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L’Algérie veut « rééquilibrer » ses relations économiques avec la Chine

L’Algérie veut « rééquilibrer » ses relations économiques avec la Chine

Sidali Djarboub / NEWPRESS
Le chantier de la grande Mosquée - Les entreprises chinoises ont quasiment tout raflé, ne laissant que des « miettes » aux concurrents.

« Excellentes », c’est le qualificatif utilisé traditionnellement par les responsables gouvernementaux algériens à propos des relations avec le partenaire chinois. Nos dirigeants, comme beaucoup de leurs homologues notamment sur le continent africain, semblent, de longue date, apprécier particulièrement le fait que les autorités chinoises ne tentent pas d’imposer leur façon de voir le monde.

C’est sans doute une des raisons essentielles du succès et de la popularité des entreprises chinoises auprès de beaucoup de gouvernements et de pays de la région. La seule problématique qui semble intéresser les dirigeants chinois est d’ordre économique.

Dans la période la plus récente, on note cependant un changement de ton. D’une manière qui ne constitue certainement pas une coïncidence, plusieurs ministres algériens se sont exprimés clairement au cours des dernières semaines en faveur d’un « rééquilibrage » de la relation économique avec le partenaire chinois en manifestant même une certaine impatience dans ce domaine

C’est ainsi que pas plus tard que mardi dernier? le ministre algérien de l’Industrie et des Mines, Youcef Yousfi, a exprimé la volonté du gouvernement de voir davantage de projets d’investissements chinois en Algérie.

En recevant l’ambassadeur de Chine en Algérie, Yang Guang Yu, le ministre algérien a souhaité voir les entreprises chinoises investir dans différents secteurs, dont notamment ceux du textile, la sidérurgie, l’électronique et les mines. De façon très significative, M. Yousfi a appelé à « une accélération des discussions en cours sur certains projets de partenariat ».

Le 21 septembre, c’est le ministre de l’Agriculture, Abdelkader Bouazghi qui a « exhorté les opérateurs économiques des deux pays à profiter (…) du partenariat stratégique qui lie l’Algérie à la Chine depuis 2014 et à saisir les opportunités qu’offre l’initiative chinoise ‘la Ceinture et la Route’, lancée par le président chinois ».

Enfin, le 7 septembre à Alger, en recevant l’ambassadeur de Chine en Algérie, le ministre du Commerce Mohamed Benmerradi l’avait invité à contribuer à l’augmentation du quota des exportations vers la Chine des produits algériens hors hydrocarbures.

La Chine premier fournisseur de l’Algérie

Ces différentes déclarations interviennent alors que les chiffres du commerce extérieur algérien confirment que la Chine est devenue depuis 2013 un solide premier fournisseur de l’Algérie. C’est ainsi qu’au cours des 8 premiers mois de 2017, la Chine est encore en tête de ce classement avec près de 6 milliards de dollars (19,4% des importations algériennes), précédant désormais de très loin la France avec 2,8 milliards de dollars (9%).

En 2016, la Chine avait gardé sa position de premier fournisseur de l’Algérie, avec une part de marché de près de 18% et 8,4 milliards de dollars d’exportations, selon les chiffres officiels des Douanes algériennes.

Commentant ces évolutions, le président de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie, Laid Benamor, notait voici déjà quelques mois : « La Chine exporte beaucoup en Algérie, mais en revanche, elle ne nous achète rien ou quasiment rien. Elle est loin d’être le premier investisseur malgré la présence de 790 entreprises chinoises en Algérie ».

Des dizaines de milliards de dollars de contrats publics

La Chine ne fait pas seulement de bonnes affaires commerciales avec l’Algérie. Les entreprises chinoises sont également, depuis plus d’une décennie, les premières bénéficiaires des gigantesques programmes d’investissements publics lancés par le gouvernement algérien.

Depuis les autoroutes et les aéroports jusqu’aux programmes de logements publics en passant par le chantier de la grande Mosquée, les entreprises chinoises ont quasiment tout raflé en ne laissant que des « miettes » aux concurrents. Des contrats qui se chiffrent sur la décennie écoulée à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

C’est ainsi que de janvier 2005 à juin 2016, la Chine a obtenu 29 contrats en Algérie pour une valeur totale de 22,2 milliards de dollars, selon les données de China Global Investment Tracker, un site d’intelligence économique mis en place par la très conservatrice Heritage Foundation, pour mesurer la présence chinoise dans le monde. Ces contrats obtenus en moins d’une décennie ont fait de l’Algérie le deuxième marché le plus important pour la Chine dans la zone Mena, précise la fondation américaine.

Des contrats qui ne constituent bien sûr pas des « investissements » réalisés par les entreprises chinoises qui déménagent leurs bases de vie et rapatrient la main-d’œuvre dès que le chantier est terminé. Ajoutons que ces contrats, qui ont eu la faveur des autorités algériennes depuis plus de 10 ans, ont en outre la particularité d’utiliser le plus souvent une main-d’œuvre presque exclusivement chinoise, ce qui renseigne sur le « transfert de savoir-faire » qui s’effectue à l’occasion de leur réalisation.

Vers la fin d’une relation économique à sens unique ?

Même si les autorités algériennes ont pris conscience tardivement du caractère déséquilibré de la relation avec le partenaire chinois, elles ont commencé à le lui faire savoir depuis quelque temps déjà.

C’était notamment l’objectif non officiel d’une visite effectuée en Chine au printemps 2015 par Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre. Ce n’est pas non plus un hasard si un personnage aussi important que le président du Conseil chinois pour la promotion de la coopération Sud-Sud, Lu Xinhua, avait effectué en octobre 2015 une visite en Algérie. La Chine « forte de ses 4 000 milliards de dollars de réserves de changes, est prête à financer des projets d’investissement en Algérie », avait déclaré à Alger M. Lu lors d’une rencontre entre hommes d’affaires chinois et algériens.

« Il faut aller au-delà du simple commerce », avait plaidé à cette occasion Ali Haddad, président du FCE, en estimant que l’Algérie doit constituer « un tremplin stratégique et dynamique pour aller vers l’Afrique ».

Quelles pistes pour les investissements chinois ?

Pour beaucoup de spécialistes de ce dossier, le développement des relations commerciales dans le domaine agricole ne semble pas une piste très crédible et susceptible de générer des flux commerciaux significatifs.

Souhaités explicitement par les autorités algériennes, des investissements chinois en Algérie dans le domaine des industries manufacturières suscitent également un certain scepticisme et expliquent sans doute l’impatience exprimée récemment par des responsables gouvernementaux algériens.

Les investissements dans le domaine minier paraissent en revanche certainement envisageables et cadrés avec la stratégie internationale des investisseurs chinois mais à l’image du projet d’exploitation des ressources du gisement de Ghar Djebilet, qui reste pour l’instant au stade des études de faisabilité.

Pour l’heure, la piste la plus prometteuse et la plus réaliste en matière de rééquilibrage des relations économiques entre l’Algérie et le partenaire chinois semble donc se situer dans le domaine de la réalisation et de la gestion des infrastructures économiques.

Priorité aux investissements dans les infrastructures économiques

Dès le début de l’année 2016, l’ancien ministre du Commerce, Belaib Bakhti, annonçait dans ce domaine une nouvelle stratégie des autorités algériennes en déclarant que l’Algérie pourrait faire une entorse à la sacro-sainte règle de l’interdiction de l’endettement extérieur au profit de nos « amis chinois ».

Selon le ministre, il s’agissait d’« une exception que compte faire l’Algérie, vu les faibles taux d’intérêt appliqués par la Chine et la qualité des relations entre les deux pays ».

Le projet évoqué par Belaib Bakhti concernait le futur port du centre du pays. Considéré comme l’un des plus grands projets en Algérie, le port d’El Hamdania à Tipaza sera destiné au transport de marchandises après son raccordement aux réseaux ferroviaires et aux autoroutes, l’habilitant ainsi aux échanges commerciaux avec l’Afrique.

D’un coût estimé à 3,3 milliards de dollars, cette infrastructure portuaire doit être financée dans le cadre d’un crédit chinois à long terme mais également gérée par un opérateur chinois ( Shanghai Port) dans le cadre d’un partenariat avec une entreprise publique algérienne .

La concrétisation de ce projet semble rencontrer quelques difficultés. Le ministre des Travaux publics et des Transports, Abdelghani Zaalane, lors d’une visite sur le site, a annoncé que « des mesures ont été prises récemment par le gouvernement pour réunir toutes les conditions nécessaires au lancement de ce projet vital dans les plus brefs délais ».

Le ministre soulignait la nécessité « de suivre avec vigueur toutes les étapes et mesures prises pour le lancement du projet dans les meilleurs délais, et ce au vu de l’importance du port qui est appelé à devenir un pôle de développement industriel, économique et logistique du pays ».

Ce modèle de financement et de gestion des infrastructures économiques pourrait fort bien être étendu à la réalisation de nouveaux équipements en soulageant ainsi le budget de l’État qui risque d’en avoir grand besoin au cours des prochaines années.

Mais notons quand même que nos « amis chinois » gardent les pieds sur terre. Les financements des trois banques de développement et des Fonds d’investissement chinois qui gèrent une partie des immenses réserves de change du pays sont conditionnés par l’attribution des marchés aux entreprises chinoises et aux services et fournitures de biens chinois pour les besoins du projet.

Sans stratégie de partenariat du côté algérien, le recours à ce type de financement fait donc augmenter les importations et accroît notre dépendance technique et financière si ces projets ne sont pas mis à profit pour capitaliser le savoir-faire local.

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