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Reportage. Une journée peu ordinaire à l’APN

Reportage. Une journée peu ordinaire à l’APN

Sous un soleil d’automne chaud et aveuglant, les journalistes, venus nombreux, attendent, ce mercredi 24 octobre matin, sur un trottoir du boulevard Zighout Youcef, l’ouverture des portes de l’APN, chambre basse du Parlement. Sur place, aucun interlocuteur. Les policiers en poste n’en savent rien.

Après une attente d’une heure, les portes s’ouvrent. Un badge presse contre une signature.

À l’intérieur, certains députés commentent avec dédain les dernières déclarations de Saïd Boudhadja, le président non démissionnaire de l’APN, invisible sur place. « Il vient de dire qu’il payait les billets d’avion de sa poche. Qu’il ne nous raconte pas d’histoires, nous avons les documents et les pièces. Il n’a rien payé du tout », accuse Abdelhamid Si Afif, député du FLN.

Si Afif a mené, aux avant-postes, la campagne anti-Boudhadja. « Bouhadja n’arrivait plus à suivre le rythme de l’Assemblée. Sa page est tournée. Les activités d’une institution aussi importante que le Parlement ne peuvent pas continuer à être gelées. Il y avait une détermination de la majorité parlementaire de ne plus travailler avec l’homme qu’elle a cautionné depuis plus d’une année. Il est parti dans les mêmes conditions qui lui ont permis d’être cautionné et élu. Il connait bien comment ça marche. Il fait de la surenchère. Il sait que ce n’est pas le président (de la République) qui l’a désigné, mais le parti », analyse-t-il encore, entre deux interviews aux télés privées, venues nombreuses à l’APN, autant que les correspondants des chaînes étrangères.

« Il parle bien ! »

Soudain, tout le monde se retourne. Moad Bouchareb, désigné par le FLN pour remplacer Said Bouahdja, vient d’arriver, accompagné de Mohamed Djemaï, le député de Tébessa du même parti. Bousculade des photographes et des cameramen. Moad Bouchareb, visage rayonnant, est sur un nuage. « C’était entre moi et lui. Finalement, ils l’ont choisi », confie Mohamed Djemai. Le critère ? Être de l’Est du pays. La théorie de l’équilibre régional est toujours vivace dans les esprits de « la haute » décision. Abdelhamid Si Afif, originaire de Mostaganem, reconnait cette règle non écrite. « C’est comme ça ! », lâche-t-il, sourire aux lèvres.

Mais qui connaît Moad Boucherab ? « Il est là depuis trois mandats déjà, connaît bien le travail parlementaire, et puis, il parle bien ! », répond un journaliste, fin connaisseur des travées de l’APN. Certains croient à l’idée de « rajeunissement » évoquée par Djamel Ould Abbes, secrétaire général du FLN, pour « vendre » la candidature du député de Sétif, 47 ans. « Disons que c’est une bonne première », lance Seddik Chiheb, député du RND.

Les députés s’installent dans l’hémicycle. « J’invite mon fils Moad Bouchareb à me remplacer au prétoire », déclare Hadj Laïb, le plus âgé des députés, qui a géré la petite période de « transition », entre la déclaration de la vacance et l’élection du nouveau président. « Je remercie le frère Hadj Laïb », réplique Moad Bouchareb, qui prend un ton martial en prononçant un discours à tonalité consensuelle, après sa désignation par vote à main levée.

Le remplaçant de Said Bouhadja remercie le moudjahid Abdedlaziz Bouteflika de l’avoir choisi et mis sa confiance en lui. Son élection vise, selon lui, à maintenir « la stabilité de l’Assemblée » et à « renforcer la démocratie ».

Belkacem Benbelkacem dit Non !

Moad Bouchareb, qui salue les moudjahidine, l’armée et la presse, promet de travailler avec tout le monde au nom de « la démocratie participative ».

Belkacem Benbelkacem, député indépendant, vice-président de la Commission des Affaires étrangères, est le seul à avoir voté contre l’élection de Moad Bouchareb. Pour une heure, il devient la star du hall de l’APN. « Je suis représentant du peuple, demain je ne pourrai pas dire aux citoyens, qui ferment une daïra ou un APC, de puiser dans les voies légales. Ils pourraient me dire qu’ils se sont inspirés de nous ! Donc, je dénonce la symbolique de la fermeture du Parlement », confie-t-il. Cet ancien militant du FFS n’a pas apprécié l’utilisation des cadenas pour fermer la porte principale de l’Assemblée aux fins d’empêcher Said Bouhadja d’y accéder.

Bouhadja, selon lui, aurait dû démissionner, n’ayant plus de « couverture politique ». « Je lui ai demandé de convoquer lui-même la plénière pour sortir par la grande porte. Il est allé très loin en disant attendre la réponse du pouvoir exécutif alors qu’il est censé représenter le pouvoir législatif », dit-il.

Les députés du FFS, du RCD, du PT, du MSP et de l’Union d’Ennahda-El Bina-El Adala boycottent la séance de vote, mais animent les conversations dans le hall.

Lakhdar Benkhellaf demande la dissolution de l’APN

Lakhdar Benkhellaf, député de l’Union d’Ennahda-El Bina-El Adala, use d’un ton grave pour dénoncer « le coup de force » à l’APN. « On constate que le nouveau président de l’APN arrive à ce poste grâce aux chaînes, aux cadenas et à la méthode des baltaguia. C’est une mascarade », déclare-t-il. Il appelle le président de la République à dissoudre le Parlement. « L’image de ce Parlement est aujourd’hui écornée. Auparavant, il souffrait d’un manque de légitimité. Aujourd’hui, il a perdu toute sa légitimité et sa crédibilité », regrette-t-il.

Comment faire avec la nouvelle situation ? Nasser Hamdadouche, député du MSP, confie qu’en politique, il faut parfois « faire avec », s’adapter au fait accompli. La démission collective n’est, à ses yeux, pas une solution. Autant que la dissolution de l’Assemblée. Le MSP a toujours eu une capacité hors normes en matière d’adaptation à l’environnement et au « climat » politique. Seddik Chiheb est, lui, souriant et optimiste en rencontrant Nasser Hamdadouche dans les couloirs de l’APN.

Moad Bouchareb boude la presse

« Vous avez constaté que 69% des députés ont voté pour le nouveau président. Il y avait clairement une incompatibilité et une mésentente entre le président sortant de l’APN et la majorité des députés. Il fallait dépasser ce blocage. Le problème ne se pose pas en terme de ce qui est prévu par la loi ou pas. Le problème est de faire fonctionner l’instance législative », souligne le député du RND. Mais pourquoi le RND, qui a 100 députés à l’APN, n’a pas proposé de candidat ? « Le FLN a la majorité numérique à l’Assemblée. Le poste du président leur revient de droit », répond-il. On se rappelle, du coup, qu’Abdelkader Bensalah, président du Sénat est ancien premier responsable du RND. Mohamed Djemai, très actif dans les coulisses, souhaite un changement du règlement intérieur de l’APN pour éviter les situations de blocage dans le futur. « Quand on a une majorité contre soi, on doit se retirer », conseille-t-il.

Les nombreux journalistes et cameramen prennent d’assaut Moad Bouchareb, à la fin des travaux. Bousculades, cris, vociférations, éclats de voix… Le nouveau président de l’APN se retire, entouré de ses gardes, et refuse de faire des déclarations à la presse. Le service communication de l’APN n’a pas prévu de rencontre avec les journalistes. Tombée de rideaux.

Le hall et les couloirs se vident. Les présents rejoignent le grand restaurant de l’Assemblée, situé en étage inférieur. L’odeur de la chekhchoukha, plat de fête, remplace petit à petit, celle du tabac. La journée peu ordinaire se termine alors que le soleil d’octobre n’est qu’au milieu du ciel…

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