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Lutte anti-Covid en Algérie : « Oui pour le durcissement des mesures barrières »

Lutte anti-Covid en Algérie : « Oui pour le durcissement des mesures barrières »

Le Docteur Adel Boudahdir est le chef du service réanimation du CHU de Blida. Dans cet entretien, il donne les raisons de la flambée du Covid-19 en Algérie, évalue l’efficacité des mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le coronavirus, etc…

On assiste à une recrudescence de la pandémie de Covid-19 à l’échelle nationale. À quoi est-elle due, selon vous ?

Dr Adel Boudahdir, chef du service réanimation du CHU de Blida : Effectivement, on assiste ces jours-là à une recrudescence prévisible des cas graves et des cas moins graves de Covid-19. Cette augmentation est constatée sur le plan local (Blida) et surtout sur le plan national. La cause est évidente. D’abord c’est le déconfinement partiel et c’est pour cela qu’on peut dire qu’il s’agit d’une recrudescence prévisible. Elle est surtout en rapport avec le non-respect des mesures barrières. Une partie de la population a cru et croit que la pandémie est finie et donc la vie peut reprendre normalement. Les fêtes et les funérailles jouent toujours un rôle dans l’apparition des cas familiaux. Il y a aussi la reprise de l’activité commerciale sans le respect des mesures de la part des clients et même des commerçants. Bien qu’ils affichent des pancartes de sensibilisation sur les vitrines, certains ne respectent pas ces mêmes consignes. On a aussi constaté l’apparition de cas au sein des équipes des administrations et des entreprises.

On remarque également une  recrudescence des cas au sein du personnel de la santé. Cela est en rapport avec la charge de travail et l’exposition importante. La prise en charge du nombre considérable des cas Covid-19 qui consultent pour d’autres pathologies en parallèle (fracture, appendicite,…) demande une disponibilité des moyens de protection dans les structures de soin non Covid-19.

« Une partie de la population a cru et croit que la pandémie est finie »

Les autorités ont annoncé des mesures supplémentaires. Pensez-vous qu’elles seront suffisantes ? Ne faudra-t-il pas recourir au confinement total, par exemple ?

Les mesures annoncées restent insuffisantes vu la difficulté de les traduire sur le terrain. Sincèrement,  je ne suis pas pour le confinement total. Je suis en revanche pour le durcissement des mesures barrières en appliquant la loi d’une façon stricte. Et même je pense que le confinement des communes et des régions, où on remarque qu’il y a des clusters actifs, peut jouer un rôle positif et baisser éventuellement le nombre des cas.

En parallèle, la campagne de sensibilisation fait face à une compagne de contre-sensibilisation menée par certains qui annoncent et publient des mensonges et des rumeurs sur la découverte de médicaments ou des herbes anti-Covid, et sur la crédibilité du personnel de la santé, comme ceux qui soutiennent qu’on est en train d’hospitaliser des malades non-Covid présentés comme des malades Covid. Certains donnent de faux espoirs à la population et tout cela, à mon avis, a affaibli l’impact de la sensibilisation et baissé la vigilance chez certains citoyens.

« La campagne de sensibilisation fait face à une compagne de contre-sensibilisation »

Comment expliquer que la courbe des décès, relativement stable, n’ait pas suivi celle des contaminations ?

La courbe des décès reste en effet relativement stable malgré l’augmentation du nombre des cas diagnostiqués. Je pense que cela est en rapport avec l’amélioration de la disponibilité des moyens de diagnostic surtout la PCR avec l’ouverture de quelques centres (bien que le délai des résultats PCR reste lent). Cela a permis de tester plus et donc de diagnostiquer plus. Mais cette courbe, il faut la lire avec un regard critique vu qu’on ne comptabilise que les décès à PCR+ alors qu’on peut avoir des décès dus au Covid-19 probablement mais avec PCR négative (30 % des faux négatifs, PCR faites tardivement par rapport au stade de la maladie).

 « Je suis en revanche pour le durcissement des mesures barrières en appliquant la loi d’une façon stricte »

Vous êtes chef du service réanimation du CHU de Blida. Comment décrivez-vous la situation au niveau de ce service ?

Au niveau du service de réanimation Covid-19, on a surtout le problème de la fatigue de notre personnel qui travaille durement et sans relâche depuis le mois de mars afin d’apporter les soins appropriés pour nos malades. Il y a beaucoup de cas au sein de notre personnel. En parallèle on  assiste à une augmentation des cas graves de Covid-19, répartis entre les détresses respiratoires modérées à sévères et les autres complications vasculaires et même les décompensations des maladies chroniques comme le diabète en rapport avec le Covid-19.

Depuis quelques jours, la wilaya de Blida n’est plus première en nombre de contaminations. S’agit-il d’une accalmie à Blida ou d’une détérioration de la situation ailleurs ?

Je pense qu’il faut comptabiliser le nombre de nouveaux cas par rapport au nombre de la population dans chaque région. Évidemment, Alger est plus peuplée par rapport à Blida, mais je pense qu’il y a un décalage entre Alger et Blida du point de vue du stade de l’épidémie. Ce qui se passe à Alger actuellement, Blida l’a vécu il y a quelques semaines.

Le corps médical s’est plaint au début de la crise du manque de moyens, notamment de protection. La situation s’est-elle améliorée depuis ?  

Les moyens de protection individuelle sont disponibles dans les structures Covid, par contre il faut renforcer ces moyens (surtout les masques) dans les structures non Covid, vu que les personnes contaminées sont un peu partout et la probabilité d’être Covid-19 et atteint d’une autre maladie est devenue élevée (fracture, AVC, appendicite…).

Depuis quelques jours, la justice multiplie les condamnations des auteurs d’agressions sur le personnel soignant. Un commentaire ? 

Je tiens à saluer les mesures prises par les autorités pour la protection de notre personnel contre les agressions verbales et physiques. Ce phénomène n’est pas nouveau mais on a assisté à une augmentation des cas d’agression ces derniers temps. Ce problème a beaucoup de dimensions, d’abord c’est un problème de confiance entre la population et le secteur public, sinon comment expliquer le fait qu’il n’y a pas d’agressions dans le secteur privé ? Il y a aussi l’effet des rumeurs et de la désinformation. À mon avis, il faut améliorer les aspects de la coordination hospitalière et de la communication.

Un appel à lancer à l’occasion de l’Aïd, redouté par beaucoup comme un vecteur de la propagation de l’épidémie ?

Le personnel de la santé redoute d’assister à une autre recrudescence après les fêtes de l’Aïd. Déjà, dans ces jours qui précèdent l’Aïd, on remarque des chaines interminables sans respect de la distanciation, notamment devant les bureaux de poste, et les marchés risquent d’être submergés. On redoute surtout que certains ne vont pas respecter les mesures durant les jours de l’Aïd et même après, en effectuant des visites familiales. On craint une catastrophe surtout dans les wilayas où on assiste à une saturation des lits d’hospitalisation. Même dans les wilayas peu touchées, il risque d’y avoir une propagation de la maladie pendant l’Aïd.

Les gens doivent être compréhensifs et admettre que cette année, l’Aïd doit être fêté d’une façon particulière et qu’on ne peut pas observer certaines traditions, comme effectuer des visites familiales ou égorger le mouton dans les grandes familles.

Il n’y a pas de secret, le respect des mesures barrières dans toutes les circonstances limite la propagation du virus.

« L’Aïd doit être fêté d’une façon particulière et qu’on ne peut pas observer certaines traditions »

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