search-form-close
ENTRETIEN. Les raisons des disparités médicales en Algérie

ENTRETIEN. Les raisons des disparités médicales en Algérie

Dans cet entretien accordé à TSA, le Pr Lyes Merabet, président du syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), alerte sur «le départ massif  des praticiens du secteur public vers le secteur privé». Il réclame l’abrogation du service civile et évoque le manque d’anesthésie dans les hôpitaux.

Quelles solutions préconisez-vous pour résoudre définitivement le problème chronique des ruptures qui affecte le secteur des médicaments en Algérie ?

Des efforts ont été déployés par le gouvernement pour apporter des solutions au problème des ruptures et tensions que connaît le secteur des médicaments dans notre pays.

Un ministère de l’industrie pharmaceutique a été créé. À ce dernier a été rattachée l’Agence nationale du médicament. Un observatoire de veille sur la disponibilité des produits pharmaceutiques a été mis en place.

| Lire aussi : ENTRETIEN. Soins en Algérie : le terrible diagnostic du Pr Brouri

Malgré tous ces efforts, force est de constater que des alertes de ruptures sont faites d’une manière récurrente par l’observatoire de veille. Il y a aussi les informations que nous recueillons en tant qu’organisation syndicale et qui remontent de la part des praticiens médicaux qui sont au niveau des services hospitaliers et des structures extrahospitalières.

Certains préfèrent parler de ruptures, pendant que d’autres évoquent un problème de gestion ou d’indisponibilité provisoire, mais l’essentiel pour nous, c’est qu’il y a des médicaments qui manquent à l’appel, qui sont nécessaires pour les schémas thérapeutiques pour les malades comme pour les séances de chimiothérapie pour les cancéreux, ou au niveau des urgences.

C’est le cas actuellement de la pénurie du Solumédrol à 40 mg ou de certains anesthésiques utilisés en chirurgie. Certains blocs de chirurgie ont été sérieusement impactés par cette indisponibilité des produits anesthésiques.

Ceci est un constat. Je rappelle ce qui a été dit par le syndicat des praticiens de santé publique, mais aussi par d’autres : il faut veiller à reconstituer en urgence un stock de sécurité en s’appuyant sur les besoins estimés chaque année.

Par exemple, par rapport à la prévalence de la pathologie cancéreuse, nous estimons que, chaque année, il y a près de 60 000 cancéreux à prendre en charge. Donc, il faudrait orienter nos dépenses et veiller à répondre aux besoins de manière régulière.

Il faudrait aussi encourager l’investissement national (public et privé), mais aussi étranger pour renforcer la production pharmaceutique.

Il faut orienter cet investissement dans les molécules essentielles en tenant compte de l’innovation et des mises à jour par rapport au consensus thérapeutique.

 Il est également nécessaire d’assurer au niveau du réseau de stockage et de distribution via une plateforme numérisée pour optimiser la gestion des stocks et en assurer une traçabilité et une transparence.

Il faut aussi renforcer l’observatoire de veille par des commissions et des sous commissions régionales et wilayales dotées des mêmes missions.

Comment expliquez-vous le problème des disparités qui affectent la couverture médicale en Algérie ?

Le déséquilibre en matière de couverture médicale et de personnel médical d’une région à une autre, d’une structure hospitalière à une autre et d’un service à un autre, est un autre problème important.

Cela découle notamment du départ massif des praticiens du secteur public vers le secteur privé.

Plusieurs facteurs sont en cause : les conditions socioprofessionnelles dont la question des faibles salaires des praticiens du secteur public, l’inefficacité du service civil pour assurer une prise en charge spécialisée à nos concitoyens dans les différentes régions du pays, le statut dégradant du praticien généraliste dans un système de santé orienté d’une manière anarchique et non justifiée vers la spécialité tant par rapport aux besoins de l’exploration, que la prise en charge et du suivi.

Cette situation fait qu’actuellement, dans beaucoup d’établissements à l’échelle nationale, nous avons un manque en matière de couverture parce qu’il y a un déficit en médecins généralistes.

La plupart de nos collègues préfèrent aller directement vers la spécialité considérant que faire une carrière de médecin généraliste n’est pas du tout attrayante et intéressante.

Il y a un grand engouement des jeunes médecins algériens à choisir l’exercice libéral ou aller à l’étranger. Beaucoup sont candidats, chaque année, en passant des examens qui leur permettraient d’aller exercer à l’étranger.

La situation est compliquée par le manque de coordination relevée entre les secteurs public et privé. Ceci impacte le réseau de suivi et de prise en charge médicale.

À titre d’exemple, plus de 25% des spécialistes sont installés dans la wilaya d’Alger qui compte à peine 10% de la population du pays. Pas moins de 80% des gynécologues travaillent dans le secteur privé, alors que 80% des actes médicaux liés à la grossesse se font dans le public.

Il y a donc un déficit de prise en charge. Les hôpitaux publics sont dotés de matériels d’exploration (scanners, IRM….) qui ne fonctionnent pas par manque de personnel capable de les faire fonctionner.

Que faut-il faire concrètement pour améliorer cette situation ?  

Les solutions pour le personnel passent par la revalorisation de la ressource humaine de manière générale, notamment pour le personnel médical à travers la révision des statuts particuliers dans le secteur public bien-sûr, et les régimes indemnitaires de façon à indexer les salaires de ces praticiens médicaux par rapport à leur niveau de qualification, et le niveau de vie pour leur garantir une vie digne.

Qu’en est-il du projet de la contractualisation ?

La contractualisation des actes médicaux ne peut pas se faire sans la révision du cadre réglementaire qui régit les assurances sociales dans notre pays. Ce problème dure depuis la promulgation de la loi en 1983.

Il faut régler la question de la nomenclature liée à la tarification des actes médicaux. Il y a des nomenclatures qui sont là depuis 1987 qu’il faudrait revoir.

C’est important pour assurer une plus grande efficience du rôle de l’assurance maladie et pour permettre de générer d’autres sources de financement soutenus du système de santé.

Les médecins généralistes réclament la valorisation de leur statut…

Un autre point concerne notre revendication qui dure depuis des années liée à la réhabilitation du médecin généraliste dans le système de santé. Cela passe par la mise en place de la médecine générale comme spécialité comme s’est fait dans la plus part des pays arabes, africains, en Amérique latine, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. On ne sait pas pourquoi cela ne s’est pas fait jusqu’à présent ici en Algérie.

Vous persistez à réclamer l’abrogation du service civil ? 

Nous avons toujours demandé l’abrogation progressive du service civil. Nous avons proposé qu’il y ait à la place des incitations matérielles, financières et fiscales, au profit des praticiens spécialistes pour leur permettre de s’installer dans les régions qui en sont en déficit, que ce soit dans le public ou dans le privé.

Cela nécessite une carte sanitaire étudiée et réfléchie pour assurer une couverture cohérente et équilibrée partout sur le territoire national. Cela passe par exemple, par des exonérations fiscales, des salaires pour le personnel recruté et une assiette de terrain cédée au dinar symbolique…

  • Les derniers articles

close