Quatre-vingts ans après, la France n’est pas prête à reconnaître officiellement les massacres du 8 mai 1945 en Algérie. Les commémorations de cette année sont marquées du sceau de la polémique.
Le poids évidemment de la politique et de l’actualité. Précisément de l’extrême-droite et de la crise Algérie-France.
Plusieurs événements sont prévus pour commémorer l’événement et appeler la France officielle à faire un pas en avant vers la reconnaissance. Des sénateurs et députés ont programmé un déplacement en Algérie pendant que d’autres élus ont prévu une cérémonie de dépôt d’une gerbe de fleurs à Paris. Une proposition de résolution, relative à la reconnaissance et à la condamnation de ces massacres, a en outre été déposée à l’Assemblée nationale.
Jean-Michel Aphatie parle de l’horreur des massacres du 8 mai 1945 en Algérie
Pour les 80 ans de ce crime, le journaliste anti-colonialiste Jean-Michel Aphatie a réalisé un podcast intitulé « Algérie, le déni colonial », dans lequel il a décrit l’horreur et a tenté d’expliquer comment et pourquoi ce « massacre de masse » qui a « même conduit des Français à brûler des corps dans un four crématoire, à Guelma ».
Jeudi prochain, 8 mai, nous commémorerons avec une fierté légitime la victoire des démocraties sur le nazisme. C’était il y a 80 ans.
Au même moment, mai 1945, en Algérie, des Français – colons et militaires – ont tué entre 15.000 et 20.000 Algériens. Un massacre de masse qui a… https://t.co/rla8bfif4x pic.twitter.com/HwE54Z8qSW— jean-michel aphatie (@jmaphatie) May 6, 2025
La proposition de résolution pour la reconnaissance de ces massacres a été déposée lundi 5 mai 2025 par 70 députés, dont Idir Boumertit, Manuel Bompard, Mathilde Panot, Aurélie Trouvé, Thomas Portes, Antoine Léaument, David Guiraud, Farida Amrani…
« Le 8 mai 1945, alors que la France célèbre la victoire contre la barbarie nazie, elle se rend le même jour coupable d’une barbarie coloniale à l’égard des populations civiles d’Algérie », écrivent-ils dans l’exposé des motifs.
France : un projet de loi pour la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945 en Algérie
Pour eux, « la République française, fidèle à ses valeurs de vérité et de justice, se doit de reconnaître solennellement et officiellement que ces actes constituent un crime d’État perpétré contre une population civile désarmée, en contradiction flagrante avec les principes qu’elle proclame défendre », estiment-ils, expliquant que la proposition de résolution vise à « reconnaître et condamner » ces massacres et à « encourager un travail de vérité grâce à l’ouverture complète des archives ». Il est aussi proposé l’instauration d’une journée nationale de commémoration en mémoire des victimes de ces massacres.
En pleine crise entre les deux pays, la députée écologiste Sabrina Sebaihi avait estimé en mars dernier que « la France ne peut prétendre à une relation apaisée avec l’Algérie sans regarder ce passé en face, sans mots d’esquive ni calculs diplomatiques », suggérant de commencer par la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945.
Reconnaissance officielle des massacres du 8 mai 1945 : « Ce sera difficile »
En mai 2024, Sebaihi et trois autres députés avaient annoncé la constitution d’un groupe de travail pour faire aboutir, en 2025, une proposition de loi commune pour « la reconnaissance de l’Autre 8 mai 1945 ».
Une tâche difficile vu le contexte actuel, a souligné l’historien Benjamin Stora dans un entretien à TSA cette semaine. « Franchement, je ne crois pas que ça va aboutir, parce que, en ce moment, il n’y a pas de majorité, il y a le poids de l’actualité, le poids de l’extrême-droite qui est très puissante maintenant en France et qui veut absolument qu’on ne reconnaisse rien du tout », a-t-il dit.
Le scepticisme de Stora est conforté ce mercredi par l’annulation de la cérémonie de dépôt d’une gerbe de fleurs jeudi 8 mai au Mont Valérien, à Paris, en mémoire des victimes des massacres du 8 mai 1945. Le président Emmanuel Macron a été sollicité pour parrainer l’événement, mais aucune réponse n’est parvenue aux organisateurs.
Les parlementaires qui envisagent un voyage en Algérie, où ils sont attendus ce mercredi, ne sont pas épargnés par les critiques. Douze députés et sénateurs ont programmé un déplacement en Algérie pour les 80 ans des massacres du 8 mai 1945. Ils disent vouloir faire « reconnaître officiellement les massacres commis en Algérie », et demander une « reconnaissance par la France de sa responsabilité dans ces crimes coloniaux ».
Les 12 parlementaires sont Fatiha Keloua-Hachi, Sabrina Sebaihi, Danielle Simonnet, Karim Ben Cheïkh, Belkhir Belhaddad, Sophie Briante Guillemont, Raphaël Daubet, Ahmed Laouedj, Laurent Lhardit, Akli Mellouli et Adel Ziane.
« Aujourd’hui, nous y allons dans une démarche de reconnaissance, de main tendue. Je pense qu’il est venu le temps où la France doit aussi pouvoir regarder son passé en face », a expliqué Sabrina Sebaihi, citée par Le Parisien.
Le député socialiste Arthur Delaporte a tenté d’évacuer le poids de la crise politique en cours entre les deux pays, indiquant qu’ « il n’y a pas de lien entre la nécessité d’apaiser les mémoires et la nécessité d’apaiser des tensions diplomatiques conjoncturelles ».
Sans surprise, la démarche des parlementaires est fustigée par le courant opposé à toute reconnaissance, pour qui, il n’y a pas un « autre » 8 mai, que celui marquant la victoire sur l’Allemagne nazie.
« Nous avons l’intérêt des Français, l’intérêt de notre nation à défendre avant tout. Commémorer le 8 mai sur nos terres est un impératif pour un élu de la Nation », a estimé la députée de droite Anne-Laure Blin.
« Ils (l’extrême-droite) sont importants et la bataille est difficile », avait prévenu Benjamin Stora dans son entretien à TSA.
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