Pour lutter contre la hausse des prix de huit produits de large consommation et la shrinkflation, l’Algérie a décidé de prendre une mesure radicale qui remet en cause la liberté des prix.
À l’approche du mois de ramadan 2024, le ministre du Commerce a multiplié les interventions et les mises en garde sur la question épineuse des marges parfois excessives qu’appliquent en Algérie des fabricants, des commerçants et des importateurs de produits finis. Tayeb Zitouni a promis de sévir et ses services sont passés aussitôt à l’acte en dégainant une nouvelle arme pour prévenir toute hausse des prix.
À Blida, où il était en visite lundi 19 février, le ministre s’est emporté devant les caméras en constatant les prix affichés pour le lait infantile importé. Il est, selon lui, vendu sur le marché algérien au double de son prix réel.
Début février, au cours d’une sortie à Alger, Zitouni avait soulevé le même problème de la hausse des prix dans le secteur des boissons, eaux minérales et sodas notamment.
Le ministre du Commerce avait trouvé les hausses injustifiées, rappelant que « tout est subventionné » en Algérie, de l’énergie aux différents intrants en passant par les investissements, qui bénéficient de nombreuses exonérations et incitations. À l’occasion, il avait annoncé que toute hausse des prix sera dorénavant soumise à consultation pour vérifier si elle est justifiée ou pas.
S’agissant du lait infantile, le ministre a rappelé qu’il est importé avec les devises de l’État, ce qui constitue une autre forme de subvention quand on sait que le différentiel entre les cours officiel et parallèle des monnaies étrangères est important.
Comme première action dans le sens d’une meilleure maîtrise des prix, les services du ministère du Commerce ont élaboré un engagement à faire signer aux fabricants et importateurs de huit produits de large consommation (le lait infantile, les sodas, les jus de fruits, les pâtes alimentaires, le café, le concentré de tomate, l’eau minérale, le lait en boite et la levure), de ne pas procéder à une hausse des prix ou au changement de la formule d’emballage qu’après consultation de la direction du commerce territorialement compétente, avec dépôt de la structure des prix.
Liberté du marché et inflation : l’Algérie face au dilemme des prix
L’intention de lutter contre les hausses des prix est sans doute louable dans un contexte marqué par le maintien de l’inflation à un niveau élevé, et au face aux incertitudes du marché international et de l’appétit vorace de certains opérateurs notamment les importateurs de se sucrer sur les dos des consommateurs algériens.
D’autant que les restrictions aux importations ont profité à certains producteurs et agriculteurs qui vendent leurs produits plus chers pour réaliser des marges indécentes. L’exemple de la pomme a décidé de ne pas importer pour favoriser la production locale est édifiant : ce fruit est devenu inaccessible à de nombreux Algériens en raison de son prix élevé.
Il est toutefois légitime de s’interroger si le ministère du Commerce détient tous les leviers lui permettant de généraliser l’interdiction de la hausse des prix qu’il envisage.
Élaborer et analyser une structure des prix des produits concernés par la mesure, qu’ils soient importés ou fabriqués localement, est une entreprise difficile pour l’administration.
La mesure peut être appliquée certes, mais le problème dans le temps de traitement des demandes des entreprises qui veulent augmenter les prix de leurs produits ou réduire la contenance de leurs emballages pour faire face à une hausse des coûts de production ou pour des raisons de marketing commercial.
Pour le reste, non seulement la régulation des prix est très difficile dans un marché censé être libre, mais elle est inutile, voire contreproductive. Les sodas, par exemple, sont un produit pas très bénéfique pour la santé et il n’appartient pas à l’État d’en encourager la consommation.
Le gouvernement devait au contraire inciter les producteurs à augmenter les prix pour réduire la consommation des sodas qui sont nocifs à la santé, de l’avis de nombreux médecins et spécialistes de la nutrition.
Le contrôle et le plafonnement sont du reste des mesures en porte-à-faux avec la liberté du marché et des prix, en principe définis par la règle universelle de l’offre et de la demande.
L’inflation constatée ces derniers mois en Algérie est due aux tensions sur les marchés internationaux de certains produits mais aussi à la faiblesse de l’offre sur le marché interne, ce qui favorise la spéculation.
L’autre facette invisible de la hausse des prix, c’est la réduction de la quantité vendue tout en gardant le même tarif. Le ministère du Commerce en fait état dans l’engagement à faire signer aux importateurs et producteurs.
La pratique est connue dans le monde entier. Le downsizing, ou shrinkflation, consiste à réduire le contenu d’un emballage (de 1 kilogramme à 900 grammes par exemple) tout en gardant le même prix.
Le consommateur ne s’en rend généralement pas compte mais la pratique est considérée comme légale du moment que le poids affiché sur l’emballage est réel et qu’il n’y a donc pas tricherie.
L’administration peut tout au plus exiger que la quantité, poids, nombre ou contenance soit facilement repérable et lisible sur l’emballage, et non écrite en taille minuscule comme c’est généralement le cas quand il y a downsizing.