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Projets d’attaques contre les Musulmans en France : actes isolés ou menace sérieuse ?

Projets d’attaques contre les Musulmans en France : actes isolés ou menace sérieuse ?

Dix personnes liées à une faction d’ultra-droite – l’Action des forces opérationnelles (AFO) – qui projetaient de s’attaquer à des imams radicalisés, des femmes voilées ou des détenus islamistes sortis de prison ont été interpellées la semaine dernière par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 14 juin. Ce groupe envisageait également d’empoisonner de la nourriture halal dans des supermarchés.

Selon Le Parisien, les suspects, âgés de 32 ans à 69 ans, tous sans histoire, avaient « un projet de passage à l’acte violent aux contours mal définis à ce stade, ciblant des personnes de confession musulmane », a précisé une source proche de l’enquête.

Une autre source a indiqué que ce groupe visait « des cibles présumées en lien avec l’islam radical ». Parmi les profils, on trouve par exemple un retraité de France Télécom, une femme de 65 ans, ou encore un policier reconverti en antiquaire.

« Empoisonner la nourriture halal »

Selon LCI, l’un des projets d’attentats envisagés par les inculpés, avait pour but d’ « empoisonner de la nourriture halal dans des supermarchés. »

« L’idée faisait l’objet de longues discussions lors de leurs réunions secrètes. Son nom de code : « projet halal ». L’objectif était aussi simple que glaçant : empoisonner de la nourriture halal dans les rayons spécialisés de supermarchés, afin de faire le plus de victimes musulmanes possibles », a révélé LCI.

Ces projets d’attaques sont-ils des actes isolés ou le signe d’une menace de plus en plus présente pour la communauté musulmane de France ? Fin avril, le journal Libération révélait deux notes de la DGSI pointant la résurgence des groupuscules d’ultra-droite (groupes issus de l’extrême-droite mais qui pensent que la voie démocratique, en l’occurrence celle des urnes, est vaine) depuis les attentats terroristes sur le territoire.

« La multiplication des attentats islamistes en France depuis janvier 2015 a été évidemment interprétée par l’extrême droite radicale comme une légitimation de ses thèses sur la menace immigrée, l’insécurité, la faillite d’une société multiculturelle honnie. L’impuissance de l’armée et du gouvernement est également fustigée. Sur les blogs et les réseaux sociaux se développent une parole plus libérée et des appels à représailles ou des menaces du type : « Terroristes à mort – immigrés dehors. » ».

Ces groupes estiment que l’État fait preuve de laxisme face à la montée de l’islam radical. Bref, ces groupes, présentés comme des résistants, se sentiraient investis d’une forme de mission de service public afin de défendre la sécurité nationale face à « l’envahisseur ».

Ils utilisent régulièrement les termes de « guerre civile », et ne cachent pas leur attrait pour le « survivalisme ». Face au potentiel effondrement de la civilisation occidentale, ces « citoyens-soldats » (c’est ainsi qu’ils se présentent sur le site Guerre de France) résistent et se préparent à l’invasion migratoire. L’affaire « AFO » rappelle également celle de Logan Nisin, 21 ans, interpellé en juin 2017, soupçonné d’avoir voulu commettre un attentat aux contours imprécis et de vouloir former une milice issue, comme lui, des rangs de la droite extrême.

Pour Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques et chercheur à l’IRIS, « les attentats et la montée de l’islam radical ont été la cerise sur le gâteau ». Ceci étant dit, ces groupes ont toujours pris pour cible les musulmans. Et ces factions d’ultra-droite ne sont pas nouvelles, elles seraient donc le regain d’une vielle pratique, bien avant qu’on l’on observe en France la montée d’un islam radical.

En décembre 1973, un attentat devant le consulat d’Algérie à Marseille fait 4 morts. En mars 1975, les bureaux de Toulouse et Lyon de la compagnie Air Algérie sont visés par un double attentat à l’explosif. Ces actes sont revendiqués par le groupe Charles Martel qui vise des immigrés algériens et les symboles de la présence algérienne en France.

« Quand on va sur le site Guerre de France, site internet de AFO, on est frappés par le grand nombre de références à la guerre d’Algérie. L’idée sous-jacente c’est en gros « Ils nous ont fichu à la porte et aujourd’hui ils viennent nous coloniser », décrypte pour TSA Jean-Yves Camus. Ces groupes réussissent de nombreux nostalgiques de l’Algérie française. Il faut d’ailleurs noter que le projet de Logan Nisin visant à enclencher la « remigration » de la France était d’ailleurs baptisé «  OAS  » en référence à l’Organisation de l’armée secrète regroupant des partisans radicaux de l’Algérie française.

Néanmoins, nuance le chercheur, « les musulmans sont loin d’être la seule cible. « Guerre de France est certes un site anti-musulmans mais il y a du contenu qui prend également pour cible les Juifs, la gauche ».

De plus, bien qu’il ne faille pas nier qu’une menace venant de l’ultra-droite existe, elle doit aussi être remise dans le contexte sécuritaire actuel. La menace du terrorisme islamiste demeure nettement plus préoccupante.

« Il y a une crispation qu’il ne faut pas nier mais quand on compare avec d’autres types de menaces, l’ultra-droite n’arrive pas en premier, ni par le nombre, ni par la capacité opérationnelle. Pour rappel, 20 attentats au nom de l’islam radical ont été déjoués en 2017 sur le territoire dont des attentats massifs contre 4 ou 5 liés à l’ultra-droite », souligne Jean-Yves Camus.

L’image de l’islam en France

Il ne faut toutefois pas négliger l’impact du « climat culturel populaire » en France sur la résurgence de groupes identitaires radicaux. Il est intéressant de se pencher sur la perception des musulmans dans l’Hexagone ces dernières années. Une enquête intitulée « L’image de l’Islam en France » réalisée par l’IFOP en 2012 révélait que la présence d’une communauté musulmane en France était vécue comme une menace pour l’identité du pays.

Ainsi, 43% des sondés estimaient que la présence d’une communauté musulmane en France était « plutôt une menace pour l’identité de la France », 17% considérant à l’inverse qu’elle est un facteur d’enrichissement.

À la question « les musulmans et les personnes d’origine musulmane sont-ils bien intégrés dans la société française ? », 67% répondaient alors « non » (« non, plutôt pas » pour 48% et « non , pas du tout » pour 19%). Parmi les raisons de cette mauvaise perception, 68% donnent comme argument « le refus de s’intégrer à la société française ».

Enfin, notons que parmi les termes qui correspondent le mieux à l’idée que les sondés se faisaient de l’islam, on trouve en tête « le rejet des valeurs occidentales », « le fanatisme », et « la soumission ».

De plus, dans l’opinion publique, le nombre de musulmans sur le territoire français fait régulièrement l’objet de débats. À défaut de chiffres officiels (les statistiques officielles sur la diversité ethnique et religieuse y étant interdites), on constate par exemple que la population musulmane est surévaluée dans l’imaginaire collectif.

Selon une étude de l’institut de sondage britannique Ipsos Mori publiée en 2016, les Français interrogés estiment que 31% de la population de l’Hexagone est musulmane, contre …7,5% en réalité selon le centre de recherche américain Pew Research. Il faut dire que nombreux sites sur la toile relayent régulièrement l’information selon laquelle la France compterait 20 millions de musulmans.

Enfin, certaines voix estiment que la couverture médiatique de l’islam accentue le sentiment d’une religion conquérante. Le fait qu’un sujet soit largement discuté dans les médias accentuerait donc la propension à ce que la population se montre plus inquiète.

Cette « montée des crispations » s’est notamment constatée à l’été 2016 avec la polémique sur les arrêtés anti-burkini sur les plages. Elle est aussi révélatrice des tensions existantes entre le principe de laïcité, la liberté d’expression et la liberté religieuse.

Perception de l’Islam

Le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), institution administrative indépendante qui dresse un état des lieux du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie en France, note que « la perception de l’Islam et des musulmans reste une source de tensions très vives dans une partie de la société. » 32% des Français ont « une opinion positive » de « la religion musulmane » (- 1 point par rapport à l’année dernière), contre 29 % (- 2 points) qui en ont une mauvaise opinion.

L’opinion négative d’une partie des Français est alimentée par leur perception d’une « religion conquérante ». Ainsi, plus de quatre personnes interrogées sur dix (44 %) pensent que «l’Islam est une menace pour l’identité de la France», une opinion majoritaire au FN (87 %), mais aussi très répandue à droite (69 %) et auprès d’une minorité significative de sympathisants de gauche (32%), peut-on lire dans le rapport.

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