search-form-close
La gouvernance par la peur : contre interview

La gouvernance par la peur : contre interview

CONTRIBUTION. J’avoue que cette contribution m’a été inspirée par la pseudo-interview, qui s’apparente plus à un tract de propagande qu’à un travail de journaliste que monsieur le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement a donné à un quotidien national privé en date du 13 février.

Cette pseudo-interview publiée dans un quotidien qui nous avait habitué à mieux, frise l’indécence journalistique et nous rappelle la période héroïque des interviews que donnaient les membres du comité central au temps du parti unique à la presse étatique.

Le temps où l’on disait que nos responsables politiques donnaient les réponses aux journaux en leur disant, tenez voici mes réponses, essayez de leur trouver les questions qui s’y adaptent.

Je ne manquerais pas de signaler qu’en même temps ce quotidien (et il n’est pas le seul) refuse catégoriquement de publier toute opinion qui  contredirait la feuille de route du pouvoir de peur de subir des représailles malheureusement bien réelles. Et là je parle en connaissance de cause…

Nous n’avons pas la prétention de dire que cette contribution se voudrait être une contre-interview de monsieur le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, mais nous pensons qu’il est du devoir de tout un chacun et de tout citoyen jaloux de son pays de rappeler quelques vérités qui mettent à nu les tentatives du pouvoir de se cacher derrière son petit doigt.

Dans cette tribune offerte avec complaisance à monsieur le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement aucun mot sur ce qui fait ou défait une nation à savoir les droits de l’Homme, l’indépendance de la justice, les détenus d’opinion…, etc. Rien.

On se rappelle tous la véritable crise frisant l’hystérie qui avait frappé nos dirigeants quand le parlement européen avait dénoncé il n’y a pas si longtemps le non-respect des droits de l’Homme dans notre pays. En dehors de la confusion que font nos dirigeants entre parlement et commission européenne, de l’éternelle rhétorique du danger extérieur qui nous guette, des pays qui nous jalousent… Qu’en est-il réellement des droits de l’Homme dans mon pays?

Censure d’internet, fermeture de médias et des journaux en ligne le plus souvent sans aucune décision de justice avec comme principal chef d’accusation avoir déplu au pouvoir en place. Médias publics, télévisions, radios complètement verrouillés.

À part les communiqués dithyrambiques louant la pertinence des actions du pouvoir en place et la vigilance de notre armée populaire nationale, je défie quiconque de trouver la moindre opinion contraire à la feuille de route tracée par nos dirigeants. Le nettoyage est parfait, invités triés sur le volet, journalistes ronronnant et complaisant, une véritable glaciation a figé les rédactions.

Après quelques velléités d’un printemps médiatique très éphémère, nous assistons impuissant à une fermeture totale de l’information et son contrôle quasi-totale par le pouvoir.

La peur plane dorénavant sur les rédactions. Même la presse privée jadis espace de liberté, tétanisée par les menaces financières qui pèsent sur elle, a fini par s’auto censurer et rentrer dans les rangs. La menace d’arrêter par simple fait du prince, l’octroi de la publicité étatique à un journal qui  ne plait pas, véritable arme de dissuasion massive a eu raison des plus récalcitrants.

Et si preuve il fallait, je citerais le cas d’un quotidien national francophone qui a eu le culot de s’interroger et en première page sur les soupçons d’enrichissement illicite des enfants de feu Gaïd Salah.

Le lendemain et sans aucune décision de justice, l’oukase est tombé : arrêt sine die de l’octroi de toute publicité étatique à ce quotidien qui a osé faire son travail d’information des Algériens. Et j’insiste sans aucune décision de justice, le fait du Prince c’est tout !!!

Avis aux amateurs, tel semblait être le message du pouvoir. Et apparemment ce message a été reçu cinq sur cinq par les intéressés, le paysage médiatique s’est complètement figé. Cette gouvernance par la peur s’est même traduite clairement dans cette pseudo interview par tout un paragraphe de menaces même pas voilées, égrenées  par monsieur le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement. Ce haut responsable reprend dans le détail une série d’articles du code pénal avec  les peines de prison, les amendes qui attendent tout citoyen qui voudrait user de son droit constitutionnel de manifester pacifiquement. Hallucinant, du jamais vu !!!

Le message  est clair au cas où des citoyens à l’approche de l’anniversaire du déclenchement du Hirak aurait l’idée saugrenue de vouloir manifester, ils sont avertis de ce qui les attends. Comment peut-on nous faire croire encore alors que les mosquées, restaurants, cafés etc, sont rouverts, que les manifestations publiques pacifiques garanties par la constitution constituent encore un danger pour les citoyens ?

Non, la raison est ailleurs évidemment. Grâce à cette pseudo-interview  on vient de connaître finalement les vraies raisons de cette interdiction et là je me permets de citer monsieur  de la communication et porte-parole du gouvernement : « Les résidus de l’ancien système escomptent un retour à l’aide des marches », rien que ça !!!

Ce sont les résidus de la issaba qui veulent réactiver le Hirak !!! Ça vaut ce que ça vaut mais ça a au moins le mérite de la clarté :  tous ceux qui voudraient réactiver le Hirak  seront assimilés à des résidus de la issaba et traités comme tel…

Le message est on ne peut plus clair. La réputation d’impartialité et d’indépendance de notre justice étant ce qu’elle est, ceci n’augure rien de bon pour les jours à venir.

Un fait caricatural de l’ineptie de notre système judiciaire est cet incroyable procès  du jeune étudiant Walid Nekiche. 

Comment peut-on passer du réquisitoire d’un procureur demandant la perpétuité contre un jeune étudiant a sa libération le lendemain car son dossier était  finalement vide !!! Cette inconsistance et cette légèreté de la justice nous fait  peur et devrait faire honte à la justice. Qui était derrière le réquisitoire du procureur et qui était derrière sa libération ? On ne le saura sûrement jamais.

Évidemment ceci n’intéresse ni notre ministre ni son pseudo -intervieweur qui n’en soufflent pas un mot sûrement trop occupés à menacer les hirakistes. Ce  jeune étudiant a passé néanmoins 14 mois de détention préventive  sans jugement. Sera-t-il indemnisé pour cet abus ? Plus grave encore, ce jeune a annoncé devant les juges avoir été torturé et  subi des sévices sexuels.

C’est vrai que sous la pression médiatique et des avocats le parquet a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire, mais nous n’avons entendu ni le président de la république, ni le premier ministre ni  monsieur le ministre de la communication porte-parole du gouvernement, ni le ministre de la Justice s’exprimer sur cette affaire d’une extrême gravité.

Même si l’affaire est en justice et sans s’exprimer sur le fond nos premiers responsables ont le devoir et l’obligation de communiquer, de rassurer, de s’engager à ce que toute la lumière soit faite et avec célérité sur cette ignominie. Cette accusation de torture et de sévices sexuels est d’une extrême gravité car elle interpelle le subconscient et la mémoire collective des Algériens marqués  par les affres du colonialisme et de la décennie noire.

Ces dérives si elles sont prouvées doivent être éradiquées à la racine. On a cité le cas de Walid Nekiche, mais des dizaines de citoyens, étudiants, journalistes croupissent dans les prisons du pouvoir pour délits d’opinions, le plus souvent sans jugement et dans des conditions abominables.

Évidemment de tout cela pas un mot de la part de notre vaillant journaliste intervieweur ou du ministre interviewé. Déformation professionnelle exige, je ne terminerais pas sans dire un mot sur la gestion de crise de La Covid-19. Il nous est dit dans cette interview que l’Algérie avait mené avec clairvoyance (sic) la gestion de cette crise.

Habitués a l’autosatisfaction béate de nos dirigeants je me contenterais de poser une question : pourquoi alors notre pays n’a jusqu’à ce jour reçu que 100 000 doses de vaccins alors que notre voisin le Maroc pour ne citer que lui a démarré sa campagne de vaccination avec sept millions de doses (oui  sept millions) et son projet de fabrication de ce vaccin localement est très avancé ? C’est cela la  clairvoyance ?

Pour ceux qui n’ont pas encore compris les intentions du pouvoir, le pseudo interview- de monsieur le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement aura au moins eu le mérite de nous confirmer une chose : l’ouverture démocratique n’est pas encore l’ordre du jour.

Nous venons d’apprendre en terminant cet article que le président de la république a décidé de libérer des dizaines de hirakistes. Ceci est une très bonne chose et nous nous en félicitons, surtout que Monsieur le porte-parole du gouvernement et ministre de la communication et jusqu’a ce jour n’avait cessé de déclarer mordicus qu’il n’y avait pas de détenus d’opinion chez nous. Le désaveu est on ne peut plus clair.

Mais pour que ceci ne soit pas  assimilé a une simple manœuvre de diversion destinée à désamorcer les velléités de reprise du hirak, d’autres mesures doivent impérativement suivre.

Notamment Libération de tous les détenus d’opinion sans exception, aucun algérien ne doit rester ou mis dorénavant en prison pour avoir exprimé de manière pacifique une opinion, aucun. Arrêt du harcèlement, de la censure et des tentatives de mise au pas de la presse.

Libération et ouverture des medias lourds étatiques financés avec l’argent du contribuable et devenus un outil de propagande du pouvoir. Séparation des pouvoirs et notamment engagement ferme du pouvoir politique de respecter l’indépendance de la justice …

Ceci me semble être un SMIG non négociable si le pouvoir veut un tant soit peu redorer son blason et faire adhérer les Algériens a ce qu’il appelle l’Algérie nouvelle. Je terminerais en paraphrasant Lavoisier pour dire que rien ne progressera, rien ne se créera en Algérie et tout risque de se déliter si nos dirigeants ne prennent pas conscience de cela.

 

*Professeur de chirurgie pédiatrique

[email protected]

 


Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

  • Les derniers articles

close