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Le pouvoir organise la présidentielle, le Hirak imperturbable

Le pouvoir organise la présidentielle, le Hirak imperturbable

Des jeunes, la vingtaine, qui se lèvent très tôt et s’en vont faire la queue devant les bureaux de vote pour glisser un bulletin dans l’urne, même les plus acharnés partisans de l’élection n’en ont pas rêvé.

C’est pourtant ce qu’ont montré les chaînes de télévision dès les premières heures de la matinée, puis tout au long de cette journée du jeudi 12 décembre 2019, jour de l’élection présidentielle algérienne.

Des citoyens ordinaires ont voté aux quatre coins du pays, c’est certain, mais il est difficile de croire qu’ils l’ont fait dans les proportions annoncées par les médias officiels.

À Alger, les anti-élections se sont fait entendre bruyamment. Au moment où les centres de vote demeuraient désespérément vides, les rues du centre-ville étaient noires de monde. Une journée du Hirak est improvisée et la police a dû laisser faire après avoir tenté d’empêcher le rassemblement des premiers manifestants dans la matinée. La très forte mobilisation des citoyens –ils étaient au bas mot des dizaines de milliers en fin de journée – peut laisser penser que rien n’est réglé et que le Hirak se poursuivra avec la même intensité, quel que soit le taux final qui sera annoncé et le nom du vainqueur.

À 11h, le taux de participation était de près de 8%. Il monte à plus de 20% à 15h. C’est l’Autorité électorale qui le dit. Mohamed Charfi, celui qui il y a quelques jours estimait que les marcheurs favorables à la tenue de l’élection étaient bien plus nombreux que ceux qui s’y opposent, est tout fier de constater que son appréciation était juste et se confirme par une participation « appréciable ».

Que les citoyens ont été plus nombreux à se rendre aux urnes que lors du scrutin de 2014, le dernier de Bouteflika, à la même heure, ou encore que l’engouement constaté rappelle la présidentielle de 1995 qui a vu l’élection de Liamine Zeroual. Et que tout se déroulait normalement dans 95% des bureaux de vote. Là, il disait vrai, ou presque.

Dans toute la Kabylie, soit dans deux grandes wilayas et en partie dans quatre autres, non seulement les bureaux n’ont pas fonctionné normalement, mais ils n’ont pas ouvert. En Kabylie, c’est zéro vote. Même les jeunes bidasses ne pouvaient pas le faire puisque la loi électorale a supprimé les bureaux spéciaux pour les corps constitués. Pour voter, il faut se rendre dans un bureau de vote, or à Tizi-Ouzou, Béjaïa et d’autres localités de la région, les bureaux ont été fermés par la population, quand ils ne sont pas saccagés.

Et ailleurs donc ? Les images partagées sur les réseaux sociaux ne décrivent pas un fort engouement, mais ce sont celles diffusées par les médias proches du pouvoir qui trahissent le plus la désaffection populaire. Des images de citoyens ordinaires se bousculant à l’ouverture des portails des écoles, comme justement « en 1995 », il n’y en a pas eu.

Sinon les habituelles scènes protocolaires. Le chef de l’État d’abord, puis les candidats qui votent sous le crépitement des flashs avant de se fendre d’une petite déclaration. Le plus attendu est Azzeddine Mihoubi, bien sûr. Dans sa langue de bois habituelle, celui qu’on présente comme le candidat du pouvoir, donc forcément le vainqueur du scrutin, se félicite que la volonté du peuple s’apprête à se concrétiser.

Abdelmadjid Tebboune, son prédécesseur au statut de favori des « décideurs », fait lui aussi une petite déclaration, mais se mêle les pinceaux en rappelant, à l‘adresse des émigrés, que le 11 décembre 1960, leurs frères étaient « jetés dans la Seine ». Ce triste événement a bien eu lieu, mais le 17 octobre 1961.

Dans les bureaux de vote, on a aussi vu des revenants. Karim Younès, l’homme qui est à l’origine de ce processus électoral en présidant de l’instance de dialogue et de médiation l’été dernier, où encore Yazid Zerhouni, l’ancien ministre de l’Intérieur qui, pendant les dix premières années de Bouteflika au pouvoir, organisait les scrutins et annonçait lui-même les résultats dans un arabe approximatif.

Mais la surprise, la vraie, est venue d’un bureau de vote d’El Biar quand le dernier des Bouteflika, Nacer, est venu donner sa voix et celle de son frère, Abdelaziz, par procuration. L’ancien chef de l’État, celui qui a été emporté en avril dernier par le Hirak, n’a peut-être pas de préférence entre les cinq postulants, mais il a tenu à choisir son camp. Celui des votants.

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