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Chronique livresque – Rachid Benyelles, les coulisses brûlantes du pouvoir

Chronique livresque – Rachid Benyelles, les coulisses brûlantes du pouvoir

Première partie

Je ne sais pas si l’ex-général a eu besoin des services d’un « nègre », mais le livre* est rudement bien troussé. Pas un cheveu qui dépasse. Tout est bien coiffé. Le trait est acéré, parfois même percutant. Mais plus important que l’emballage qui rend la lecture entraînante, et parfois même captivante, c’est le fond. Et là, sans exagération, ça vaut le détour.

On y apprend à chaque page sur cette Algérie qu’on traverse sur plus de trente ans, guidé par un homme dont l’âge -80 ans- et le parcours lui donnent cette liberté de ton et de jugement souvent absente des témoignages historiques de nos hommes politiques. Il a tout vu, tout connu, tout entendu, projetant devant nos yeux médusés les coulisses qui ont présidé à de graves décisions pour se dire, au final, abattu par tant d’erreurs : le problème de notre pays est un problème de choix des hommes. De la qualité des hommes. On ne prend pas le meilleur sur le plan du caractère et du niveau intellectuel, toujours le plus malléable même s’il a une cervelle d’oiseau. Mais enfin…

De Ben Bella le démagogue à Saint Boumediène 

Ce n’est pas faire injure à Rachid Benyelles que de faire du saute-mouton sur ses années de jeunesse et d’apprentissage, pour aller à l’essentiel : quand sa route croise celle de ceux qui ont fait l’histoire si tumultueuse de notre pays.

D’abord Ben Bella qu’il ne porte guère dans son cœur. Traité de démagogue et de populiste, qui, à défaut d’avoir une vision pour l’Algérie ne trouve rien de mieux à faire que de prohiber les boissons alcoolisées, n’hésitant pas à faire des descentes dans les bars et restaurants pour les inspecter d’un œil d’intégriste. Le comble est qu’il était en col Mao, inspiré de la révolution chinoise et cubaine, des révolutions sans Dieu, ni prophète !

A l’heure où les plus grands défis et périls (la guerre des sables contre le Maroc) guettaient l’Algérie, son président se perdait dans des jeux à la Chemseddine (prêcheur télévisuel). Le seul programme apparemment sérieux qu’il avait ciblait les riches : « …Il nationalisa leurs biens et menaça de les passer au bain populaire. »

Plus dramatique, il poussa à la démission Ferhat Abbes et à la rébellion Houari Boumediene qui lui ravit la place. Par discipline et pragmatisme, l’officier Benyelles participa au coup d’Etat, en dépit de ses scrupules de républicain. « J’approuvais l’action projetée contre un président dans la démagogie et l’incompétence à gouverner, mettait le pays en danger. » Très bien. On entendrait les partisans de Ben Bella, il parlerait de sa générosité, son courage et son amour du peuple. A commencer par Belaid Abdesslam, proche de Boumediène, mais s’interdisant de proférer la moindre attaque ou critique sur Ben Bella. Mais au lieu de Boumediène, un militaire au-dessus de tout soupçon, selon le mémorialiste, pourquoi n’a-t-on pas remplacé un président civil par un autre civil ? Ferhat Abbes, président de l’APN était tout indiqué. D’autres personnalités d’envergure aussi.

Au lieu d’une voie étroite qui nous a mené vers l’enfer des années sanglantes, peut-être l’Algérie se serait épanouie dans une démocratie bienveillante. L’Algérien avait besoin de vivre après 132 années d’occupation. Il aura une main de fer à la gorge. Bien entendu, il aura des compensations : l’enseignement gratuit, un salaire à ne rien faire dans les entreprises publiques. Et puis une révolution agraire qui fainéantisera le fellah et poussera le propriétaire à la misère. Tous égaux dans la frugalité sous Boumediène. Exception faite de ceux d’en haut.

A la décharge de Boumediène, son intégrité, son patriotisme et sa vision rassembleuse, selon Benyelles qui trouve, par ailleurs, injuste qu’on lui mette tout sur le dos : l’assassinat de Khider et Krim Belkacem qu’il impute au Mossad sinon le SDECE ou un autre service, car, selon l’auteur, Houari Boumediène n’avait aucune raison d’éliminer d’ anciens responsables dont l’opposition au régime ne prêtait pas à conséquence, ou si peu. C’est un point de vue respectable. Fautes de preuves palpables, y a sans doutes d’autres thèses tout aussi respectables0

La mort de Chabou ? Accident d’hélicoptère dû à de mauvaises conditions météorologiques. La mort de Medeghri alors ministre de l’Intérieur ? Suicide. Le président avait pour les deux une profonde affection, souligne Benyelles.

Quand Chadli se joue de ceux qui l’ont choisi

Fin 1979. Deux candidats en lice Yahiaoui Med Salah, responsable exécutif de l’appareil du FLN, chantre de l’arabisation tous azimut, pourfendeur des Algériens francophones et Bouteflika, ministre des affaires étrangères et compagnon du défunt président. Ni l’un, ni l’autre ne seront agrées par l’armée.

« De là, était venue l’idée de recourir à un outsider en la personne de Chadlli Bendjedid. Les principaux cadres de l’armée savaient que le commandant de la 2ème région militaire n’avait pas la stature du Président Boumediène, mais ils pensaient que ses qualités humaines et son bon sens pouvaient compenser ses limites. »

En termes moins édulcorés : limité et malléable. Mais lui plutôt que Yahiaoui et son Baathisme. Pourquoi Bouteflika a été éliminé ? « Les responsables militaires lui reprochaient sa suffisance et sa méconnaissance des problèmes intérieurs. » Décryptage : pas facile à manier.

Benyelles nous apprendra qu’à la pratique, Chadli se révélera enfant de Machiavel. Son « bon sens » manœuvrier sera fatal à ceux qui l’ont soutenu pour consolider leurs positions tout en escomptant des subsides politiques.

Ainsi, Kasdi Merbah qui s’attendait à hériter du Secrétariat général du ministère de la défense verra ses vœux exaucés. Mais sans vrai pouvoir si bien qu’il sera défié par le colonel Atailia, patron de la 1e région militaire qui refusera de le recevoir à son QG de Blida. Que fera Chadli pour faire rentrer dans le rang l’insoumis colonel ? Rien. Il compte les coups.

Ainsi en est-il du fringant Mostefa Belloucif qui succèdera à Merbah avant de se voir dégommer au profit de l’auteur lui-même. Benyelles refusera le poste de SG. Mais Chadi jouera sur la fibre sentimentale pour avoir son adhésion. Benyelles nouveau SG, Beloucif nouveau chef d’Etat-major, dépité d’avoir perdu le SG, défiera le président. Mais plus qu’une question d’orgueil, selon Benyelles, c’est une affaire de gros sous, de gestion et de malversations financières.

« De tous les directeurs centraux relevant de mon autorité, le plus sollicité était celui des finances qui continuait, comme par le passé, à recevoir quotidiennement des papillons lui ordonnant le versement à son profit personnel(Beloucif NDLR) de fortes sommes d’argent, en dinars et en devises. »

Plus loin, il nous donne une information de taille sur « Le fonds national de Solidarité » si cher à Ben Bella. On le pensait perdu, dépensé ? Erreur. Il dormait dans la casemate de de Beloucif qui a remis les clefs avant de quitter son poste « Le trésor ainsi amassé, fut retrouvé dans un coin du bureau de Ahmed Ben Bella, au lendemain du 19 juin 1965, à la Villa Joly qui tenait alors lieu de siège de la Présidence. Transféré à la casemate Ali Khodja sur les hauteurs d’Alger, il avait été confié aux bons soins du directeur des Finances de l’époque, le regretté « papa Khelifa » d’abord, puis après son décès, à son successeur, le commandant Lefdjir Habri qui avec, le Secrétaire général de la défense, étaient les deux seuls officiers en activité, au courant de l’existence du pactole entreposé là, depuis près de vingt ans. »

Voilà comment on pressure le peuple jusqu’au dernier sou pour rien. Le bon plaisir du Roi. Si au moins le sacrifice des petites gens a servi le pays. Geste très noble d’un côté, geste irréfléchi de l’autre. Ainsi va l’Algérie.


*Dans les arcanes du pouvoir

Éditions Barzakh

Prix : 1200 DA

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