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L’affaire Sansal soulève un torrent de réactions en Algérie et en France

L’affaire Sansal soulève un torrent de réactions en Algérie et en France

Source : Facebook / Boualem Sansal
Boualem Sansal

La classe politique et intellectuelle française est divisée par rapport à l’arrestation en Algérie de Boualem Sansal qui est poursuivi pour atteinte à l’intégrité du territoire national.

En France, si l’extrême-droite est à fond derrière l’écrivain franco-algérien, beaucoup d’autres voix se montrent plus mesurées.

Parmi elles, celle du politologue Nedjib Sidi Moussa qui, depuis les propos qu’il a tenus sur France 5, est lynché par le courant extrémiste. Son tort est d’avoir mis en exergue les accointances avec l’extrême-droite de Boualem Sansal.

Dans un entretien publié ce jeudi 28 novembre sur Mediapart, Sidi Moussa est allé encore plus en profondeur dans son analyse de l’œuvre et du rôle de Sansal, et même de Kamel Daoud, l’autre écrivain franco-algérien qui présente beaucoup de similitudes avec Sansal.

Tout en réitérant qu’il n’applaudit pas l’arrestation et l’incarcération de l’écrivain en Algérie, le politiste pointe d’emblée du doigt la « récupération » dont fait l’objet l’affaire Sansal de la part de l’extrême-droite française.

En fait, la parole de l’écrivain est « prisonnière de contraintes sociales et culturelles qui le dépassent ».

Pour Nedjib Sidi Moussa, l’émergence sur la scène littéraire française de Boualem Sansal « répond à une demande, façonnée par l’industrie culturelle et l’idéologie ambiante, qui vise à conforter un regard colonialiste et suprémaciste sur l’Algérie et les Algériens ».

Sansal se distingue ainsi de la génération des Kateb Yacine, Mohammed Dib ou Mouloud Feraoun qui « portaient une exigence de dignité du peuple colonisé, et s’inscrivaient dans une dynamique de progrès ».

S’il ne lui dénie pas le droit de s’adresser en tant qu’écrivain algérien à un public français, le politologue reproche en revanche à Boualem Sansal de « brosser le chauvinisme français dans le sens du poil » et d’ « alimenter un discours de haine, de rejet d’une partie de la population perçue comme un ennemi intérieur par les droites extrêmes ».

Sansal et Daoud et « les guerres culturelles à la française »

Ce qui est regrettable dans cette affaire aux yeux de l’analyste politique, c’est le fait que des militants des droits de l’homme dépeignent l’écrivain comme un humaniste. « Or, son discours est tout sauf humaniste : il est raciste, colonialiste et réactionnaire » et il joue sur le fantasme de « l’islamisation de la France » et du « grand remplacement », reprenant ainsi les thèmes d’Éric Zemmour.

C’est cela qui intéresse ceux qui le soutiennent aujourd’hui et non le peuple algérien, puisqu’ils n’ont jamais exprimé de solidarité avec des militants algériens, ajoute-t-il.

Plus clairement, la figure de Boualem Sansal est utilisée par ceux qui « sont portés par un discours qui reprend les thèmes privilégiés des nostalgiques de l’Algérie française ».

Leurs enfants et petits-enfants, qui sont en train de prendre le relais, redoublent de férocité et réactivent « le racisme paranoïaque de l’Algérie française, avec le fantasme de la submersion migratoire, de la colonisation de la France par les immigrés… ».

Nedjib Sidi Moussa estime que Boualem Sansal et Kamel Daoud ont saisi un créneau porteur en France en ce moment, celui de « la haine, le rejet d’une partie de la population : les immigrés, particulièrement ceux d’origine algérienne, qui sont associés, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, au prolétariat, à la colonisation et à l’islam. »

Pour le politologue, Daoud et Sansal « ont été promus de manière stratégique pour mener les guerres culturelles à la française ». Et ils ne sont pas les seuls puisque, fait-il remarquer, il existe dans les médias français « tout un ensemble d’intervenants, d’éditorialistes, de chroniqueurs, fils ou filles de la diversité, qui servent l’agenda de la réacosphère ».

S’agissant de l’incarcération de Boualem Sansal, Sidi Moussa souligne que ce que les autorités algériennes, ainsi qu’une grande majorité de la population, n’ont pas toléré, « c’est la remise en cause de la souveraineté nationale ».

Affaire Sansal : le coup de gueule de Karim Zéribi

En France, l’extrême-droite profite de l’affaire Sansal pour s’attaquer une nouvelle fois, et avec une extrême virulence, à l’Algérie et aux Algériens.

Pour Karim Zéribi, ex-élu européen et fondateur du Conseil national de la diaspora algérienne (CMDA), a dénoncé l’instrumentalisation de l’arrestation par le courant extrémiste et anti-algérien en France.

« C’est Marine Le Pen (Rassemblement national) et Jordan Bardella (Rassemblement national) qui font des tweets. Tout d’un coup, ils aiment les Franco-Algériens. Mais ils aiment les Franco-Algériens quand ils crachent sur l’Algérie, quand ils diffusent la haine de l’islam et du musulman, c’est ce qu’ils aiment en Sansal. Ce n’est pas la plume de l’écrivain, ni la défense des libertés », a-t-il dénoncé sur Beur FM.

Le fondateur du CMDA dénonce une « instrumentalisation » et estime que Boualem Sansal « alimente un fonds de commerce qui est celui de l’extrême droite et d’une partie des pseudos intellectuels réactionnaires ».

Si Karim Zéribi est opposé à l’incarcération d’un « pseudo écrivain islamophobe », il propose à ce que l’Algérie lui interdise l’entrée sur son territoire et le déchoit de sa nationalité algérienne.

Abdelaziz Rahabi : le cas Sansal est « révélateur de l’Algérophobie »

Pour Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre algérien, le cas Sansal est « révélateur de l’Algérophobie ».

« L’Algérie valorise historiquement la souveraineté de sa décision plus que tout. Le système politique n’est ni démocratique ni despotique, mais SEULS les Algériens sont en droit et en capacité de le juger, de s’en accommoder ou de le réformer », a-t-il écrit sur le réseau social X jeudi 28 novembre.

Une réaction à ceux qui en France profitent de l’affaire Sansal pour s’attaquer à l’Algérie et traiter le pouvoir algérien de « dictature » et parfois même de « dictature islamiste ».

Dans un précédent tweet, Abdelaziz Rahabi a reproché à Boualem Sansal de « réhabiliter le récit colonial et ses contre-vérités historiques ». Pour lui, l’écrivain qui fait partie de l’extrême droite, « ne mesure pas à quel point il est irrespectueux du sentiment national. Il sait aussi que son arrestation le servira et desservira l’image de l’Algérie à l’étranger. »

El Moudjahid : Boualem Sansal a « franchi la ligne rouge »

Dans son éditorial publié jeudi et signé par son PDG Brahim Takheroubt, le quotidien gouvernemental El Moudjahid a expliqué les raisons des poursuites judiciaires engagées contre Sansal en Algérie.

« Rétablissons les faits sur Sansal. Contrairement à ce que prétend BHL (Bernard Henry-Lévy), il n’a jamais été inquiété pour ses écrits ou ses critiques acerbes contre les autorités algériennes. Libre de voyager, il a franchi la ligne rouge lorsqu’il a porté atteinte à l’intégrité territoriale de l’Algérie. Et d’ailleurs, le révisionnisme et l’antisémitisme ne sont-ils pas des délits punissables par la loi en France ? ».

Pour El Moudjahid, Boualem Sansal est un « révisionniste assumé ».

Frontière Ouest de l’Algérie : la réponse de l’historien Mohamed El Korso

Dans un entretien début octobre au média d’extrême-droite Frontières, l’écrivain franco-algérien avait soutenu que l’Ouest algérien appartenait historiquement au Maroc et c’est la France coloniale qui l’a octroyé « arbitrairement » à l’Algérie.

« Non, ce n’est pas vrai. C’est faux ! Dire et écrire que l’Ouest algérien est marocain, c’est aller à contre-courant de l’histoire et surtout faire preuve d’un manque d’éthique intellectuelle », répond sèchement l’historien Mohamed El Korso dans l’édition de ce jeudi 28 novembre du quotidien El Watan.

Mohamed El Korso fait partie du panel mixte d’historiens algériens et français chargés de travailler conjointement sur les questions mémorielles. Les travaux de la commission sont gelés depuis le déclenchement de la crise en cours entre Alger et Paris.

L’historien souligne que les visées expansionnistes marocaines remontent à très loin dans le temps, à 1591 précisément, sous le sultan Moulay Ahmed El Mansour.

Cet expansionnisme a connu un regain après l’indépendance de l’Algérie et s’est concrétisé, par ailleurs, par l’occupation du Sahara occidental en 1975.

Dans son argumentaire, El Korso rappelle que le pouvoir de l’Émir Abdelkader, suite à l’accord de la Tafna, « s’étendait sur les deux tiers de l’Algérie du Nord » et l’Émir a édifié des villes forteresses pour combattre l’armée coloniale française, à Tlemcen et à Sebdou, « une de ses garnisons située à un jet de pierre de Oujda ».

Juridiquement, cette question a été définitivement réglée en juin 1972, par la signature d’une convention mettant fin aux revendications du Maroc sur le Sahara algérien.

Ce qui se cache en fait derrière « ces affirmations qui n’ont aucun sens », c’est, estime Mohamed El Korso, « effectivement cette aspiration colonialiste du Maroc qui a de tout temps existé ».

« Revenir sur cette question déjà tranchée, cela équivaut à re-détricoter toute l’histoire », ajoute-t-il, estimant qu’on ne peut imaginer un tel débat qui « remettrait en cause les frontières existantes en Europe ». « Ce serait l’implosion dans ce continent », dit-il.

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