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Enseignement de tamazight en Algérie : état des lieux

Enseignement de tamazight en Algérie : état des lieux

Pendant une semaine, la Kabylie et Batna ont été secouées par un mouvement de protestation. Les manifestants protestaient contre le rejet d’un amendement parlementaire qui visait à généraliser l’enseignement à l’école de tamazight. Quelle est la situation de l’enseignement de la langue berbère en Algérie ?

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Grève du cartable

Tamazight a commencé à être enseigné en 1995, après la « grève du cartable » qui a duré une année et a touché la plupart des écoles de Kabylie. Au bout d’une année blanche pour les écoliers de la région, l’État a consenti à organiser l’enseignement de tamazight et à créer le Haut-Commissariat à l’Amazighité, dont la mission initiale était de lancer et d’encadrer cet enseignement.

Si en 1995, cette langue n’était enseignée que dans quelques écoles réparties sur 16 wilayas, notamment en Kabylie et dans les Aurès, aujourd’hui, elle est présente dans les écoles primaires, CEM et lycées de 37 wilayas, selon le ministère de l’Éducation nationale et le HCA qui donnent le chiffre de 600.000 apprenants de tamazight en 2017.

En Kabylie, où la revendication amazighe est largement répandue, tamazight est enseignée dans la plupart des écoles de Tizi-Ouzou, Béjaïa, des communes de l’est de Bouira et dans certaines communes de Boumerdès limitrophes de la wilaya de Tizi-Ouzou. À Batna, les disparités entre les communes sont plus importantes.

« Tamazight est surtout enseigné dans les régions berbérophones des Aurès, comme Arris ou Merouana, où cette langue est enseignée à presque 100% des classes. Mais à Barika, Ain Touta ou encore Seggana, où les habitants sont arabophones, tamazight a du mal à pénétrer », explique un enseignant de tamazight dans cette région, qui a requis l’anonymat.

Malgré ces « résistances », il y a, selon nos sources, entre 25.000 et 30.000 élèves qui apprennent tamazight dans les trois paliers de l’enseignement à Batna, en 2017, encadrés par près de 200 enseignants.

Les autres wilayas de l’est et du sud du pays sont moins pénétrées par l’enseignement de tamazight, à cause de « résistances de la part de la population », explique une enseignante de cette langue dans les Aurès. Ainsi, et à titre d’exemple, Biskra ne compte que 5 enseignants de tamazight alors que les wilayas de Tebessa et Oum El-Bouaghi en comptent 8 chacune.

Enseignement facultatif

Si l’enseignement de tamazight progresse lentement, c’est à cause d’ « entraves mises sur son chemin », souligne un inspecteur de l’éducation nationale chargé de la matière. Pour lui, « toutes les régions ne sont pas demandeuses de cet enseignement et il est difficile de faire accepter aux parents d’élèves de rajouter une matière à leurs enfants alors qu’ils trouvent que les programmes sont déjà trop chargés ». Certains parents se demandent même « à quoi peut servir tamazight », s’est indigné l’inspecteur.

Lors de l’établissement de l’emploi du temps hebdomadaire des élèves, certains directeurs d’écoles rechignent à attribuer un créneau horaire précis pour l’enseignement de tamazight, qui est « casé en dernier, souvent aux dernières heures de la journée et parfois même pendant les samedis alors qu’on sait que les élèves accepteront avec difficulté d’étudier un jour de week-end », explique le même inspecteur de tamazight qui déplore que la langue « n’ait pas une place clairement définie par l’éducation nationale ».

Le caractère facultatif de l’enseignement de tamazight est un des freins qui ralentissent sa progression. Une aberration pour le Dr Djellaoui, enseignant et chercheur en langue et culture amazighes à l’Université de Bouira. Pour lui, le problème n’est pas intrinsèque à tamazight, car « n’importe quelle matière, comme l’arabe, le français ou l’anglais, si elle est facultative, sera elle aussi boudée par les élèves ».

Le caractère non obligatoire de l’apprentissage de tamazight dans les écoles où il est proposé pose problème, notamment lorsqu’on veut introduire tamazight dans les écoles situées dans des régions arabophones, souligne une enseignante de tamazight. « Si on demande à n’importe quel élève de ma région s’il veut étudier tamazight, il dira non, surtout les arabophones qui la considèrent pour la plupart comme une langue étrangère », a-t-elle expliqué.

Des « enseignants-chercheurs militants »

« Tous nos enseignants sont des militants de la cause amazighe », souligne une étudiante en langue et culture amazighes de l’Université de Bouira. « Il faut vraiment aimer tamazight pour en faire son métier, car le risque de se retrouver au chômage après les études est très grand », insiste un autre étudiant du même département.

Ces propos illustrent l’état d’esprit qui règne dans les départements de langue et culture Amazighes (DLCA), car ce qui motive les enseignants universitaires de tamazight est l’importance de leur travail pour la propagation de l’enseignement de cette langue dans les écoles du fondamental et du secondaire en formant les futurs enseignants. « La première promotion de diplômés en tamazight de l’université de Batna comptait 72 licenciés, 45 d’entre eux enseignent maintenant dans les lycées et CEM de la région », se réjouit M. Nahali, enseignant et chercheur en tamazight à Batna, pour qui l’évolution de tamazight ne peut s’appuyer que sur l’université qui doit former des enseignants suffisamment compétents.

Contrairement aux écoles primaires et secondaires où l’enseignement de tamazight reste « chaotique », selon ses acteurs, les départements de tamazight se portent mieux et arrivent à « former des diplômés compétents et à faire de la recherche », selon le Dr Djellaoui Mohamed.

Il existe quatre départements de langues et cultures Amazighes en Algérie. Celui de Tizi-Ouzou compte environ 2700 étudiants, selon M. Salhi, enseignant du département. À Bouira, 700 étudiants sont en licence et master en langue et culture amazighes alors que le département de Batna compte environ 1400 étudiants. Nous n’avons pas pu obtenir les chiffres du département de Béjaïa.

L’enseignement de tamazight se fait depuis quelques années dans le cadre du système LMD. À Bouira, comme à Tizi-Ouzou, plusieurs doctorants sont en train de parachever leurs thèses. À Batna, des doctorats seront lancés l’année prochaine, d’après M. Nahali.

« Labo cartable » et manque d’effectifs

Même si l’enseignement de tamazight dans les universités se porte plutôt bien selon les enseignants contactés par TSA, il n’en demeure pas moins que les quatre départements souffrent de manque de moyens. M. Djellaoui parle même de « Labo cartable », pour désigner le laboratoire de recherche en langue et culture amazighes ouvert au sein de l’Université de Bouira, mais qui reste une coquille vide, faute de moyens.

Le manque d’effectif est aussi pointé du doigt par le Dr Djellaoui qui regrette que son département ne dispose que de 16 enseignants permanents.

Pour M. Nahali, les problèmes dont souffrent les DLCA concernent aussi les autres filières et ne sont pas spécifiques à l’enseignement universitaire de tamazight. Pour lui, le problème le plus urgent est la normalisation de tamazight, qui permettrait selon lui, « d’unifier et d’harmoniser l’enseignement de tamazight dans toutes les universités et écoles du pays ».

Cette normalisation est retardée par la lenteur de la mise en place de deux institutions scientifiques, l’Académie amazighe, prévue par la Constitution depuis 2016 et le centre national de recherche en langue et culture amazighes, dont le bâtiment est déjà construit mais qui reste inactif, d’après M. Salhi.

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