ne maîtrisons plus le parc immobilier national », s’est plaint un représentant de l’organisation professionnelle.

Un véritable cri de détresse d’une profession qui n’en est pas à sa première tentative d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’absence d’un encadrement strict du métier, l’intrusion d’individus sans scrupules et la montée des transactions informelles.

L’éclatement de l’affaire Chikhi, dont l’enquête a déjà révélé un immense réseau de blanchiment d’argent dans l’immobilier de luxe dans la capitale avec des ramification dans l’administration, les collectivités locales et la justice, constitue donc une aubaine pour revenir à la charge avec l’espoir de faire bouger les choses cette fois.

Et de mettre un terme à une situation préjudiciable à tous : aux agents professionnels qui voient leur activité se rétrécir jusqu’à baisser rideau, aux acquéreurs victimes parfois d’arnaques et à l’État qui accuse un énorme manque à gagner en termes de recouvrement des taxes.

C’est l’occasion aussi de révéler avec force les détails des pratiques qui ont poussé des professionnels à baisser rideau et fait s’enrichir à vue d’œil des affairistes de tout bord.

Cela fait des années que les agents membres de la Fnai se démènent pour dénoncer les circuits informels et les pratiques malsaines dans l’immobilier et ils pouvaient légitimement être soupçonnés de faire dans le corporatisme et le lobbying pour faire monter leur chiffre d’affaires en récupérant les transactions effectuées de particulier à particulier.

Même s’il n’est pas totalement infondé, un tel soupçon ne peut être émis maintenant que même les officiels reconnaissent que l’immobilier est devenu le réceptacle de tout ce que le pays pouvait compter comme argent sale : celui de l’informel, de la drogue, de la corruption et peut-être même les sommes amassées dans les maquis.

Mais comment en est-on arrivés là ? La responsabilité de l’État est assurément engagée, au moins pour ne pas avoir attaché du prix à l’application de ses propres lois.

On se souvient, en 2015, le cap était mis sur la bancarisation de l’économie et l’entrée en vigueur du décret exécutif 15-243 était annoncée comme le début de la fin pour les transactions immobilières informelles.

Le texte stipulait que toute transaction du genre dont le montant dépassait cinq millions de dinars devait obligatoirement faire l’objet d’un paiement par chèque ou par virement bancaire. Cinq millions de dinars, cela signifiait que plus aucune transaction n’allait être réglée par le moyen du cash au vu de la hausse vertigineuse des prix atteints de l’immobilier. Mais qu’a-t-on vu sur le terrain ?

Hormis pendant les premiers mois où l’activité a connu une stagnation, le business a repris de plus belle, ceux qui sont censés appliquer la nouvelle loi ayant décidé tacitement de laisser faire.

Les agents immobiliers agréés ne sont pas exempts de tout reproche dans cette histoire puisque nombre d’entre eux s’étaient inquiétés publiquement de la baisse de leur chiffre d’affaires, conséquence directe de l’imposition du chèque.

La baisse vertigineuse du nombre de transactions immédiatement après l’entrée en vigueur du décret aurait dû servir pour les services concernés de l’État d’indice révélateur sur l’étendue de la plaie. Hélas, on a détourné le regard et laissé faire.

Comme on a fait mine de n’avoir rien vu quand des tours et ensembles immobiliers étaient érigés dans les quartiers les plus inaccessibles d’Alger par des promoteurs sortis de nulle part, avec des fonds sentant de loin l’odeur du crime.

Quand l’action de l’État est obstruée par l’incompétence de ses agents ou la pression de puissants lobbies, le résultat ne peut être que la castration de la loi.

L’anarchie qui règne dans la jungle de l’immobilier n’est malheureusement qu’une facette de l’abandon par l’État de ses attributions. La plaie des autres activités informelles est encore plus saignante et personne ne semble pressé de la refermer. On n’en parle même pas. Pour cela, il faudra peut-être un gros scandale. Alors vivement une autre affaire Chikhi…

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