Économie

Céréales : la stratégie de l’Algérie s’affirme, la France reléguée

L’Algérie a finalisé mercredi 14 mai un achat important de blé tendre. Celui-ci se déroule dans un contexte particulier de brouille avec la France, un pays longtemps principal fournisseur de l’Algérie. Au-delà de cette annonce, à travers les propos des analystes étrangers, transparaît une vision de la politique d’achat de l’Algérie, hors de France.

L’achat en question concerne 600 à 700.000 tonnes de blé à un prix moyen de 244,5 dollars la tonne, un tarif incluant les frais de transport, selon l’agence Reuters.

Un achat de blé qui redonne des couleurs sur « une scène internationale bien moribonde ces dernières semaines », note la revue La France Agricole qui relève « l’arrivée des importateurs aux achats pour la nouvelle campagne. L’Algérie a ainsi acheté 660.000 tonnes de blé sur juillet. L’Arabie Saoudite lui emboîte le pas avec un appel d’offres pour 655.000 tonnes de blé sur octobre-décembre. »

La revue poursuit son analyse et note que : « Bien que le blé français soit toujours persona non grata en Algérie et ne réponde pas au cahier des charges saoudien, il profite à la marge de ce petit signal de vie. »

Céréales : le poids des tensions politiques entre l’Algérie et la France

Le dernier rapport du département américain de l’agriculture (USDA) n’arrange pas les choses. Il a relevé de 4,5 millions de tonnes de blé (Mt) son estimation du stock mondial de fin de campagne 2024/2025 à 265 Mt. Ce qui fait dire aux analystes du site spécialisé Terre-net que « l’USDA continue d’alourdir l’offre de blé mondial » et donc d’entraîner une baisse des prix du blé.

Les livraisons de blé pour le compte de l’Office algérien des céréales (OAIC), monopole d’État, sont prévues en deux périodes pour les régions européennes : du 1 juillet au 15 et du 16 au 31 juillet, mais avec un ajustement d’une durée d’un mois pour le blé en provenance d’Amérique du Sud ou d’Australie et donc de « délais de transit plus longs depuis ces régions ». C’est dire la politique de diversification des fournisseurs de l’OAIC.

Cette disposition fait dire à des analystes que la dynamique des importations de blé de l’Algérie évolue : « Les exportateurs russes et d’autres pays de la région de la mer Noire sont de plus en plus actifs sur le marché algérien, exposant une forte concurrence ».

Le site ChemAnalyst note qu’un facteur clé explique ces évolutions : « La tension diplomatique signalée entre la France et l’Algérie. Les négociants suggèrent que cette tension a conduit l’OAIC à exclure de facto les sociétés françaises de blé ». Une situation qui a ouvert des opportunités pour d’autres fournisseurs de blé tendre, notamment ceux de la mer Noire.

Des conditions climatiques contrastées

À l’approche de la moisson, les conditions climatiques sont contrastées entre la France et l’Algérie. Alors que la sécheresse menace la production de blé dans le Nord de la France, en Algérie, les principales régions céréalières bénéficient de pluies régulières.

Le 16 mai dernier, TF1 a diffusé une enquête menée dans la région de Dieppe (Nord). Un agriculteur témoignait de la sécheresse qui affecte son exploitation : « J’ai même la main qui rentre dans les crevasses [du sol] ». Devant son pluviomètre, l’agriculteur faisait remarquer qu’habituellement, « il déborde, mais là, il est vide ».

Une situation qui dure depuis fin mars. « Je n’ai jamais vu ça depuis 30 ans de carrière », ajoutait-il. Une situation qui a des répercussions sur le blé : « La sécheresse qu’on a actuellement a provoqué un stress à la plante qui, par instinct de survie, a sorti son épi pour se réensemencer. On va avoir une récolte, mais moindre. »

Résultat, la filière française pourrait avoir moins de céréales à mettre sur le marché international cette année encore.

En Algérie, la récolte s’annonce bonne cette année. Au Sud, où la moisson est en cours. Comme l’année écoulée, l’OAIC a déployé des moyens logistiques considérables. Plus de 120 camions sont venus renforcer le parc de l’office.

Algérie : une bonne récolte de céréales en perspective

Les prévisions de récolte pour le Sud sont de 3 millions de quintaux. Plus au Nord, les pluies de fin avril et de mai arrivent à point nommé. Elles interviennent en pleine phase de remplissage des grains. Sur les bonnes terres, les conditions hydriques actuelles pourraient permettre de bons résultats et permettre une récolte de l’ordre de 40 millions de quintaux. Sur le terrain, les services agricoles s’affairent pour réunir les observations de terrain permettant de disposer d’estimations fiables de rendement.

La récolte pourrait être également bonne sur les terres marginales traditionnellement qualifiées de « séchantes ».

Le pari d’arriver à l’autosuffisance en blé dur et en orge pourrait être atteint dès cette année. Le président Abdelmadjid Tebboune a indiqué en juin 2024 que « l’autosuffisance totale » était à portée de main avec une production actuelle de 80 % de blé dur.

Reuters note que « l’appel d’offres, qui visait nominalement 50.000 tonnes, est caractéristique des pratiques d’achat de l’Algérie » et voit dans le fait que « le volume initial spécifié dans ses appels d’offres est supérieur à celui prévu » le reflet « d’une forte demande nationale pour ce produit essentiel. »

Malgré les progrès réalisés, les défis restent nombreux. C’est le cas du coût élevé de production dont font part les agriculteurs, et cela, en dépit du soutien multiforme accordé à la filière par les pouvoirs publics : relèvement des prix à la production, prêts bonifiés, subventions des engrais et des semences.

Les possibilités d’augmentation de la production existent, c’est le cas avec la réduction des terres laissées chaque année en jachère. Malgré l’expérience acquise en matière de modernisation du dry-farming (arido-culture) par l’Institut Technique des Grandes Cultures, ces connaissances tardent à être mises en pratique. À lui seul, le secteur de l’agrofourniture, surtout impliqué dans la protection des cultures, ne peut suffire pour la vulgarisation de techniques modernes.

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