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Entretien avec Chems-Eddine Hafiz, Recteur de la Grande mosquée de Paris : « La situation est très inquiétante »

Entretien avec Chems-Eddine Hafiz, Recteur de la Grande mosquée de Paris : « La situation est très inquiétante »

X - Grande Mosquée de Paris
Chems-Eddine Hafiz, Recteur de la Grande mosquée de Paris

Dans cet entretien à TSA, le recteur de la Grande mosquée de Paris aborde plusieurs sujets liés à la hausse des actes antimusulmans en France, la diaspora algérienne, la création de la coordination Ammale, la certification Halal…

Il s’insurge « avec force » contre « cette dérive où la haine et les discriminations antimusulmanes prospèrent dans une impunité indécente », en parlant de la hausse des actes antimusulmans en France. Il juge la « situation très inquiétante ».

TSA Algérie. Lors du traditionnel thé de la fraternité de la Grande mosquée de Paris mercredi 10 avril, à l’occasion de la célébration de l’Aïd el-Fitr 2024, vous avez dénoncé les accusations d’antisémitisme dont vous faites l’objet à cause de vos positions fortes sur la guerre à Gaza. Vous avez rappelé l’histoire de la Grande mosquée de Paris avec les juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Vous avez aussi dénoncé la stigmatisation permanente des musulmans en France. Après 7 mois de guerre à Gaza, quelle est la situation au plan de l’islamophobie en France ?

Lorsque nous avons célébré l’Aïd el-Fitr le 10 avril dernier, dans la ferveur des 40.000 fidèles venus prier à la Grande Mosquée de Paris, nos pensées et nos prières ont continué à se tourner vers les souffrances subies par le peuple gazaoui, vers ces milliers d’enfants privés de la joie de la fête et dont l’innocence a été fauchée par le feu et le sang.

Cet Aïd était marqué par le deuil. Ce jour-là, je me devais de rappeler la position que j’ai constamment tenue : exhorter à la paix, à la protection de tous les civils et à la construction d’un État palestinien comme seule solution durable au conflit.

Je suis à la tête d’une institution religieuse, et cela signifie que je me dois aussi d’agir pour préserver la coexistence des religions et des communautés religieuses en France.

J’ai donc réaffirmé une vérité que mes prédécesseurs ont déjà défendue : cette guerre n’est pas d’essence religieuse mais de territoire et de colonisation. Je refuse qu’elle soit importée en France et que la haine cible des personnes en raison de leur appartenance religieuse.

Malheureusement, l’intolérance en général, et les actes et discours antimusulmans en particulier, ont augmenté ces derniers mois en France. Des mosquées sont dégradées, des personnes sont insultées, des propos abjects sont tenus sur des plateaux de télévision.

Certains mouvements politiques et médiatiques en tiennent la responsabilité. Je m’insurge avec force contre cette dérive où la haine et les discriminations antimusulmanes prospèrent dans une impunité indécente.

TSA Algérie. La campagne pour les élections européennes est en cours en France. Des candidats et des partis ciblent quotidiennement les musulmans. Sommes-nous vraiment dans le cadre de la liberté d’expression ?

Chems-Eddine Hafiz : La période des élections fera effet d’accélérateur d’une tendance inquiétante que nous observons depuis plusieurs années.

Les idéologies extrémistes parviennent à franchir des barrières qui les retenaient autrefois dans les marges. Des personnalités politiques et médiatiques tiennent des propos scandaleux, et répréhensibles au regard de la loi, qui n’auraient pas pu être prononcés par le passé.

Car ces extrêmes investissent des espaces qui n’existaient pas autrefois, ceux des réseaux sociaux, des fake news.

Cette situation est très inquiétante, nous ne devons pas les banaliser, et j’ai saisi à plusieurs reprises l’autorité en charge de la régulation des médias (Arcom).

Les discours racistes sont contraires à la liberté d’expression, qui est un bien commun à préserver absolument.

Les musulmans de France font bien la différence. Et lorsqu’une personnalité politique bien connue leur dit « Je ne souhaite pas que le Ramadan devienne une fête française », les musulmans la contredisent en vivant ce mois béni dans le partage et la solidarité avec tous leurs concitoyens. Car oui, il ne faut pas désespérer : la société française ne renoncera jamais à l’humanisme pour la haine.

TSA Algérie : À quoi répond la création du Conseil de Coordination AMMALE (Alliance des mosquées, associations et leaders musulmans en Europe) et quelles sont les actions de la Grande Mosquée de Paris pour lutter à la fois contre l’islamophobie et l’islamisme en France ?

Chems-Eddine Hafiz : Le Conseil de Coordination AMMALE est né en octobre 2023. Dix-sept muftis, imams et personnalités musulmanes de premier plan venant de pays européens ont accepté mon invitation.

Ce nouveau Conseil a pour volonté d’unir les efforts des institutions et des personnalités musulmanes à travers l’Europe, en défendant le message véritable de l’islam, contraire à tout extrémisme, et en protégeant la dignité et la citoyenneté des musulmans du continent.

Ses ambitions correspondent finalement aux missions défendues par la Grande Mosquée de Paris, cette fois à l’échelle européenne. Bien sûr, les situations peuvent différer d’un pays à l’autre, mais nous faisons tous le même constat : nous manquons de structures et d’unité, pour nous opposer, notamment, à tout ce qui tend à manipuler notre belle religion, et pour rendre son existence plus harmonieuse dans nos sociétés.

Les acteurs du culte musulman doivent parler d’une même voix afin de promouvoir l’islam juste, porteur des plus hautes valeurs éthiques, humaines et fraternelles. Je suis convaincu que cette voix peut vibrer au-dessus de l’intolérance et des racismes.

TSA Algérie : La diaspora algérienne fait preuve d’un engouement inédit pour s’organiser. Comment cette diaspora peut-elle contribuer au développement de l’Algérie ?

Chems-Eddine Hafiz : C’est tant mieux. La diaspora algérienne est une force vive extraordinaire et l’Algérie mérite amplement que ses enfants qui vivent à l’étranger s’intéresse à elle. Elle peut profiter à l’Algérie, et en même temps à la France et aux relations prospères entre les deux pays. Nous n’en avons pas eu assez conscience.

Ces dernières années, des personnalités exceptionnelles ont émergé dans toutes les sphères, économique, intellectuelle, culturelle, politique, associative, sportive, etc. Elles ont à cœur de participer à l’avenir de l’Algérie.

Mais pour les aider, il nous faut jouer collectif et nous organiser. L’histoire ayant scellé des liens très forts entre la Grande Mosquée de Paris et l’Algérie, j’ai voulu que l’institution accentue ses efforts en ce sens.

Nous avons travaillé pour rassembler de nombreuses personnalités d’exception, qui s’engagent à présent dans une nouvelle association pleine de promesses, AWASSIR, créée en décembre 2023 sous l’égide de la Grande Mosquée de Paris.

La réalisation dont je suis le plus fier à ce jour est l’organisation, avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, de colonies de vacances en Algérie, pour 900 enfants d’ici, durant l’été 2023 – une nouvelle édition verra le jour en 2024. J’aurais voulu que vous puissiez voir les yeux de ces filles et de ces garçons, pétillants de joie, à leur retour en France. Dans ces yeux résident notre futur.

TSA Algérie : La Grande mosquée de Paris a été désignée par le gouvernement algérien pour certifier les produits exportés vers l’Algérie comme étant Halal. De nombreuses critiques ont accompagné cette désignation notamment sur le prix de la prestation. Que répondez-vous ?

Chems-Eddine Hafiz : Je tiens d’abord à rappeler que la Grande Mosquée de Paris exerce l’activité de certification Halal en France depuis 1939, et depuis un arrêté du 15 décembre 1994, elle est l’un des seuls organismes religieux habilités à délivrer des cartes de sacrificateurs rituels.

Nous avons donc une très longue expérience dans le domaine. Notre cahier des charges est public, nous exerçons tous les contrôles nécessaires auprès de nos sacrificateurs et des abattoirs, et nous travaillons avec des laboratoires d’analyse extrêmement compétents.

Depuis le 1er janvier 2023, la Grande Mosquée de Paris dispose en effet d’un mandat exclusif, délivré par les autorités algériennes, pour certifier la licéité Halal des produits consommables et non consommables exportés vers l’Algérie.

Cette responsabilité a été rendue possible par le déploiement préalable de la Fédération de la Grande Mosquée de Paris à l’international. En réalité, les critiques et les calomnies qui nous ont ciblés sont venues de ceux qui profitaient, avant cela, de cette économie de la certification, et, j’ose l’affirmer, ne souciaient pas de l’Algérie et des Algériens. De notre côté, nous resterons attachés à notre seule préoccupation : assurer aux consommateurs la licéité des produits qu’ils consomment.

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