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France : les paradoxes de l’imam Hassen Chalghoumi

France : les paradoxes de l’imam Hassen Chalghoumi

Le paradoxe a été souligné assez tôt par le géo-politologue français Pascal Boniface, qui écrivait en 2012 à propos de l’imam Hassen Chalghoumi : « Assez curieusement, pour quelqu’un que les médias mainstream considèrent comme le meilleur représentant des musulmans – c’est dans tous les cas certainement celui qui est le plus invité et interviewé – il est très contesté parmi ceux qu’il est censé représenter »

Huit ans plus tard, l’imam de la mosquée de Drancy et président de la Conférence des imams de France est encore le plus sollicité par les médias français. Et toujours autant contesté.

Né en 1972 en Tunisie d’un père algérien et d’une mère tunisienne, Hassen Chalghoumi n’est « Français » que depuis une vingtaine d’années. Il a été naturalisé en 2000 après être arrivé dans l’Hexagone en 1996.

Chalghoumi a un parcours atypique. Il a quitté la Tunisie en 1992 pour multiplier les voyages ; en Turquie, en Syrie et à Lahore, au Pakistan, où il avait sa formation d’imam. Il s’est toujours défendu d’être « extrémiste », expliquant qu’au Pakistan, il avait fréquenté une école coranique soufie. Installé à Saint-Denis dans la région parisienne en 1996, il commence par des prêches dans les foyers de jeunes immigrés et s’engage dans le mouvement associatif.

À partir de 2006, Chalghoumi devient de plus en plus sollicité par les médias. Il est sur tous les plateaux télé, les colonnes des journaux lui sont ouvertes.

Il y développe un discours de tolérance, se faisant le porte-voix d’un « islam modéré ». Il est vrai que, depuis au moins 2010, il se montre ferme et sans équivoque dans la condamnation de la violence.

En octobre dernier, après l’assassinat de Samuel Paty, il s’en est pris à « l’islamisme radical » avec plus de véhémence que certains politiques français. « Nous sommes meurtris, nous condamnons cet acte barbare et disons que Samuel Paty est un martyr de la liberté. Cette barbarie n’a pas sa place, ni dans les écoles ni ailleurs en France. Même à Bagdad, même en Afghanistan ça n’existe plus, c’est une honte pour l’humanité », dénonce-t-il la décapitation du professeur d’histoire-géographie.

« Plus royaliste que le roi » ?

« L’islamisme est une maladie de l’islam, il faut le combattre. Les pays musulmans le combattent, l’islam politique est interdit dans certains pays, pourquoi chez nous on n’interdit pas l’islamisme ? Jusqu’à quand notre jeunesse va-t-elle payer ça ? », s’est-il en outre interrogé.

Sur presque toutes les questions, ses propos cadrent avec le discours ambiant. Voici ce qu’il disait, par exemple, sur la question du voile, en 2010 déjà. « Les extrémistes ont résumé l’islam, soit quinze siècles de savoir et de lumières, en un bout de tissu sur le visage, c’est indigne ». On n’hésite pas, et pas seulement chez les islamistes, à l’accuser d’être « plus royaliste que le roi ».

Dans le sillage de ses positions dans « l’affaire des caricatures », il reçoit « des milliers » de menaces de mort  et a demandé une protection policière.

Chalghoumi tient un discours modéré, c’est indéniable. Mais beaucoup ne comprennent pas qu’il soit ainsi mis en lumière au moment où il est loin d’être le seul en France à afficher ses distances avec l’islam politique et radical, soulignant le fait que la communauté musulmane de France recèle des sommités intellectuelles reconnues, regroupées dans divers collectifs et organismes, comme la Fondation de l’islam de France ou le Conseil français du culte musulman.

L’imam de Drancy est ouvertement contesté par une partie de la communauté musulmane dans son rôle de porte-parole. Une contestation qui se traduit entre autres par le lancement de pétitions dénonçant le statut qui lui est conféré. La dernière en date est intitulée : « Pour que Hassen Chalghoumi ne soit plus le porte-parole des musulmans de France ».

« Nous sommes beaucoup à ne lui trouver aucune légitimité. Ses prestations cathodiques ne rendent service à personne : ni aux musulmans qu’il ne cesse de dénigrer, ni à nos compatriotes puisqu’il ne fait qu’accentuer le fossé qui se creuse entre les différentes communautés. Nous aimerions donc que les médias cessent de l’inviter. Et qu’Hassen Chalghoumi arrête de parler au nom des musulmans », écrivent les initiateurs de la pétition qui a déjà récolté près de 50 000 signatures.

Des actions similaires avaient été menées à son encontre en 2010, puis en 2016. On peut bien penser que ses détracteurs se comptent exclusivement parmi les promoteurs d’un islam radical et violent. Eh bien non, parmi les signataires de la pétition, Bariza Khiari, ex vice-présidente du Sénat et surnommée un temps Madame Islam d’Emmanuel Macron.

« Une insulte à l’intelligence des Français musulmans »

« On n’en peut plus de voir ce type sur tous les plateaux, on n’en peut plus ! C’est un repoussoir ! Ras-le-bol ! On ne voit plus que lui ! On ne manque pourtant pas de jeunes islamologues éclairés ! On en a marre, c’est tout ! (…) Nous ne voulons pas être représentés par lui », déclare-t-elle à l’hebdomadaire Marianne.

Ou encore l’islamologue franco-algérien Ghaleb Bencheikh, voix très écoutée de l’islam modéré en France, qui déplore « une réelle incompréhension et une méprise, voire une humiliation ». « Sait-on qu’il a un effet repoussoir auprès des jeunes musulmans qui ne le considèrent nullement comme un modèle identificatoire ? (…) Cette atteinte à l’intelligence des Français musulmans et à leur dignité a assez duré », dénonce Bencheikh dans un entretien à TSA.

Chalghoumi est aussi connu pour son engagement précoce en faveur d’un rapprochement et d’un dialogue entre l’islam et les autres religions, notamment le judaïsme. Il a visité Israël à plusieurs reprises et a même comparé la violence islamiste à celle des Nazis. Mais, relève-t-on encore, il n’est ni le précurseur ni le promoteur exclusif d’un rapprochement des musulmans avec les juifs.

« (…) Il y a assez peu de gens qui prônent l’intensification de la guerre ou l’élargissement du fossé entre Palestiniens et Israéliens. Pourquoi dès lors l’imam Chalghoumi serait-il devenu le représentant du camp de la paix ? », s’interrogeait, toujours en 2012, le même Pascal Boniface.

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