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Retour du Hirak, législatives, dialogue : entretien avec Smain Lalmas

Retour du Hirak, législatives, dialogue : entretien avec Smain Lalmas

Dans cet entretien, l’économiste et figure du Hirak, Smain Lalmas, parle du retour des manifestations, des législatives anticipées du 12 juin, du dialogue et du plus grand danger qui menace l’Algérie.

Depuis la reprise des marches des vendredis et mardis, avez-vous constaté que le Hirak retrouve sa vigueur d’avant la crise sanitaire ?

Il faut tout d’abord rappeler que face au danger sanitaire, le mouvement populaire a fait preuve d’un sens civique très élevé, et a préféré suspendre ses manifestations et respecter les mesures restrictives mises en œuvre pour endiguer l’épidémie.

Cette suspension d’ailleurs, de presque une année, a laissé beaucoup d’observateurs et de malintentionnés miser sur la démobilisation du Hirak, et de l’impossibilité du retour des marches pacifiques hebdomadaires.

Mais le contraire s’est produit, les citoyens étaient au rendez-vous en annonçant le déconfinement du Hirak le 16 février 2021 à Kherrata, le 19 à Khenchela, le 21 au niveau de l’émigration et le 22 février au niveau national.

A signaler que ce retour s’est fait dans un contexte très hostile, caractérisé par des poursuites judiciaires et arrestations des militants et animateurs du Hirak et de journalistes durant le confinement.

Effectivement, le Hirak reprend sa vigueur d’avant la crise sanitaire, avec  les mêmes slogans et la même détermination, pour atteindre l’objectif ultime qui consiste en la construction d’un État de droit, permettant ainsi à l’Algérien d’exercer sa citoyenneté en toute liberté, un exercice qui représente une dimension importante dans la vie démocratique d’un pays.

Des appels sont régulièrement lancés pour changer de stratégie face à ce que d’aucuns au sein du Hirak qualifient de sourde oreille du pouvoir politique…

Je vais scinder votre question en deux volets, je commencerai par cet appel au changement de stratégie du Hirak que vous évoquez, et je dirai qu’il est évident qu’aucune stratégie ne peut être figée.

Souvent, une stratégie est évolutive, alimentée par l’évolution des données, mais en même temps, tout changement passerait forcément par faire un état des lieux, où deux mots clés reviennent dans pareilles situations, à savoir les forces et les faiblesses de notre révolution, en prenant en considération l’environnement dans lequel nous évoluons.

Ce qui fait que toute démarche d’amélioration de notre révolution doit s’appuyer sur ses forces, corriger ses faiblesses et profiter de l’importance du capital estime, national et international, qui se dessine depuis quelque temps en notre faveur.

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Qu’en est-il de l’attitude du pouvoir politique ?

Après plus de deux années de révolution populaire, le pouvoir politique n’a pas affiché la moindre volonté politique de répondre aux attentes des Algériens et à trouver une issue à la crise que vit l’Algérie, bien au contraire, il a opté pour la répression comme stratégie.

Je pense sincèrement, d’ailleurs, que le pouvoir algérien se serait bien passé des griefs retenus contre lui par le Haut commissariat des droits de l’Homme de l’ONU, des griefs aggravés par des accusations de torture et autres graves dépassements. Honnêtement, cette montée au créneau de l’institution onusienne doit être prise très au sérieux.

Pour cela, continuer à privilégier la force, maintenant que notre révolution est qualifiée de mouvement démocratique par l’ONU et de nombreuses ONG reconnues pour leur sérieux et leur impartialité, serait ridicule et suicidaire.

La stratégie du pouvoir a fini par le mettre dans le collimateur de la communauté internationale, et aggraver la crise politique dans le pays.

Cette approche doit être revue en empruntant une autre voie que celle de la confrontation avec un mouvement pacifique qui ne demande qu’un changement en douceur du système, devenu dangereux pour l’avenir du pays, mais qui souhaiterait que ce changement soit le fruit d’une solution algéro-algérienne.

Certaines voix reprochent au Hirak son manque de structuration et d’initiatives. Que propose M. Lalmas pour la sortie de crise ?

Si vous le permettez, je préfère qualifier ce Hirak de révolution et je tiens par ailleurs à préciser qu’une révolution qui vient d’entamer sa 3e année ne peut pas ne pas être organisée.

Il est vrai qu’elle n’est pas structurée, du moins de façon classique, avec une direction bien identifiée, c’est un choix, nous avons choisi un modèle de révolution sans leader.

Cette révolution sans leader n’est pas une spécificité algérienne, les mouvements révolutionnaires affichent de plus en plus une forme d’horizontalité, refoulant toute forme de récupération individuelle au profit d’une représentation strictement collective.

Et pour rester fidèle à cette approche collective, je ne peux pas me permettre de proposer une solution de sortie de crise sans concertation avec le reste des militants et animateurs et sans être délégué, mais je rejoins et j’adhère à l’offre politique portée par tous nos militants, depuis février 2019, à savoir la nécessité de changement de système.

Pour cela, nous sommes en attente d’une réponse politique sérieuse du pouvoir. Dans cette attente, notre révolution pacifique continue.

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Le FFS a participé au dialogue avec le président Tebboune. Avez-vous été invité à ce dialogue ?

Le FFS a souvent eu des positions correctes de par le passé, ce qui a fait de lui une entité politique respectable. Il est clair que sa rencontre avec M. Tebboune ne cesse de faire parler d’elle, et a d’ailleurs suscité une réelle polémique.

Mais cela reste une affaire interne, je ne me permets pas de porter un jugement sur le sujet, c’est aux militants d’évaluer la démarche des membres de la direction de ce parti.

En ce qui me concerne, ma position est claire et je crois bien que le pouvoir a bien compris qu’aucun rapprochement ne peut se faire en dehors du cadre des négociations autour de la principale revendication soulevée par le peuple du Hirak à savoir le changement radical menant au départ de ce système.

Dans la foulée, le président de la République a annoncé la tenue des législatives le 12 juin prochain. Ces élections peuvent-elles constituer la solution ?

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Je crois que dans un tel contexte politique, proposer d’autres élections comme réponse au Hirak est tout simplement une énième  preuve de la mauvaise intention qui anime ce pouvoir quant au changement souhaité par la majorité des citoyens.

Encore une fois, il s’agit d’une manœuvre classique du pouvoir pour asseoir une certaine légitimité en faisant oublier au passage, le ratage du référendum sur la constitution.

Je dirai même que la date du 12 juin annoncera le déconfinement politique des partis honnis par le peuple et qui seront rejoint par de nouveaux partis domestiqués, qui ont ou vont accompagner le pouvoir dans sa démarche de lifting qui s’annonce dores et déjà ratée.

Je dirai donc que le 12 décembre 2019 n’a pas été une solution, le referendum du 1er novembre a été un grand ratage, le 12 juin sera aussi un rendez-vous inutile, creusant encore plus le fossé entre le pouvoir et le peuple ou du moins sa grande majorité.

Quel est le plus grand danger qui plane sur l’Algérie : la crise économique ou l’entêtement du pouvoir à maintenir sa feuille de route ? 

Le plus grand danger qui plane sur l’Algérie est tout simplement la nature de son pouvoir.

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