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Entretien avec Malika Matoub : « Non à la désignation d’un coupable idéal »

Entretien avec Malika Matoub : « Non à la désignation d’un coupable idéal »

Cela fait 20 ans que Lounès Matoub a été assassiné. Sa famille s’est-elle remise de cette disparition ?

Pas du tout car comme disait ma mère en kabyle « lmegueth issaa asseni, thelt eyyam, revaïn n’youm ; lmut n’Lwennas kul ass » (Un mort a un, 3 ou 40 jours de deuils mais avec la disparition de Lounès c’est tous les jours le deuil). Pourquoi ? Parce que si tu décides de sortir pour t’aérer un peu l’esprit, il y a une voiture qui passe et tu entends sa voix. Tu allumes la télévision, tu vois ses images. C’est-à-dire, on vit avec sa mort au quotidien. Ça fait 20 ans mais pour nous c’est comme si c’était hier.

Il était tellement présent….

Tout à fait. Il était présent mais même maintenant il est présent. Tous les jours, tu te réveilles avec Lounès et tu dors avec lui. Et il y a toujours quelque chose à faire autour de Lounès. Nous, on vit avec lui.

Le vide artistique et politique laissé par le chantre de l’amazighité qu’est Lounès Matoub n’est pas facile à combler…

C’est vrai qu’il a laissé un vide sur la scène artistique et sur le plan de la contestation. Il y a un vide qui est béant. On le ressent à travers les gens qui viennent nous rendre visite à la Fondation. Matoub Lounès est unique et il le restera. Parce que c’était un artiste engagé et entier. C’est-à-dire que son engagement ce n’est pas seulement dans la chanson et dans ses compositions mais aussi dans son mode de vie, sa manière d’être, sa manière d’agir. Et même dans son quotidien, son engagement est total. C’est un tout. C’est pour toutes ces raisons qu’il ne peut pas y avoir un deuxième Lounès.

Suite aux déclarations du chanteur Zedek Mouloud, vous avez demandé à nouveau la réouverture de l’enquête sur l’assassinat de votre frère. Avez-vous bon espoir de voir, cette fois-ci, votre requête aboutir ?

Tant qu’on est en vie, l’espoir existe. Moi, je maintiens notre position affichée depuis maintenant 20 ans où nous réclamons haut et fort la vérité sur l’assassinat de Matoub Lounès. J’entends dire par-ci par-là que je ressasse la même chose. Mais bien évidemment, tant que cette affaire n’est pas réglée, je ne peux pas ne pas ressasser et répéter inlassablement la même chose ; je ne peux que continuer à clamer haut et fort cette quête de vérité.

Et aujourd’hui, il y a les déclarations faites par le chanteur Zedek Mouloud à la fin d’un gala animé durant le mois de Ramadan en disant qu’il était sur les lieux de l’attentat, moins de 10 minutes après les faits. Nous avons aussi eu vent qu’il avait ramassé une douille sur les lieux et il dit qu’il y avait la présence de quatre gendarmes. Nous, on est resté perplexes. L’artiste Zedek Mouloud a certainement beaucoup de choses à dire (l’environnement du véhicule, dans quelle position était mon frère, elles étaient où les autres victimes, ma belle-sœur et ses sœurs, les assaillants…). Donc, on se pose beaucoup de questions et il faut que le juge d’instruction le convoque. C’est pour cela qu’on a demandé la réouverture du dossier. D’ailleurs, pour nous, ce dossier n’a jamais été clos et il n’y a jamais eu de procès Matoub parce que le procès de 2011 était celui de Chenoui et Medjnoun et non pas celui de mon frère. Et aujourd’hui Zedek Mouloud se rajoute aux 51 personnes que nous avons citées à comparaître pour justement éclairer la justice et l’opinion publique qui attend beaucoup de la justice algérienne pour qu’enfin la vérité soit connue.

J’espère que cette fois-ci, le combat ne restera pas uniquement au sein de la famille.

Aussi, nous interpellons la société civile, les partis politiques, les ligues des droits de l’Homme, les artistes, les intellectuels, etc. à nous épauler pour qu’il y ait réouverture du dossier Matoub Lounès.

Les gens vont certainement se demander pourquoi Zedek a attendu 20 ans pour se manifester…

Oui, effectivement. Mais moi aujourd’hui je ne me pose plus aucune question. Je sais une chose : lui il a dit, moi j’ai entendu. Après, les lectures, c’est autre chose.

Il y a aussi Nordine Ait Hamouda qui a déclaré l’année passée connaitre les assassins de Matoub tout en faisant état de sa disponibilité à témoigner devant la justice…

Oui, il y a cette déclaration de Nordine Ait Hamouda et il y a une question qui reste en suspens qui lui a été toujours posée par la famille, à savoir : qui l’avait informé 5 minutes après l’attentat dont a été victime Lounès ? Je crois que cela pourrait être un élément capital.

Vous connaissez la personne qui l’a appelé ?

Oui, grâce à notre propre investigation nous savons qui l’a appelé mais c’est à Nordine de le dire.

Vous pouvez dire qui est-ce?

Non, ce n’est pas à moi de le faire.

Il dit aussi qu’il connaît les assassins…

À la bonne heure. Et il n’est pas le seul à dire çà. Il y a d’autres aussi qui disent connaître les assassins de Lounès. D’autres ont avancé des certitudes même pas une heure après l’assassinat. Mais ce qui nous importe à nous en tant que famille, c’est la vérité. Et avant d’arriver à la question de savoir qui a assassiné Matoub il faut qu’on sache le mobile du crime et comment il a été assassiné, c’est-à-dire reconstitution des faits et étude balistique pour arriver enfin à l’identité des assassins. Et je crois que là-dessus il y a assez de matière. Ce qui manque c’est la décision politique pour la réouverture de ce dossier. Et je crois que tout le monde attends ça.

Et qui doit décider ?

C’est le président de la République.

Il vous a promis de faire éclater la vérité sur l’assassinat de Lounès, non ?

Tout à fait. Et on attend toujours. À ce jour, il faut un courage politique pour en finir avec ce dossier et pour qu’enfin notre famille puisse faire son deuil PAISIBLEMENT. Et il y a ma mère qui est avancée dans l’âge. Je lui souhaite de partir en paix. La même chose pour la famille, pour sa grande famille, ses fans. Nous voulons savoir la vérité. Je ne pense pas qu’on puisse construire l’avenir sur l’impunité. C’est impossible.

Vous avez toujours déploré l’absence d’une analyse balistique et de reconstitution des faits dans le dossier de l’assassinat de Matoub Lounès. Peut-on comprendre par-là que la justice algérienne n’avait pas fait son travail correctement ?

Malheureusement, la reconstitution des faits a été banalisée et n’a pas été faite dans les normes. Même l’audition des riverains n’a pas été faite. Idem pour tous les acteurs. Un exemple : ma belle-sœur qui était dans le véhicule et victime, avait dit à l’époque : « J’ai été obligée de dire que c’est le GIA ». Là-dessus normalement, la justice va s’autosaisir. Pourquoi ? Parce que c’est une pression sur des témoins directs. Et ce n’est pas à moi de le faire, c’est à la justice de s’autosaisir systématiquement.

Qu’en est-il des conclusions du bureau d’enquête international que vous avez-vous-même engagé ? Vous ont-elles confortés dans vos doutes ?

Une chose est sûre, c’est que l’étude qui a été faite par ce bureau est une étude scientifique, elle n’a pas été faite pour plaire ni à la famille ni à quelqu’un d’autre. On a voulu avoir une étude scientifique pour, justement, éviter tout égarement ou toute surenchère. Il se trouve que cette étude dans ses premières conclusions a été claire : les assaillants sont des gens qui maîtrisent l’armement lourd et ils sont très bien entraînés, etc.

Il y a aussi le choix du lieu qui n’était pas fortuit. C’est le seul endroit dans toute la région où on peut faire un attentat ciblé. Les conclusions de nos experts peuvent donc servir comme éléments pour la justice si elle veut réellement faire un procès équitable.

Ceci dit, la justice peut rejeter cette expertise mais il faudrait engager une. Et c’est le but. On attend toujours, c’est un dossier qu’on s’interdit de rendre public car il n’a pas été fait pour faire un éclat médiatique mais plutôt pour servir à l’éclatement de la vérité et comme complément dans notre quête de vérité avec nos avocats.

Qu’en est-il de la valeur juridique des conclusions de bureau étranger en Algérie ? La justice algérienne peut-elle travailler sur la base de ces conclusions ?

Bien sûr. Parce que c’est un bureau d’expertise balistique qui a un agrément international et qui travaille au niveau mondial (France, Liban, Libye, Amérique Latine…). Ce ne sont pas des petits Charlots mais des gens sérieux. Leur expertise est faite dans les normes.

Peut-on avoir le nom de ce bureau ?

Non.

Et comment avez-vous fait pour faire entrer au pays les experts de ce bureau ?

On a grugé. Ils sont venus ici en touristes.

Le procès des assassins de Matoub a mis 13 ans pour se tenir et cela fait sept ans que vous demandez la réouverture de l’enquête, mais en vain. Pourquoi, selon vous, cette lenteur de la justice algérienne ?

C’est devenu une tradition. Parce qu’on n’est pas les seuls, il y a d’autres familles de victimes qui réclament à ce que les dossiers de leurs parents soient rouverts. On peut citer le dossier Boudiaf et son fils fait des pieds et des mains pour faire éclater la vérité. Il y a les procès Djaout, Hachani, Merbah. Il y a aussi en France, l’affaire Mecili.

Malheureusement, chez nous, on compte beaucoup plus sur l’oubli. Sauf que nous, en tant que familles, on ne peut pas oublier. L’oubli n’arrange ni la famille ni l’épanouissement du pays. Et, plus grave encore, ça crée des tensions au niveau des jeunes, c’est de génération en génération et ça reste une plaie béante pour le système politico-judiciaire algérien. Et si on veut rentrer dans le concert des Nations comme disait Lounès, il faudrait une transparence et un État de droit.

Ne soupçonneriez-vous pas l’existence d’une volonté de laisser l’affaire pendante ?

Quand je regarde notre parcours depuis 20 ans, je peux dire que Lounès est assassiné dans la durée.

C’est-à-dire ?

Je veux dire que quand on voit son œuvre spoliée, comment on essaie de souiller sa mémoire, les récupérations, l’invective, l’intox sur sa famille. Cela me permet de dire qu’on veut en finir avec la mémoire de Matoub Lounès. Mais cette mémoire est plus forte. Parce que Matoub Lounès c’est la voix du peuple. Si on veut que ça change dans notre pays, il faut écouter le peuple, c’est un peuple rebelle.

La thèse de l’assassinat de Matoub Lounès par les islamistes est-elle à écarter ?

Il ne s’agit pas d’écarter une thèse ou une autre. Moi, je suis dans une position de quête de vérité. Mais je suis contre la désignation du coupable idéal par voie de communiqués de presse et pour plaire à une tendance politique ou une autre. La désignation des islamistes n’a pas été faite sur la base d’une enquête mais par une volonté politico-médiatique. Si ceux qui ont avancé cette thèse ont assez d’éléments, pourquoi s’acharner alors à ce que ce procès ne voit jamais le jour ? Quand on tient une vérité, il faut au contraire faire un travail pour que cette vérité devienne une vérité absolue. Mais on ne va pas attaquer une famille et lui dénier la légitimité de demander un droit. Et c’est ça quelque part qui fait semer le doute sur l’identité des assassins de Lounès et celle de leurs commanditaires. Et quant à ce crime, la chose dont je suis sûre est que ça importe peu la main, mais la finalité politique. Pourquoi le 25 juin, à cette période précise, on tue un artiste, un poète un homme libre, un artiste qui n’est pas un politique ou un décideur ? Pourquoi ? Chacun est aujourd’hui responsable devant l’Histoire concernant cette affaire.

Avez-vous une réponse à votre question ?

Par rapport à ce que représente mon frère, je le sais. Mais les mobiles politiques, le traquenard politique de l’époque, je ne suis pas dans le secret des décideurs de l’époque. Et ce n’est pas mon rôle. Je sais seulement ce que représente réellement mon frère.

Une chose est sûre, c’est qu’il y avait eu des calculs pour l’abattre. Ce n’est pas venu comme ça, ce n’est pas le fait qu’un groupe décide de le supprimer. Parce que quand on dit terroriste, le terme est vague. Quand une personne fait peur à une autre, on dit de lui un terroriste. Cet acte n’est pas venu comme çà. Ça a été mûrement réfléchi.

Pourtant, l’assassinat de Lounès Matoub a été revendiqué par Hassan Hattab qui était à l’époque le chef du GIA en Kabylie…

Oui mais la revendication de Hassan Hattab était venue après la déclaration de Saïd Sadi qui avait dit que c’est Hassan Hettab avant que celui-ci ne revendique l’assassinat sur le journal El Hayet, paraissant à Londres. Vous savez actuellement, au Moyen-Orient il y a des choses qui ne sont pas le fait du Daech mais celui-ci les revendiquent. Ce sont des effets médiatiques.

Hattab est toujours vivant, la justice peut l’entendre non ?

Nous, on l’a cité à comparaitre et il fait partie de notre liste de 51 témoins que nous avons cités à comparaître. Et si c’est Hassan Hattab, pourquoi il va bénéficier de l’impunité ? Vous voyez, nous on est dans un cas de figure qui est la recherche de vérité et non la désignation comme je l’ai dit tout à l’heure et j’insiste sur le mot d’un coupable idéal.

Sur les 51 personnes que vous avez citées à comparaître, certaines ont-elles été entendues par la justice ?

Non, malheureusement aucune.

Vous n’avez pas peur de voir, 20 ans après, des preuves qui renforcent pour une thèse ou une autre, se détériorer ou disparaître carrément ?

Pas du tout. Qui aurait pu dire que Zedek Mouloud va faire une déclaration pareille ? Donc, il peut y avoir toujours des personnes qui ont vu des choses et qui vont se réveiller enfin pour en témoigner. Mais les preuves, elles sont là. Par exemple, sur le véhicule de mon frère, on a fait des prélèvements ADN. Et s’ils n’ont pas pu être expertisés, ils sont toutefois gardés et un jour ou l’autre ils peuvent être exploités.

Dans cette affaire même s’il n’y aura pas de procès peut-être digne de ce nom, mais je suis sûr qu’il va y avoir des gens qui vont se pencher un jour sur ce dossier et la vérité se saura.

Peut-on faire le bilan des 20 ans d’existence de la Fondation Matoub Lounès et quels sont vos projets ?

À la Fondation, nous avons déjà l’ambition de doter le village d’une infrastructure qui puisse abriter les très nombreux gens, comme vous l’avez constaté vous-même, qui viennent de loin. Nous avons sollicité les autorités pour la construction d’une auberge ici dans la région. Il y a des gens qui viennent des différentes régions du pays, voir même de l’étranger. Il doit y avoir un lieu où ces gens puissent passer la nuit et être bien reçus. Et au-delà du village, ce sera un épanouissement pour la région. Ça permettra aux jeunes de travailler et aux familles d’avoir pignon sur rue comme on dit.

Nous avons aussi un projet de construction d’un musée Matoub Lounès, juste à proximité de notre maison. Ça nous permettra non seulement d’exposer tout le patrimoine de Lounès, à savoir ses archives, ses manuscrits, ses instruments, etc, mais aussi faire les portraits de toutes les personnes évoquées dans ses chansons. Ce sera en quelque sorte le musée de la mémoire notamment de la Kabylie. Car quand on voit dans le répertoire de Lounès, à un moment il avait le rôle de chroniqueur (les événements de 1980,…). Ce musée peut être donc le musée de la mémoire. Et cela nous permettra d’avoir un personnel indiqué pour qu’on puisse sortir de la routine quotidienne et faire un travail plus élaboré.

Un mot pour les fans de Lounès Matoub ?

Je me contente de citer un passage d’une chanson de Matoub Lounès :

« Arrach tmourthik, ichebahn ismik, farzzen sebba baya, Athnan ilkel sidhissik, atsimlil negh atsivrik, ehsu urrketsadjanara ». (Les enfants de ta région qui ont encensé ton nom connaissent la raison de ce qui t’es arrivé, Ils sont tous à tes côtés, dans de bonheur comme dans le malheur, sache qu’ils ne te laisseront jamais seul).


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