Grand exportateur d’hydrocarbures, notamment de gaz, l’Algérie veut maintenir sa position sur la carte énergétique mondiale du futur en misant sur d’autres énergies, comme l’électricité propre et l’hydrogène vert.
Un premier grand projet concret pour l’exportation de cette énergie, le « south2 Corridor » est d’ores et déjà mis en branle pour fournir au moins trois pays d’Europe occidentale : l’Autriche, l’Italie et l’Allemagne.
Pour l’Algérie, la stratégie est claire : devenir un « hub énergétique pour l’Europe », nécessite une diversification des ressources, et surtout, ne pas tout miser sur les énergies fossiles, de plus en plus bousculées par la transition énergétique mondiale.
L’hydrogène vert, élément de cette transition énergétique, constitue un enjeu stratégique mondial. De nombreux pays pétroliers et gaziers du Golfe misent aussi sur cette énergie propre en investissant des sommes colossales.
L’Algérie est un fournisseur important d’énergie pour l’Europe. Elle est notamment le premier fournisseur de gaz pour l’Italie et l’Espagne. Ses livraisons pour l’Italie, et de GNL pour la France, ont été sensiblement augmentées après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 et la volonté de l’Europe de s’affranchir de sa dépendance aux hydrocarbures russes.
C’est dans le sillage des discussions avec l’Italie pour renforcer la coopération énergétique entre les deux pays que l’idée d’un corridor transportant également de l’hydrogène algérien vers l’Italie a germé.
Lors de la visite de Première ministre de l’Italie, Giorgia Meloni, en Algérie, en janvier 2023, il a été convenu, avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, de relancer le vieux projet d’un deuxième gazoduc reliant les deux pays via la Tunisie et la Sardaigne, le Galsi.
Avec toutefois une grande nouveauté : le gazoduc ne transportera pas que du gaz mais sera multifonctionnel en étant conçu pour acheminer d’autres formes d’énergie comme l’électricité ou l’hydrogène vert.
L’Algérie dispose d’un énorme potentiel dans cette énergie propre et, de par sa proximité avec l’Europe et sa réputation de fournisseur fiable, d’autres pays du vieux continent ont manifesté leur intérêt pour l’hydrogène algérien.
En juin 2023, Giorgia Meloni et le chancelier allemand, Olaf Scholz, ont fait savoir, au cours d’une rencontre à Rome, qu’ils collaboraient avec la Commission européenne pour soutenir le projet du SoutH2 Corridor, qui connectera à l’avenir les flux d’hydrogène vert de l’Italie, de l’Allemagne et de l’Autriche.
Il s’agit d’une dorsale de 3 300 kilomètres capable de transporter 4 millions de tonnes d’hydrogène par an.
Plusieurs groupes européens sont engagés dans le projet, comme les Italiens SNAM et ENI, l’Allemand Bayernets et les Autrichiens TAG et GCA. Le SoutH2 Corridor a été retenu comme projet d’Intérêt Commun (PIC) par l’Union européenne et une vingtaine d’entreprises prennent part au développement de ses différentes phases.
L’hydrogène vert pour rester le principal fournisseur d’énergie de l’Europe
En février dernier, la visite en Algérie du vice-chancelier allemand, Robert Habeck, a été l’occasion pour les deux parties de signer un premier plan d’action et de s’entendre sur un projet expérimental de 50 mégawatts à Arzew, dans la wilaya d’Oran.
Ce corridor « incarne le principe de l’approche d’un partenariat basé sur les intérêts communs dans le cadre du plan Mattei et le souci de diversifier les ressources énergétiques pour une durabilité dans la Méditerranée », a déclaré, à propos du SoutH2, le responsable du bureau Maghreb au ministère italien des Affaires étrangères, mercredi 5 juin, au cours d’une rencontre organisée par l’Alliance des agences de presse méditerranéennes (AMAN).
« Actuellement, nous œuvrons à concrétiser notre stratégie et ce genre de partenariat avec le lancement des études techniques de ce projet ambitieux », a-t-il ajouté.
Cependant, l’Europe, qui prévoit l’importation de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert à partir de 2030 dans le cadre du plan REPowerEU, ne regarde pas que vers l’Algérie, qui, évidemment, n’est pas seule à vouloir développer la filière.
La diversification des ressources à la lumière de la transition énergétique est aussi le souci des mastodontes pétroliers du Golfe, aux moyens financiers illimités.
Les pays du Golfe, concernés au premier plan par le changement climatique, font « pivoter leurs économies pour mieux répondre aux défis du futur » et « diversifient leurs économies pour sortir de la rente pétrolière », signale le spécialiste franco-algérien de cette région, François Aissa Touazi.
Dans un article paru dans le journal français La Tribune en mai dernier, l’analyste a livré quelques chiffres liés à cette transformation de la région portée par « des investissements massifs » dans les énergies renouvelables, les technologies propres et l’innovation numérique.
A titre d’exemple, l’Arabie saoudite ambitionne de devenir le leader mondial de l’hydrogène et a lancé la réalisation du plus important site de production d’hydrogène vert au monde.
François-Aissa Touazi note que les dix premiers fonds souverains du Golfe, qui cumulent 4.500 milliards de dollars d’actifs, soit 40% des capitaux souverains mondiaux, « ont déjà intégré les opportunités liées à la croissance verte et aux changements climatiques dans la gestion de leurs actifs » en étant les principaux investisseurs souverains dans le domaine en 2023.
C’est que, comme le souligne M. Touazi, l’hydrogène vert à un potentiel de développement « spectaculaire » : un million de tonnes actuellement, 90 millions en 2030 et 450 millions de tonnes en 2050.
L’Algérie veut devenir un « acteur énergétique majeur »
L’Algérie a entamé à temps la diversification de ses ressources pour ne pas se faire distancer dans la course vers cette énergie du futur. Il lui faudra toutefois songer à diversifier ses marchés pour éviter de se retrouver dans une situation de trop forte dépendance du sud de l’Europe dont elle dépend actuellement pour écouler son gaz.
Il ne faudra pas perdre de vue que les Européens eux-mêmes se sont tournés vers l’Algérie et les pays du sud lorsqu’ils ont été échaudés par les conséquences de leur dépendance aux hydrocarbures russes dans le sillage de la guerre en Ukraine.
Le 29 avril à Turin en Italie, lors de la Conférence ministérielle du G7 sur le climat, l’énergie et l’environnement, l’Algérie a affiché ses ambitions devenir un acteur majeur énergétique au plan régional et un « hub énergétique à travers plusieurs mégaprojets ambitieux ».
« L’Algérie possède des atouts importants pour devenir un acteur majeur sur le plan régional dans ce domaine, et ce, grâce à ces capacités en matière d’énergie solaire », a déclaré le ministre de l’Énergie et des mines, Mohamed Arkab, lors de cette conférence.
Tout en cherchant à développer l’hydrogène vert et l’électricité propre, l’Algérie n’abandonne pas le gaz, puisqu’elle compte porter sa production à 200 milliards de m3 durant les cinq prochaines années contre 105 milliards en 2023.