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Gaz de schiste : « Il faudra qu’on nous explique pourquoi c’est nécessaire »

Gaz de schiste : « Il faudra qu’on nous explique pourquoi c’est nécessaire »

Le président Tebboune a relancé la polémique autour du gaz de schiste en déclarant « nécessaire » son exploitation. Qu’en pensez-vous ?

Professeur Lachemi Siagh, docteur en stratégie des organisations à HEC Montréal et financier international. Il faudra qu’on nous explique pourquoi c’est nécessaire. Pourquoi on ne prend pas le problème inverse qui suppose que nous n’avons pas de gaz de schiste, que faire ? Est-ce qu’éviter les emprunts extérieurs est une raison suffisante ? Non.

Nous devons mobiliser nos ressources internes en dynamisant notre marché financier local, en mettant en œuvre les moyens de mobiliser l’argent dans le secteur informel. Les emprunts étrangers sélectifs et destinés aux projets générateurs de devises ne doivent pas être exclus. La meilleure politique financière est celle qui utilise le levier pour ne pas compter uniquement sur le Trésor.

Des pays développés comme la France ou le Royaume Uni ont abandonné cette option en raison de ses incidences graves sur l’environnement. Comment expliquez-vous cet entêtement des dirigeants algériens ?

Des pays comme la France ou le Royaume-Uni ont formellement interdit l’exploitation du gaz de schiste parce que sur le plan scientifique il n’est pas formellement prouvé que la fracturation hydraulique n’endommage pas l’environnement. Ces pays ont conclu que le rapport coût/bénéfice ne valait pas la chandelle malgré les rentrées financières en taxes pour ces pays. Dans ces pays les ONG aussi veillent au grain.

Chez nous, les raisons de l’entêtement auquel vous faites référence seraient dues selon certains aux diverses pressions internes et externes que subit l’Algérie. Sur le plan interne, la consommation interne de gaz a presque atteint la moitié de ce que nous produisons. En même temps les réserves s’amenuisent et il n’y a pas eu d’investissements conséquents au cours des dernières années pour renforcer et consolider les réserves.

Sur le plan externe il y a un risque sérieux de perte de parts de marché. Les américains jadis importateurs en énergie sont aujourd’hui un net exportateur et démarchent nos clients traditionnels portugais, espagnoles et autres.

Par ailleurs, le Nigeria a investi massivement dans une flotte de méthaniers pour le transport de gaz liquéfié et cela sans parler de l’arrivée en Europe de nouveaux acteurs comme les Qataris et les Israéliens. Au demeurant, la concurrence est de plus en plus rude. Donc pour l’Algérie il s’agit d’honorer coûte que coûte les contrats à long terme avec ses clients et maintenir sa part de marché.

Sachant les coûts exorbitants que cette industrie implique, pensez-vous que son exploitation serait économiquement rentable pour le pays ?

L’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique est un procédé très coûteux : environ 10 millions de dollars par puits aux États-Unis. Chez nous, comme nous ne maîtrisons pas la technologie et que nous importons tout, il faudrait s’attendre à ce que les prix soient au moins de 15 millions de dollars par puits. Cependant, le grand problème réside dans la vitesse impressionnante de déplétion (épuisement) des puits. Comme il s’agit de poches de gaz par rapport à un champ conventionnel il faut effectuer une multitude de forages sinon la trésorerie de l’entreprise exploitante sera sévèrement affectée. Donc, plus on multiplie les forages plus on endommage l’environnement.

Ce qui serait économique pour le pays c’est de travailler sur un autre tableau. Pour dégager plus de quantités à l’exportation, il faudra s’attaquer au gaspillage et réduire sensiblement la consommation interne de gaz en interdisant les climatiseurs énergivores, en s’attaquant aux subventions à l’énergie en faisant payer le juste prix aux grands consommateurs et aux gens qui ont les moyens ; en substituant au gaz consommé localement, le solaire, l’éolien et autres énergies renouvelables en encourageant les gens à produire leur propre énergie et commercialiser l’excédent.

Quels sont les dangers encourus par l’exploitation du gaz de schiste ?

Les dangers sont multiples. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux États-Unis, notamment en Oklahoma, les tremblements de terre qui se produisent quotidiennement, les multiples cancers qui se propagent à cause de produits chimiques cancérigènes injectés dans le processus de fracturation hydraulique, la pollution des nappes d’eau, etc.

En ce qui concerne l’Algérie nous sommes encore traumatisés par les essais nucléaires à Reggane et autres essais bactériologiques effectués par la France au Sahara. Il ne faut pas que nous-mêmes nous polluions nos eaux souterraines par l’exploitation du gaz de schiste. N’oublions pas qu’une crise d’eau majeure guette l’humanité, nous compris. Nous disposons d’un des plus grands réservoirs d’eau douce au monde. Un jour cette eau vaudra plus cher que le gaz.

Laissons ce gaz aux générations futures que nous avons déjà privées du gaz conventionnel en attendant la mise au point de technologies avancées qui préservent l’environnement. Il semblerait, d’ailleurs, que les Britanniques aient mis au point une technique de fracturation à sec sans grand danger.

Ne soyons pas les cobayes. Attendons qu’elle fasse ses preuves. Et pour une fois comptons sur notre intelligence, notre créativité et nos compétences humaines pour sauver le pays et non de pérenniser la rente coûte que coûte.

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