search-form-close
Le « plan Ouyahia » fait peur aux économistes algériens

Le « plan Ouyahia » fait peur aux économistes algériens

À la veille du vote et des explications du Premier ministre qui doivent intervenir jeudi 21 septembre à l’APN, la quasi-totalité des commentaires spécialisés sur le plan d’action du gouvernement Ouyahia soulignaient au cours des derniers jours l’importance du risque d’un dérapage inflationniste majeur engendré par le recours, qui pourrait être massif, à la planche à billets dans le but de financer les dépenses de l’État.

Au nombre de ces réactions très nombreuses et quasi unanimes on peut citer, parmi les plus récentes et les plus mesurées, celles d’un ancien Premier ministre. Ahmed Benbitour mettait en garde, hier sur TSA Direct, contre « le risque d’une inflation importante comme en Serbie et en Turquie ».

| LIRE AUSSIPlanche à billets : Benbitour met en garde contre un grave dérapage inflationniste

« Le financement monétaire ronge le pouvoir d’achat et la valeur du dinar algérien », avertissait de son côté ce matin-même Abderrahmane Benkhalfa sur les ondes de la Radio nationale.

Alexandre Kateb, ancien membre de la task force de Sellal est dans le même registre. Il signalait dans une communication rendue publique cette semaine que « le risque inflationniste généré par le recours à un financement monétaire du déficit public, et par le recyclage des liquidités ainsi créées, y compris dans la sphère informelle sous forme de monnaie fiduciaire, est bien réel ».

Quant à Abderahmane Mebtoul, il n’écrivait pas plus tard qu’hier : « La planche à billets (solution de facilité) sans contreparties productives, va provoquer une épargne forcée au détriment des revenus fixes qui verront inéluctablement la réduction de leur pouvoir d’achat, prenant ainsi la forme d’un impôt indirect ».

Dans un registre moins mesuré, un ancien ministre du Budget, Ali Benouari, avertit depuis plusieurs mois sur l’accélération de l’avènement d’un « scénario à la vénézuélienne » tandis que le secrétaire général du RCD, M. Mohcène Belabbés estime que « l’impression des billets de banque pour régler les dettes de l’État et poursuivre la gestion de l’économie par la commande publique, conduira à l’appauvrissement de tout citoyen réclamant la liberté ».

Ouyahia écarte le risque de dérive inflationniste

Face à cette pluie de critiques et ces avertissements multiples, la rhétorique nationaliste du Premier ministre sur « le refus de l’endettement extérieur et la préservation de la souveraineté du pays » est de toute évidence complètement hors sujet s’agissant du risque de dérapage inflationniste.

La vraie réponse du gouvernement Ouyahia tient en réalité en un seul engagement formulé en introduction au plan d’action : « Des financements non conventionnels seront mis en œuvre à titre exceptionnel. En parallèle, l’État poursuivra sa feuille de route pour la rationalisation des dépenses publiques en vue de la restauration de l’équilibre budgétaire dans un délai de cinq années. Conduites ensemble, ces deux démarches écarteront le risque de toute dérive inflationniste ».

Aucun chiffre sur la nouvelle trajectoire budgétaire

M. Ouyahia, dans son discours prononcé dimanche dernier devant les députés, a semblé confirmer, volontairement ou pas, à travers les quelques chiffres qu’il a mentionnés, la mise en œuvre de la planche à billets, dans une proportion massive au moins dans une première étape. La question économique essentielle posée par le plan d’action du gouvernement se déplace donc désormais vers le contenu de la « nouvelle trajectoire budgétaire sur cinq années » évoquée par le Premier ministre

Or et c’est encore Alexandre Kateb qui le souligne : « Le plan d’action présenté par le gouvernement Ouyahia ne précise pas la nouvelle trajectoire budgétaire retenue en vue de la restauration de l’équilibre budgétaire dans un délai de cinq ans ». L’expert algérien ajoute que « la crédibilité d’une trajectoire de redressement budgétaire, surtout lorsque le déficit est financé par de la création monétaire, repose en premier lieu sur la transparence et la communication tant auprès de la population et des opérateurs économiques et financiers domestiques, qu’auprès des partenaires étrangers ».

« Attention à ne pas trop ouvrir les vannes »

Ce matin-même à la Radio nationale, Abderrahmane Benkhalfa, qui n’a pas la réputation d’un opposant systématique, était sur la même longueur d’onde et plaidait à l’occasion d’une intervention très riche et très dense sur le caractère essentiel d’une démarche économique qui maintienne « 2 fers au feu ». C’est-à-dire, « les financements non conventionnels mais aussi et surtout la poursuite nécessaire de l’ajustement économique entamé depuis 2015 ».

L’ancien ministre de l’Économie du gouvernement Sellal exprimait un sentiment aujourd’hui largement partagé par de nombreux professionnels de l’économie et ne cachait pas son inquiétude. Comme beaucoup d’experts algériens, il « n’a jamais eu aussi peur pour l’avenir de notre économie qu’au cours de ces dernières semaines » et regrette une « focalisation excessive » du débat public sur le financement monétaire de l’économie « qui doit rester une exception » et qui selon lui « ne devrait pas être envisagé pour une période de plus de 3 ans ». Benkhalfa presse le gouvernement de mettre en place au cours de cette période des « garde-fous » et à faire attention à « ne pas trop ouvrir les vannes ».

Le financement monétaire et l’aisance financière artificielle qui va en découler sont de très mauvaises conseillères, suggère en substance Benkhalfa qui invite le gouvernement à se reconcentrer sur l’essentiel. « N’arrêtons pas le chantier de l’inclusion de l’économie par des mesures exceptionnelles. Le financement non conventionnel est une exception et il faut revenir à la règle qui est de rechercher inlassablement des financements conventionnels et de continuer à bancariser l’économie ».

Ahmed Ouyahia, déjà en campagne électorale ?

Tout le monde a bien compris : Ahmed Ouyahia se donnait désormais cinq ans pour rétablir l’équilibre des finances du pays. Ce nouveau délai n’est pas en soi une véritable source d’inquiétude pour deux raisons essentielles.

La première tient aux prévisions contenues dans la première mouture de la trajectoire budgétaire 2016-2019 qui se sont avérées exagérément optimistes notamment en matière de « freinage du TGV des dépenses publiques ». Ces dernières ont continué, en 2016 d’abord, et cette année encore, à alimenter un déficit budgétaire qui recule beaucoup moins vite et moins facilement que prévu.

La deuxième c’est que Ahmed Ouyahia semble sur ce chapitre, une fois n’est pas coutume, marcher sur les traces du FMI lui-même qui déconseillait au printemps dernier une réduction « trop abrupte » des déficits internes et externes dans ses recommandations adressées aux autorités algériennes.

Le problème c’est qu’en l’absence de précisions supplémentaires et d’engagements précis sur les objectifs des prochains exercices budgétaires en matière de dépenses et de recettes, le ton et les propos tenus par le Premier ministre jusqu’ici ressemblent à s’y méprendre à un lancement précoce, près de 20 mois avant l’échéance, de la campagne électorale pour les élections présidentielles d’avril 2019.

| LIRE AUSSIPlan d’action d’Ouyahia : un programme électoral pour préparer 2019

Dans ce dernier cas de figure, ce ne serait pas seulement deux nouvelles années de perdues mais surtout deux années qui risquent d’aggraver considérablement les maux dont souffrent déjà l’économie algérienne.

  • Les derniers articles

close