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Pourquoi l’Algérie est préoccupée par la crise au Mali

Pourquoi l’Algérie est préoccupée par la crise au Mali

L’Algérie est légitimement préoccupée au plus haut point par l’aggravation de la crise au Mali, un pays avec lequel elle partage une frontière longue de 1.300 kilomètres.

L’instabilité politique, la guerre civile, la propagation du terrorisme et les interférences étrangères avec la présence de sept pays étrangers dans son voisinage immédiat sont autant de sources d’inquiétude pour l’Algérie.

Même si l’Algérie a largement les moyens de se défendre, une guerre civile aux frontières du pays avec le Mali est une source de grande inquiétude.

Elle signifie aussi la mobilisation de nouveaux moyens pour surveiller les frontières, l’afflux de réfugiés, les risques d’infiltration de terroristes.

Des deux côtés de la frontière entre l’Algérie et le Mali, ce sont les mêmes familles. C’est pour cela que le gouvernement algérien a refusé toute sanction contre le Mali parce que cela impacterait des populations civiles victimes des agissements des gouvernements maliens successifs qui n’ont jamais voulu appliquer l’Accord d’Alger pour régler la crise malienne.

Avec les autorités maliennes issues du coup d’État de 2021, Alger en est arrivée au clash. Après le rappel des ambassadeurs respectifs fin décembre 2023, la junte au pouvoir à Bamako a annoncé vendredi 26 janvier la révocation pure et simple de l’Accord de paix de 2015, signé à Alger sous l’égide de la diplomatie algérienne.

L’accord, signé entre le gouvernement central et les mouvements séparatistes du nord du pays, n’a jamais pu être mis en œuvre intégralement à cause de la complexité de la crise, puis faute de volonté politique depuis le double coup d’État de 2020 et 2021.

Ce n’est pas la première fois que l’Algérie sert d’intermédiaire au Mali. Elle l’avait déjà fait en 1963 et 1991. « À chaque fois, à la demande du gouvernement malien », a tenu à préciser le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf dans un entretien diffusé par Al Jazeera en décembre dernier.

Le premier accord d’Alger a été signé en 1991. Il avait pour objectif de mettre fin à la rébellion touarègue du mouvement Azawad dans le Nord-Mali. À l’époque, les rebelles réclamaient l’indépendance.

En 2015, la situation était déjà plus complexe avec l’émergence, pas uniquement au Mali mais dans toute la région du Sahel, de groupes liés à l’internationale djihadiste (Boko Haram, Al Qaida, Daech…), avant de devenir inextricable aujourd’hui à cause des interférences de puissances mondiales et régionales aux intérêts inconciliables et directement responsables de l’instabilité politique qui se manifeste à travers la succession des coups d’État militaires qu’elles ont inspirés dans la région du Sahel.

Ces deux dernières années, huit coups d’État ou tentatives de putsch ont été enregistrés dans les pays du Sahel.

Le Mali fait face à deux grandes menaces : la rébellion Touareg au nord et le terrorisme qui ne cesse de se répandre dans le pays.

La remise en cause de l’Accord d’Alger a ses origines dans la perception qui est faite de ses clauses au sein de la société malienne, en ce sens que certaines régions n’ont que peu apprécié les avantages conférés aux zones rebelles du nord, comme l’affectation d’une partie du budget de l’État à leur bénéfice.

Mais la révocation des Accords d’Alger et le retour à l’option militaire pour régler le problème du Nord a sans doute été susurrée à la junte malienne par une ou plusieurs des puissances étrangères présentes dans le pays et qui y jouent un rôle central.

Les nouvelles autorités maliennes ont d’abord contesté la présence des forces françaises qui participaient à l’opération Barkhane depuis 2013 puis exigé et obtenu le départ de la mission des Nations-Unies (Minusma).

Dans le même temps, elles ont fait venir les mercenaires du groupe Wagner, devenu aujourd’hui Africa Corps et relevant directement du ministère russe de la Défense.

Complexité de la crise au Mali : l’inquiétude légitime de l’Algérie

En novembre dernier, les militaires maliens ont déclenché une opération militaire pour reprendre la ville de Kidal aux rebelles qui ont tenté de l’occuper après le départ de la mission onusienne.

Dans l’opération, l’armée malienne a pu compter sur les Russes de Wagner et les drones turcs payés vraisemblablement avec l’argent d’un pays étranger. Cet épisode résume à lui seul la complexité de la situation et le rôle des interférences étrangères qui ne favorisent pas la paix.

La reprise de Kidal va sans doute replonger le Mali dans la guerre civile. Comme toutes les tentatives militaires de régler la crise malienne par la force ont échoué par le passé, il faudrait s’attendre à un 5e Accord d’Alger.

Dans sa réaction à l’annonce de la révocation avec effet immédiat de l’Accord d’Alger, le ministère algérien des Affaires étrangères a dénoncé d’ailleurs « l’intensification » par les autorités maliennes de « leurs programmes d’armement financés par des pays tiers et leur recours à des mercenaires internationaux ».

Le Maroc et son allié israélien ont aussi fait irruption dans la région avec l’objectif évident de créer une autre situation d’instabilité aux frontières de l’Algérie.

Alors qu’Alger et Bamako étaient au bord du clash, Rabat s’est empressé en décembre dernier de proposer une alliance stratégique et un « accès à l’Atlantique » aux pays de la région enclavés et presque tous dirigés par des régimes issus de coups d’État.

La situation risque de se compliquer davantage car la présence étrangère appelle une autre présence étrangère.

Par exemple, l’ingérence russe amènera inévitablement celle des États-Unis qui à son tour donnera à réfléchir à la Chine…Le Sahel est en train de devenir, si ce n’est pas déjà le cas, le terrain de confrontation des grandes puissances de la planète.

Dans cette région, les adversaires de l’Algérie ne se gênent pas de jeter de l’huile sur le feu pour multiplier les foyers de tensions à ses frontières dans le cadre d’une stratégie dangereuse visant à l’affaiblir.

D’autant que des puissances comme la Russie et la Turquie, avec qui l’Algérie entretient de bonnes relations, jouent un jeu trouble au Sahel où elles privilégient leurs intérêts stratégiques au détriment de ceux de la région.

Le 23 janvier, en marge d’une séance-débat de haut niveau du Conseil de sécurité sur la question palestinienne, la crise malienne et la situation au Sahel ont été abordées par le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf avec ses homologues russe Serguei Lavrov et turc Hakan Fidan.

Le Mali se dirige droit vers la guerre civile avec le risque de ne pas en sortir à cause justement de cette interférence d’intérêts géostratégiques antagoniques, comme cela s’est vérifié en Libye où les puissances en présence bloquent toute possibilité de solution depuis plus de dix ans. Les mêmes forces étrangères qui empêchent la Libye de retrouver la stabilité sont présentes au Mali.

Or, l’Algérie est échaudée par ce qui s’est passé en Libye et ne veut pas la réédition d’un tel scénario à ses frontières sud.

« Nous n’accepterons jamais que ce qui s’est passé en Libye se reproduise à nos frontières sud. Nous savons ce que nous a coûté l’affaire de Tiguentourine », a clairement signifié Ahmed Attaf dans son entretien avec Al Jazeera.

C’est en effet des frontières libyennes que s’étaient infiltrés les terroristes qui avaient attaqué le site gazier algérien en janvier 2013, un peu plus d’une année après la chute du régime de Mouammar Kadhafi.

Les groupes terroristes qui écument aujourd’hui le Sahel sont munis d’armements lourds et sophistiqués venant des stocks de l’armée libyenne après son effondrement.

Et ce ne sont plus des groupes épars comme le passé mais des armées de terroristes. L’été dernier, l’ONU avait indiqué dans un rapport que les multiples groupes terroristes actifs au Mali ont doublé la superficie des territoires qu’ils contrôlaient une année auparavant. L’Algérie a toutes les raisons de s’inquiéter et de ne pas baisser la garde.

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